« Après le plaisir de posséder des livres, il n'en est guère de plus doux que celui d'en parler. » Charles Nodier

"On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact journalier des bibliophiles, des libraires et des livres."
Henri Beraldi, 1897.

frise2

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dimanche 22 février 2009

Les reliures doublées: comble du raffinement?

Amis Bibliophiles Bonsoir,

Bibliopégimane ou non, tout bibliophile est un jour marqué par la beauté d'une reliure, qui constitue généralement le premier contact entre un amateur et un livre. Mais le bibliopégimane ne se satisfait pas toujours de ce premier contact à la portée de tous et recherche d'autres plaisirs, plus discrets, ou moins encore moins avouables: l'amour (raisonnable?) des doublures de reliures.

Reliure Doublée par Hardy-Mesnil / Marius Michel sur les Caractères de La Bruyère, maroquin rouge pour les plats, maroquin vert pour les doublures, décorées "à la fanfare".

Si l'on s'en tient au glossaire du SLAM, la doublure est un revêtement de luxe du contreplat de la reliure, en veau, maroquin, daim, soie, etc. (on parle alors de reliure doublée). Voilà pour la définition. Le sujet n'ayant pas encore fait l'objet d'un débat, ni ici, ni dans l'une de nos universités (ou agapes bibliophiliques), j'imagine que les avis sont partagés: comment d'une part espérer que les bibliophiles qui n'accordent aucune importance à la reliure puissent comprendre la recherche de reliures doublées, ou d'autre part que même les bibliopégimanes forcenés (je ne parle même pas des chorionophiles) se satisfassent de ces belles reliures, certes, mais dont les plus beaux attributs restent souvent cachés.

La reliure doublée, décidément, se mérite (dépasser le rejet de la reliure, que dis-je accepter d'ouvrir un livre! sourire) et si personnellement je ne suis pas particulièrement à leur recherche, j'avoue que c'est toujours un délice de découvrir la finesse d'une très belle doublure, notamment quand l'extérieur n'en laisse rien présager, comme c'est parfois le cas avec des reliures jansénistes doublées.
Imitation de Jésus-Christ, maroquin janséniste taupe, doublures de maroquin rouge, le tout par Cuzin.

Finalement, la doublure serait le comble du raffinement en matière de reliure? Ou de l'hypocrisie? Ou de la discrétion? Chacun se fera son avis. Ce qui est certain, c'est que les doublures sont le plus souvent l'apanage de reliures de grand luxe, et il est donc rare de croiser une doublure qui ne soit pas parfaitement exécutée.

La Henriade, maroquin bleu-nuit gaufré par Kalienbach, avec une doublure de maroquin rouge.

Le décor semble pouvoir varier: armes, sobres maroquins encadrés de dentelle, mais aussi parfois imposantes fanfares. Ce type de reliure existait déjà au 17ème siècle et probablement même avant, mais à cette époque, les doublures connurent un succès particulier avec le mouvement janséniste, dont on sait qu'il influença significativement l'histoire de la reliure. En effet, la réforme portée par les jansénistes de Port-Royal proposait de rejeter en bloc toute ornementation des livres, à un moment où les décors et la dorure venaient d'atteindre des sommets. Certains bibliophiles de l'époque qui partageaient les idées jansénistes optèrent alors pour des reliures de luxe d'une grande sobriété... mais certains d'entre-eux ne parvinrent visiblement pas à changer leurs habitudes et firent placer intérieurement les décors qu'ils faisaient auparavant placer sur les plats. L'idée eût beaucoup de succès et perdure encore, les relieurs du 19ème puis les relieurs contemporains ayant également sacrifié régulièrement à cette tendance sur leurs reliures de luxe.
Reliure de Cretté, box rose, doublure de vélin ivoire.

Personnellement, j'aime les doublures de maroquin (et là, vous n'êtes point surpris!) , et ce pour deux raisons: d'une part elles sont toujours très bien exécutées, comme je l'écrivais plus haut, et d'autre part, ce qui n'est pas la moindre de leur qualité, parce qu'il est nécessaire de prendre un ouvrage en main et de l'ouvrir pour les découvrir. Ces premiers pas, qui ne sont pas toujours faits par les bibliophiles, ne pouvant que contribuer à la lecture du texte.

En tout cas, si vous aimez les reliures doublées, et la reliure en général, je ne peux que vous conseiller la visite du Musée Condé, au château de Chantilly, vous pourrez y découvrir les sublimes doublures de Badier, Macé-Ruette, Le Gascon et autres grands, réalisées pour de grands bibliophiles.

Et vous?

H

11 commentaires:

Gonzalo a dit…

J'en veux! :o)


Je n'ai pas la chance de posséder l'un de ces discrets bijoux, mais ceux que j'ai eu la chance de pouvoir prendre en main m'ont tous séduits!

Tu conseilles la visite du Musée Condé, que je n'ai pas encore vu. Je peux juste conseiller le catalogue de leurs reliures du XVIIe siècle, où l'on trouvera moultes photographies de sublimes doublures.

