« Après le plaisir de posséder des livres, il n'en est guère de plus doux que celui d'en parler. » Charles Nodier

"On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact journalier des bibliophiles, des libraires et des livres."
Henri Beraldi, 1897.

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mercredi 6 avril 2016

"Io. Grolierii et Amicorum", ou les fabuleuses reliures de Jean Grolier

Amis Bibliophiles bonjour,

Le samedi 8 octobre 2011, la salle des ventes de Montluçon dispersait l’importante collection de l’ancien maire de la ville, monsieur André Guy. 

Au programme beaucoup de régionalisme Bourbonnais, un peu Auvergnat et des provinces circonvoisines, et un nombre conséquent d’ouvrages du XVIe souvent en latin.

Comme il se doit la vente comptait quelques lots phares. Le numéro 64 donnait lieu à une bataille nourrie au téléphone. 


Il s’agissait de la seconde édition aldine (Venise, 1521),“Institutionum Oratoriarum libri XII..” de Quintilien. L’intérêt des enchérisseur était aiguillonné par la reliure de ce livre, sortie des mains de Jean Picard vers 1543-1546, à la commande de Jean Grolier. Ce volume, en veau, de format  in-8 (papier 134 x 220 mm) au décor géométrique d’entrelacs dorés délimitant des réserves rondes occupées par des fleurons dorés en écoinçons, porte au centre du premier plat le titre doré et au centre du second plat la devise “ Portio mea, domine, sit in terra viventium” du bibliophile. 

Bien sûr, le premier plat porte en queue le supra libris doré célèbre “Io. Grolierii et amicorum”. L’état de la reliure laisse cependant un peu à désirer, mors fendus, coiffes arasées, coins émoussés, “cuir du dos sec et légèrement racorni”. L’estimation imprimée était de 15 000 à 20 000 euros. Premier émoi, la mise à prix est de 20 000 euros. (Mes amis s’attristeront de savoir que je n’étais déjà plus sur les rang de toutes façons; la lecture des notices de catalogue garde ceci de plaisant que l’estimation est toujours à la fin). Mais les amis de Grolier, eux, sont nombreux et convaincus; le marteau tombe sur l’enchère de 72 000 euros aggravée de 17,642 % de frais...

Le chroniqueur de la Gazette Drouot semble un peu perdu devant ce résultat et laisse à penser que la rareté de l’édition prime sur l’origine de la reliure. Il est trop évident que l’acheteur s’est enthousiasmé pour la reliure et sa provenance.

Rappelons que Grolier (1479-1565),  trésorier général du roi de France à Milan, puis trésorier de l’extraordinaire des guerres, officier et  proche collaborateur du Grand Maître Anne de Montmorency, dont il surveille la construction de ses châteaux et administre les finances,  amateur d’art, constitua une bibliothèque célèbre. En fait trois bibliothèques successives, les deux premières seront dispersées après des revers de fortunes (on en connaît subsistant  aujourd’hui respectivement 27 et 25 volumes). Jean Grolier reconstitua sa bibliothèque après 1538, confiant ses travaux de reliures aux maîtres parisiens.

Qu’en est-il de la rareté? Quelques 450 volumes de cette dernière bibliothèque, qui en comptait peut-être 3000,  sont parvenus jusqu’à nous. Parmi ceux-ci les ouvrages en français sont  très rares.

Les bibliothèques publiques et les institution comptent donc de nombreuses reliures "de" Grolier qui sont régulièrement exposées. De mémoire, la bibliothèque de Mariemont en possède une, la bibliothèque Municipale de Versailles deux comme celle de Nancy et celle de Vesoul qui en a découvert deux dans ses réserves il y a peu d’années. La bibliothèque du Château de Chantilly conserve une quinzaine de reliures Grolier dont une Bible de Robert Estienne offerte par Grolier à Christophe de Thou. La bibliothèque Mazarine est un peu moins riche... La Wittockiana malgré ses réorientations conserve encore quelques reliures Grolier invendues.

En fréquentant les ventes récentes, il était aussi "possible" de faire son marché.


