« Après le plaisir de posséder des livres, il n'en est guère de plus doux que celui d'en parler. » Charles Nodier

"On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact journalier des bibliophiles, des libraires et des livres."
Henri Beraldi, 1897.

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dimanche 27 octobre 2013

Le prix de la passion, l'exceptionnel livre d'heures imprimé par Tory, au chiffre de Marie de Médicis

Amis Bibliophiles bonjour,


La salle des ventes de Bayeux proposait aux enchères dimanche dernier un livre d’heures imprimé par Geofroy Tory.

En voici la description au catalogue :




Exceptionnel livre d’heures au chiffre de Marie de Médicis. HEURES-Horae in laude(m) béatiss, virginis Mariae, Ad usum Romanum.

(Au colophon) Parrhisiis (Paris), Ex officina Gotofredi Torini biturgici (Geoffroy Tory), 20 octobre 1531, 1 vol in-8 réglé (imprimé en 2 couleurs noir et rouge) non paginé de 3 feuillets blancs-160 feuillets (A-V8)-3 feuillets blancs.
Notre exemplaire est illustré d’un titre gravé, de 17 planches et d’un colophon gravé. Les gravures sont exécutées au trait, le texte est entouré de bordures richement composées d’arabesques, d’emblèmes, de devises et de symboles variés (dont le F couronné de François 1er et le C couronné de son épouse Claude).
Le titre, la première page de texte (juste après le calendrier), l’ensemble des planches (avec l’encadrement des pages de texte en regard) ainsi que le colophon sont entièrement rehaussés de couleurs et d’or.


Reliure légèrement postérieure (extrême fin XVIe-tout début XVIIe) en maroquin havane richement décorée (sur les deux plats et au dos) « aux petits fers » et frappée au centre de chaque plat du chiffre (double M dont l’un est inversé non couronné) de Marie de Médicis entouré d’une couronne de laurier, gardes blanches, tranches dorées, reste de liens. 

Etat : Coiffe supérieure absente ayant entrainé une perte substantielle de peau dans la partie supérieure de  l’entre-nerfs de tête sinon exemplaire en excellent état (pas de rousseurs, pas de déchirures, pas de salissures, pas de feuillets déreliés ni désolidarisés) ; aucune usure en reliure, pas « d’insolation » ni de griffures ; les ors sont vifs. Ex-Dono daté du 15 juillet 1804 (en partie illisible) manuscrit sur le premier contre-plat.

Notre exemplaire est truffé d’une grande planche dépliante en 4 volets (rehaussée elle aussi) contemporaine de par son exécution et du trait à l’ensemble du livre. Placée (collée) au recto du feuillet E (entre la fin « des petites heures de la vierge Marie »et le début des « sept psaumes pénitentiaux ») cette gravure intitulée « triomphe de la vierge Marie » est une symbolique mettant en scène les allégories et les vertus défilant devant la vierge en annonciation.


L’ensemble est légendé d’un texte (en français) sur 5 colonnes. Le placement de cette planche n’enlève (ni ne supprime) en rien la cohérence des textes ; « les petites heures » étant terminées par un rappel du titre principal en rouge et le début des psaumes commençant par deux magnifiques planches (en préambule) représentant l’annonciation. De plus en regardant le feuillet par transparence excepté la signature du feuillet rien ne laisse entrevoir une typographie quelconque. 
Exceptionnel et magnifique livre d’heures au chiffre de Marie de Médicis vraisemblablement un livre « de présent »…

Il y avait quelques remarques à faire sur cette description que l’expert ne manqua pas de faire lors de la présentation  du livre et que les amateurs prêts à enchérir, une dizaine semble-t-il, devaient connaître.

La planche dépliante fait bien partie du livre. En effet, elle est signalée par Auguste Bernard (Geofroy Tory, Paris, 1865, page 167). Elle était d’ailleurs reproduite dans le catalogue Tory  de l’exposition au château d’Ecouen (exemplaire Edmond de Rothschild). Elle tire son inspiration des gravures du Songe de Poliphile sa légende est en alexandrins.