Gonzalo a dit…

J'en veux! :o)


Je n'ai pas la chance de posséder l'un de ces discrets bijoux, mais ceux que j'ai eu la chance de pouvoir prendre en main m'ont tous séduits!

Tu conseilles la visite du Musée Condé, que je n'ai pas encore vu. Je peux juste conseiller le catalogue de leurs reliures du XVIIe siècle, où l'on trouvera moultes photographies de sublimes doublures.

Jean-Paul Fontaine, dit Le Bibliophile Rhemus a dit…

Les plus anciennes reliures garnies d'une doublure datent du IXe siècle et sont islamiques.
En Europe, les premières reliures doublées sont italiennes et datent du milieu du XVe siècle.
En France, les reliures doublées sont exceptionnelles au XVIe et ne sont vraiment adoptées qu'à partir de 1640.

Anonyme a dit…

Les reliures à décor sur le contre plat sont l'aboutissement de la recherche de raffinement, elles ne supportent pas la médiocrité d'exécution. Les superbes reliures à doublures du XVIIe ont trouvé un écho au milieu du XIXe siècle chez des relieurs au sommet de leur art, inspirés par un style historiciste (le tout premier semble être Thouvenin) et encouragés par des bibliophiles exigeants et qui redécouvraient les décors passés. Il faut bien reconnaître que la reliure "janséniste" à décor s'accorde avec un certain plaisir d'esthète et de dandysme... qui s'assume puisque le livre est fait pour être ouvert.
Il me semble que les papiers dorés utilisés à la charnière du XVIIe-XVIIIe allaient dans le même sens. Moi j'aime.
Lauverjat

Anonyme a dit…

Le vice (et le Diable) se cache(nt) toujours dans les détails...
Olivier

Wall a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Anonyme a dit…

Une reliure bien exécutée, mais banale, peut toujours cacher une superbe édition, alors pourquoi pas une belle doublure!!!!!


Au passage, une question qui n'a rien a voir:
A propos d'un marchand sur ebay, inscrit en professionnel et qui a pignon sur rue, que je connais pour être passé dans la librairie quelquefois, me pose beaucoup de questions...
Actuellement, il vend une série de planches incomplètes même si cela demeure un très bel ensemble. Connaissant l'ensemble, je lui ai fait remarquer que la série est incomplète d'une centaine de planches. Il me repond qu'il vend dans l'état. (je m'en serait douté! sourire)
Je lui ai alors fait remarquer que pour un professionnel, je trouvais cela un peu gros de ne pas indiquer que c'était une série incomplète.
C'est le même professionnel qui vendait des reliures d'Aussourd sur de beaux textes, en mettant Aussouro (et ce ne fut pas une faute d'inattention car elle fut plusieurs fois répétée dans plusieurs annonces). Et j'aurais d'autres exemples encore d'erreurs que je trouve énormes pour un professionnel qui vend beaucoup de moderne...

Certains d'entre vous l'auront peut-être reconnu.
Qu'en pensez vous?

Wall

Anonyme a dit…

Là, il y a quelque chose que je ne comprends vraiment pas. Je vais vous préciser de quoi je parlais précédemment pour la série de planches:
Le dictionnaire pittoresque d'histoire naturelle de Guérin (vers 1835) en 9 volumes et 720 planches livrées à part.

il y a souvent des hasards sur ebay. Aujourd'hui se terminaient 2 ventes:
Un exemplaire de 5 volumes sur 9 avec 400 planches et 611 planches volantes

Le premier n'a fait que 53 euros, le second, pas encore terminé, en est à 805 euros quand j'écris ce message!! Le vendeur (malhonnêteté ou incompétence?) n'indique même pas que c'est une série incomplète (je lui avait fait remarquer que c'était un peu gros pour un professionnel). Qu'est ce qui peut justifier une telle différence de prix?


Question subsidiaire:
Christie's est-il en crise? Ils n'ont pas vendu cher leur série!

Wall

Bergamote a dit…

C'est magnifique. J'adore les doublures, je trouve ça très distingué. La reliure rose, quoique très surprenante, est ravissante.
Le seul petit "défaut" que je trouve au contreplats doublés, c'est le manque de symétrie : à gauche la doublure en maroquin, à droite la garde volante en soie.

[c'est l'effet du flash, ou ton La Henriade crie "cire !" ?]

martin a dit…

L'incompétence est évidente. Mais bon, c'est ebay. Toujours amusant de découvrir ces éditions originales rarissimes ou bien une "planche non collée sur la planche"; pourquoi pas?

Hugues a dit…

Chère Bergamote,
Aucun de mes rares maroquins ne crie "cire"! Sourire. Je ne cire pas, ou fort peu, et uniquement des veaux qui ont tendance à s'assécher. Je pense que c'est l'effet du flash ou du maroquin gauffré de cet ouvrage.
H

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