« Après le plaisir de posséder des livres, il n'en est guère de plus doux que celui d'en parler. » Charles Nodier

"On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact journalier des bibliophiles, des libraires et des livres."
Henri Beraldi, 1897.

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lundi 1 décembre 2014

Les grands livres / dans la bibliothèque du Bibliophile: La Découverte australe Par un Homme-volant, de Nicolas Restif de la Bretonne

Amis Bibliophiles bonsoir,
 
Quand on cherche un ouvrage depuis longtemps, c'est toujours un immense plaisir de le voir rejoindre sa bibliothèque. Celui-ci en particulier...
 
La Découverte australe Par un Homme-volant, ou Le Dédale français Nouvelle très-philosophique: Suivie de la Lettre d'un Singe
Restif de la Bretonne (Nicolas-Edme)
Leipzig, Et se trouve à Paris, s.d. [1781].
Quatre tomes en 2 volumes in-12, demi-chagrin bordeaux, dos orné, pièces de titre et de tomaison vertes, tranches lisses (Reliure moderne).
Édition originale de ce roman utopique très recherché. Elle est illustrée de 23 jolies et curieuses figures gravées en taille-douce, dont une dépliante, lesquelles représentent l'homme-volant prenant son envol et plusieurs créatures hybrides. Ces planches ne sont pas signées. Annotations manuscrites à la plume dans la marge d'une page.
 
 
L'exemplaire est bien complet du rare faux-titre intitulé oeuvres posthumes de N, daté 1781. Plusieurs feuillets plus courts, restauration de papier sur le bord du titre du tome III et en marge de la planche dépliante. Le bord d'une des planches est replié. Tome IV, manquent le feuillet P6, correspondant aux pages 335-336, et les 3 derniers feuillets adressés au lecteur avant la table des figures.
Ce roman, publié en 1781, est une œuvre foisonnante, multipliant les genres littéraires, tenant à la fois de l’utopie sociale et politique, du fantastique, de la science-fiction et du voyage de découverte. Rétif l’a fait illustrer par son dessinateur fétiche, Binet (sur lequel on sait fort peu de choses), choisissant vraisemblablement, comme à son habitude, les épisodes pour lesquels il souhaitait des gravures. Dans l’édition originale, un commentaire de Rétif accompagne d’ailleurs, le plus souvent, les illustrations.
Le héros du roman, Victorin, est amoureux de Christine, qui est la fille de son seigneur : cet amour paraît donc impossible. Mais il réussit à mettre au point une machine qui lui permet de voler, grâce à un système de pédales et d’ailes articulées.

 
Grâce à ce formidable instrument de pouvoir, il enlève Christine et l’emmène jusqu’au sommet d’une montagne, le « Mont-Inaccessible », auquel on ne peut accéder que par les airs. Puis, il y fait venir d’autres personnes soigneusement choisies, et fonde une société (dont Victorin et sa famille, qui possèdent le pouvoir de voler, forment l’aristocratie) où doit régner le bonheur parfait. Au bout d’une vingtaine d’années, Victorin décide de quitter sa montagne pour aller à la découverte des îles australes, afin d’y créer un vaste royaume du bonheur. La première île découverte est l’île des « Hommes de nuit », « créatures presque humaines » qui ne vivent que la nuit. Victorin y fait venir tous les membres de la colonie du « Mont-Inaccessible », et l’île est baptisée « île Christine ».
Dans les années qui suivent, les hommes-volants découvrent les autres terres australes et leurs populations, constituées d’êtres étranges et fantastiques, le plus souvent créatures hybrides hommes- animaux : les Patagons (hommes géants), les hommes-ours, les hommes-chiens, les hommes-cochons… Chaque fois, les Christiniens s’emparent d’un couple d’hommes-animaux pour les éduquer selon leurs mœurs, et les croiser avec d’autres espèces afin de réduire leur part d’animalité : vaste mission de colonisation civilisatrice ! Le dernier peuple rencontré est celui des Mégapatagons, qui ont réussi à réaliser la cité rétivienne idéale : égalité des êtres, communisme, mesures natalistes… Mais Victorin, conscient que les Européens ne sont pas prêts à de pareils usages, se borne à recommander un perfectionnement des anciennes lois, en attendant le temps de la perfection.




 
Jacques Lacarrière, dans sa préface de l’œuvre dans la collection « Bouquins », met en avant un certain nombre de points intéressants pour l’étude du roman de Rétif : - l’importance au XVIIIe siècle, dans la mouvance des Lumières, d’une littérature cédant abondamment à la manie « de vouloir à tout prix inventorier, disséquer et même appliquer sur cette terre les lois qui présideraient au bonheur humain. » - la corrélation chronologique du roman avec les récits de voyages de Cook, Bougainville ou La Pérouse, grands découvreurs, au XVIIIe siècle, de terres et de peuples encore inconnus. - le rappel, face aux descriptions des « paradis » naturels qui figurent dans La Découverte australe, d’un célèbre épisode de l’enfance de l’écrivain que celui-ci évoque dans son autobiographie, Monsieur Nicolas : sa découverte, à proximité du village où il habitait, d’un vallon isolé qui lui valut « sa première exaltation devant le spectacle d’une nature encore vierge ».



