« Après le plaisir de posséder des livres, il n'en est guère de plus doux que celui d'en parler. » Charles Nodier

"On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact journalier des bibliophiles, des libraires et des livres."
Henri Beraldi, 1897.

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samedi 11 août 2012

la reliure par l'image: les belles reliures de Pierre Duodo

Amis Bibliophiles Bonsoir,

C'est le portrait de Lauverjeat (http://bibliophilie.blogspot.com/2008/06/portrait-dun-bibliophile-gilles-alias.html) qui me mît la puce à l'oreille: notre expert en héraldique rêvait d'une reliure de Duodo. Mais qui donc est ce Duodo que je ne connaissais pas? Et qu'ont de particulier ses reliures?

Pierre Duodo n'est pas l'un de ces grands relieurs de l'histoire, c'est l'un de ces grands bibliophiles qui ont donné leur nom à un style de reliure, comme Grolier par exemple. Diplomate vénitien du 16ème siècle, Pierre Duodo (1554 - 1610) fut ambassadeur auprès de Henri IV. Il fit relier à Paris environ 150 volumes (133 sont aujourd'hui identifiés, qui correspondent à 90 ouvrages) qui ont marqué la bibliophilie pour plusieurs raisons: le choix de couleurs de maroquin spécifiques selon le genre de l'ouvrage, le décor particulier qui donnera l'expression "à la Duodo", et l'erreur d'attribution de ces reliures, dont on ignora longtemps le commanditaire.

Les maroquins de couleurs: Duodo opta pour des maroquins de couleurs différentes pour chaque genre d'ouvrage. Ainsi le maroquin citron était destiné aux ouvrages de sciences, principalement la médecine et la botanique, le maroquin rouge réservé aux ouvrages de théologie, de droit, de philosophie et d'histoire, et le maroquin vert olive pour la littérature.

Le décor choisi par Duodo pour ces maroquins est extrêmement caractéristique et pourrait se décrire comme suit: un semis régulier de 14 ovales floraux (pour chaque plat), inscrit dans un cadre composé d'une bande de feuillages et de palme, et bordé d'un double filet doré. Les ovales sont composés de couronnes de branches de laurier enserrant une fleur (qui peut être une pivoine, un pavot, une pensée, etc.). Au centre des plats, on trouve les emblêmes de Duodo: sur le premier plat dans un ovale légèrement plus grand "une bande courbe chargée de trois fleurs de lys", et sur le second plat, dans un même ovale, un pied de trois lys au naturel entouré de la devise familiale des Duodo "Expectata non eludet". Le dos est orné des mêmes fers ovales et d'un encadrement de feuillage. Quand le dos est trop étroit, comme sur un des volumes d'Esmerian, l'encadrement est alors absent.
Les 133 volumes qui lui sont aujourd'hui attribués (et dont certains apparaissent régulièrement lors de grandes ventes) ont également ceci de caractéristique qu'ils sont tous de petits formats, généralement in-12, ce qui peut donner à penser qu'ils formaient une forme de bibliothèque de voyage. Dans tous les cas, l'approche méthodique qui attribue une couleur de maroquin à un genre est très intéressante à mes yeux.

En fait, les volumes apparurent d'un seul bloc sur le marché anglais de livre à la fin du 18ème siècle (c'est aussi ce qui c'est passé pour les Pillone, il semble que ces bibliothèques extrêmement cohérentes, en particulier au niveau de la reliure, résistent mieux à la dispersion sur le long terme). Elles furent acquises par un libraire qui les dispersa ensuite. Jusqu'à ce que Ludovic Bouland démontre en 1920 que ces reliures avaient en réalité appartenu à Pierre Duodo, elles furent longtemps injustement attribuées à Marguerite de Valois (1553 - 1615), première épouse d'Henri IV. Bouland a en effet apporté la preuve que la bande courbe aux trois fleurs de lys correspondait aux armes de Duodo: le diplomate vénitien se vît remettre un diplôme royal l'autorisant à introduire les armes de France (les fleurs de lys) dans ses propres armes le 3 septembre 1597. Il est donc quasi certain que les reliures furent exécutées après cette date, ce qui laisse un laps de temps très court à l'atelier, probablement trop court même, puisque Duodo quitta Paris 2 mois plus tard. Reste à savoir quand il en prît exactement possession : lui fût elle envoyée ou en prît-il possession lors de passage suivant à Paris, qui n'eût lieu que 6 ans plus tard?

Je n'ai pas vécu au début du 17ème et je ne sais pas quelle confiance on pouvait alors accorder à la malle poste, mais je suis bibliophile et si je mets à la place de Duodo, il me semble impossible qu'il ait attendu 6 ans: replaçons nous dans le contexte, Duodo imagine une bibliothèque unique, avec des couleurs de maroquin spécifiques, il fait frapper ces reliures d'une dorure particulière et des armes de France, etc.
On peut donc penser que cette bibliothèque, ces ouvrages, revêtent une grande importance à ses yeux, et qu'il a du mal à s'en séparer (ils sont d'ailleurs de petit format et peuvent laisser penser que c'est une bibliothèque de voyage de luxe qui s'est ainsi construite sous nos yeux)... il ne pourra donc raisonnablement attendre 6 ans pour les caresser et les lire. Et on ne peut imaginer que l'atelier n'ait eu besoin que de deux mois pour relier et dorer 133 volumes, à moins que les ouvrages ne fussent prêts et qu'il ne restât plus qu'à frapper les armes (peu crédible, non)? A moins encore que les volumes ne lui aient été envoyés au fur à et à mesure de l'atelier. Cette partie de l'histoire des Duodo reste à élucider. Certains experts pensent même que Duodo ne rentra finalement jamais en possession de sa bibliothèque et qu'elle l'attendit en vain pendant 200 ans à Paris avant que les vicissitudes de la Révolution de la conduisent de l'autre côté de la manche.

De même que le nom de l'atelier, qui reste aujourd'hui encore inconnu. Dans tous les cas, l'uniformité des fers utilisés et même des coutures des reliure démontrent qu'un seul atelier eu la responsabilité de ce travail. La qualité de cet atelier fait penser à celui de Clovis Eve (c'est l'option de R. Esmerian) mais l'emploi sur deux d'entre elles d'un décor spécifique à également conduit Hobson à identifier un autre atelier, nommé l'"Atelier de la seconde Palmette". Le décor à la Duodo, qui n'est pas très éloigné des fanfares de la même époque fût par la suite copié, notamment au 19ème siècle par Thibaron-Joly.

H

La référence: L. Bouland, Livres aux armes de Pierre Duodo.

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