Cette édition appartient au  groupe de livres d’heures de Tory dans le style « à l’antique »  c’est à dire typique de la Renaissance et à l’époque signe de modernité, en opposition aux décors de type gothique ou de type ganto-brugeois. 

Les grands bois gravés dans le style ultramontin présentent des décors en perspective et l’impression est en caractères romains. C’est la dernière édition de Tory en ce qui concerne les Heures « à l’antique ».

Le livre est rehaussé de coloris d’époque et se présente sous une reliure légèrement postérieure dans un décor à la fanfare ; deux atouts majeurs.

L’attribution du  monogramme double M  inversés à Marie de Médicis est récusée par l’expert au moment de la vente. Il n’est en effet pas couronné (différent de OHR 2504  par exemple).


Personnellement je me demande s’il ne faut pas y lire simplement les initiales Ave Maria, comme je connais un exemple sur un bréviaire où la barre horizontale du « A » n’est pas tracée ?

Après un long préambule, les enchères commencèrent à l’estimation haute  de 5 000 euros pour atteindre en un clin d’œil 25 000 euros. L’ardeur se ralenti fortement vers 50 000/ 60 000 euros pour laisser la place à un duel d’enchérisseurs. Les 70 000 euros me semblaient la limite de la raison, et probablement l’avis du plus grand nombre. Pourtant, un quart d’heure plus tard, la passion poussait les enchères à 185 000 euros ! 

Reverra t-on ce livre ?

Il existe à Chantilly une autre édition, de 1525,  très délicatement rehaussée mais en reliure du XIXe.

Des livres imprimés par Tory, les livres d’heures très appréciés au XIXe semblaient un peu délaissés ces temps derniers au profit bien sûr du Champfleury. Cette enchère préfigure peut être un nouveau retournement de tendance et un nouvel engouement.

Lauverjat.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est vrai que l'attribution à Marie de Médicis n'est pas assurée, mais il n'empêche : la conjonction d'un livre d'heures de Tory et d'une belle reliure me suffit ! A 5000 euros, c'était une belle affaire ; à 185 000, c'est un peu au-delà de mes moyens.
Merci Lauverjat pour ce compte-rendu. J'avais noté la vente et je cherchais justement le résultat !
Philippem

Pierre a dit…

Je comprends que cela soit un ouvrage inestimable mais suis quand même effrayé de connaitre sa nouvelle estimation ;-)) Pierre

Textor a dit…

J’apprécie les impressions de Tory mais 185 keuros cela n'a pas de sens !
Textor

Anonyme a dit…

Cela n'a pas de sens car c'est sans doute moins pour l'acheteur en % de son revenu mensuel, que 90 euros pour certains clients qui me demande de payer un livre à 90 euros en 2 chèques de 45 euros. La passion à un prix, mais les conséquences sur la trésorerie mensuel ne sont pas les mêmes pour tous. Je ne me prononcerai pas sur le plus passionné des deux acheteurs ? Cela porte le livre à 15 ans de Smic. La fracture sociale entre bibliophiles laisse pantois.

Un libraire qui a les deux types de clientèles.

Anonyme a dit…

... la fracture sociale est de mise dans tous les domaines... entre mon budget à la FIAC ce samedi et celui de ceux qui achetaient des tableaux à 300 ou 400 000 euros, il y avait une marge très importante ! C'est ainsi et je pense que chacun avec ses propres moyens peut être soit passionné soit en quête d'un investissement à sa portée.
Ceci étant 185 000 euros pour une impression de Tory... cela ne peut être que de la passion (et là, je tire mon chapeau) parce que pour un placement, c'est un pari très risqué à un tel prix !
Xavier, qui retourne sur Ebay en quête d'un merle blanc à 10 euros

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