 
Le petit Nicolas se déclare maître de ce royaume, puis le présente à quelques camarades, « légiférant, distribuant sanctions et récompenses et appariant les couples ». - le rôle de la machine volante comme instrument de pouvoir : « s’affranchir du sol et de la pesanteur, c’est aussi s’affranchir des lois et des contingences de la terre, acquérir pouvoir et supériorité sur tous les autres hommes, devenir un surhomme plus encore qu’un oiseau. » Seuls Victorin et sa famille restent détenteurs du privilège de voler, qui leur assure le pouvoir sur leurs sujets. « Un pas de plus dans cette voie et l’on aboutira, dans le siècle suivant, à des œuvres comme Robur le Conquérant ou Le Maître du monde de Jules Verne. » Le pouvoir que confère l’invention contraint l’inventeur « à devenir aussi un philosophe, un organisateur autant qu’un technicien.
Écrite à la veille de la Révolution, La Découverte australe pressent déjà ce que sera la grande affaire du siècle à venir et sa véritable utopie : la libération possible de l’homme par les conquêtes de la technique et de la science. Restif y apparaît comme un rêveur invétéré mais un rêveur plus proche par endroits de Jules Verne et de Wells que des philosophes de son temps. » - le caractère monstrueux et inhumain de toutes les utopies qui prétendent imposer un bonheur forcé à l’être humain, par tout un système d’obligations et d’interdits touchant à chaque aspect de la vie, y compris et surtout, en matière d’amour et de rapports sexuels. La contradiction est flagrante dans le roman de Rétif : c’est pour être libre de son amour pour Christine que Victorin bâtit la cité idéale, mais dans cette cité, seuls sont libres de s’aimer librement ceux qui détiennent le pouvoir (voir le règlement de l’île Christine).
Lacarrière cite un autre texte de Rétif extrait du Paysan perverti, les Statuts du bourg d’Oudun composé de la famille R*** vivant en commun, dans lequel Rétif « imagine en plein XVIIIe siècle –sous le nom de Ferme collective- ce que seront plus tard les communes populaires en Chine. Tout y est inscrit, écrit, prévu et notifié », les repas qu’il faudra servir les jours de fête, les jeux auxquels les enfants devront jouer etc. De plus, « jamais l’inégalité foncière entre hommes et femmes (au détriment de ces dernières) n’est plus visible qu’en cette communauté où rien n’est identique –même un dessert, même un jeu- entre un homme et une femme ».  - l’imagination heureuse de Rétif en ce qui concerne les espèces hybrides merveilleuses rencontrées par les hommes-volants.
« Ce que découvrent Victorin et ses fils à travers les dizaines d’îles inconnues réparties dans l’archipel austral, c’est un peu la longue marche de l’humanité, une sorte de continent fossile où, à l’instar du Monde perdu de Conan Doyle ou de Caspak, monde oublié d’Edgard Rice Burroughs, l’on surprend des êtres qu’on croyait disparus ou légendaires, une sorte de laboratoire vivant où demeurent miraculeusement préservés tous les essais de la nature pour parvenir à l’homme. »  Mais il convient de noter aussi les naïvetés dans l’invention des langues parlées par chaque espèce (de l’onomatopée, au jargon petit nègre, pour finir par le français à l’envers des Mégapatagons) : « Tel serait en définitive l’humble et piteux secret des antipodes : on y  parle à l’envers tout en y pensant à l’endroit et en ce simple détail auquel Restif ne semble pas avoir prêté grande attention, réside le faux mystère de ce monde utopique. »
"Cet ouvrage est l'un des plus bizarres de Restif et l'un des moins communs. Les récents progrès de l'aviation ont attiré l'attention des curieux sur ce livre que nous croyons devoir augmenter rapidement de prix." (Cohen)
 
"Cet ouvrage, un des plus singuliers que Restif ait écrits, est fort recherché, non seulement par les rétiviens mais aussi par des collectionneurs de livres sur les utopies et l'aéronautique. "Il est vraiment remarquable, dit Lacroix, que Restif ait porté ses recherches sur la manière de voyager dans les airs, trois ans avant la découverte des frères Montgolfier, qui firent la première expérience des aérostats au mois de juin 1783. "Il est encore remarquable, quoique personne ne l'ait signalé, que Restif, dans cet ouvrage ait prévu un véhicule pouvant rouler sans chevaux. Dans l'intérêt de la paix, il propose une association des nations européennes. Chose encore plus curieuse, Restif, anticipant la société protectrice des animaux, demande qu'on soit juste envers les animaux." (Rive Childs).
 
"La base du système physique développé dans cet ouvrage est qu'originairement il n'y eut qu'un seul animal et qu'un seul végétal sur notre globe. Ce sont les différences de sol et de température qui ont amené la variété des êtres et produit des animaux mixtes. La description de la machine inventée par Victorin pour s'élever dans les airs, est faite pour intéresser beaucoup de personnes." (Monselet, Restif de la Bretonne, n°22)
Pour en savoir plus:

4 commentaires:

Daniel a dit…

Dommage que l'actualité masque ce grand livre et ce bel article, les gravures sont magnifiques. Où les être sont ils le plus étranges dans le vie réelle ou dans ce livre ? les petits investisseurs seront ils aussi cornus que les êtres de certaines gravures. L'histoire est a réécrire, un homme volant vous promet un panier augmentant tous les jours de plus de fruits, vous tendez la main alléché, ensuite tout tombe dans un grand bruit et les grenouille coassent, les hommes éléphants arroseurs etc, c'est le dédale français ;))

Daniel B.

Hugues a dit…

Merci Daniel pour ce commentaire rafraîchissant!
H

caual a dit…

Auriez vous une idée du prix de ces ouvrages

AC

Hugues a dit…

Bonjour Caual,

Vous pouvez me contacter à blog.bibliophile@gmail.com

H

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