Chez Christie’s, la première vente  Wittock à Londres proposait sept “grolier”: sous le n° 32, Caton, Disticha moralia, Bâle, Froben, 1526, un in-8, en veau au décor à encadrements dorés qui fit partie de la première bibliothèque de Jean Grolier avec son ex-libris manuscrit au colophon, adjugé 21 510 Livres (39 686 Dollars) frais inclus; n° 38, Ciceron, Officia..., Lyon, Trechsel, 1533, relié en maroquin vers 1540 par Jean Picard orné d’un décor géométrique typique vendu frais inclus 68 118 Livres (125 672 Dollars, le double de l’estimation haute); le    n°54, Diogenes Cynicus, Epistolae, Venise 1487 [1492], reliure in-4 veau blond glacé à encadrements et entrelacs de fers dorés et azurés réalisée vers 1555 par le relieur de Thomas Mahieu (dit “le relieur de l’Esope de Mahieu”) vendu 81 260 Livres (149 925 dollars); 


n°80 , Marullus, Epigrammata et Hymni, Paris, Wechel, 1529, in-8, reliure moderne à l’imitation, ex-libris manuscrit de Grolier, estimé de 9 100 à 12 000   mais non vendu; n° 91, Pic de La Mirandole, Hymni heroici tres, Strasbourg, Schürer, 1511, in folio veau brun, grand décor d’entrelacs géométriques dorés du relieur Jean Picard, estimé 76 000 à 120 000   et non vendu;  n° 103, Sadolet, Interpretatio in Psalmun Miserere mei Deus, Lyon, Gryphe, 1533 (suivi de in Psalmum XCIII interpretatio,1534), in-8 relié par l’atelier  “à la fleur de lis” veau orné de filets à froid et dorés en encadrement, grands fleurons dorés aux coins et large composition d’entrelacs floraux en losange au centre des plats, estimé de 16 000 à 23 000   et non vendu;


Enfin le n°118 qui terminait la vacation et ornait la couverture du catalogue, Vigerus, Decachordum Christianum, Fano, Soncinus, 1507, reliure en veau fauve ornée d’entrelacs géométriques dorés et peints en vert et blanc formant un encadrement central où se logent 3 cercles contigus peints en noir par le  relieur dit “à l’arc de Cupidon” vers 1547-1553 estimée entre 38 000 et 53 000   et non vendu.

La troisième partie de la vente Wittock, le 7 octobre 2005, à Paris, proposait 5 livres de Grolier, soit les numéros 24, Hérodien, Historiarum libri, Venise, Alde, 1524, in-8, reliure de Jean Picard vers 1540, maroquin olive discrètement restaurée à encadrement de filets dorés et à froid assez sobre, livre vendu frais inclus 66 000 euros;  

Le n° 27, Huttich, Imperatorum romanum libellus. Strasbourg, Köpfel, 1526, un petit in-8 en veau fauve de l’atelier dit “à la fleur de lis” vers 1540, adjugé 85 000   (102 000 avec les frais) acheté par la maison Spink & Son à Londres précisait la Gazette de l’époque;  n° 32 Lopez de Zuniga, Annotationes contra Erasmum Roterodamum (suivi de) contra Iacobum Faabrum Stapulen (Lefèvre d’Etaples), Alcala de Henares, 1520 et 1519, in-folio veau de Jean Picard au fantastique décor d’entrelacs géométriques peints et dorés (dos orné au XVIIe d’un semé de fleurs de lys) adjugé 90 000   (108 000   avec les frais);  n°38, Pigghe, Hierarchiae ecclesiasticae assertio.. Cologne, Melchior Novesianus, 1544, in folio de veau fauve de Jean Picard au décor de feuillages dorés et d’entrelacs géométriques dorés, autrefois peints en noir, non vendu (estimé 60 000 à 90 000); n°41, Polybe, Historiarum libri quinque..., Venise, Alde, 1521, in-8 maroquin blond de l’atelier  “à la fleur de lis” assez semblable au n°27 qui coûta 46 800   frais inclus.

Chez Christie’s toujours, le 7 juillet 2010, nous trouvons à la vente (the Arcana collection, part 1) l’édition originale Aldine incunable de 1499 de l’Hypnerotomachia Poliphili dont Hugues s’était fait l’écho ici. Ce livre frais inclus atteignit 313 250 Livres (473 321 Dollars).

Les ventes Bérès virent l’adjudication de deux livres. Lors de la deuxième vente le 28 octobre 2005, le °48:


Simonet, De Christiane fidei et romanorum pontificum persecutionibus, Bâle, Kester, 1509, un in-folio en veau brun redevable à Estienne Gommar vers 1555, l’un des derniers relieurs de Grolier, au décor d’entrelacs dorés et peints, courbes, au dessin nouveau de “cuir enroulé”, au dos lisse muet orné de croisillons dorés, obtint 200 000   le double de son estimation (plus 21,10 % de frais).  


Le n°10 de la quatrième vente, le 20 juin 2006, Saint Jean Chrysosthome, Aliquot homiliae (suivi de) In epistolam divi Pauli..., Bâle, Froben, 1533, in-4, relié vers 1540 par Jean Picard, en veau brun à décor d’entrelacs géométriques et de fleurons azurés fut adjugé 62 000 euros au marteau.

Vous me direz qu’on n’assiste pas à de telles ventes tous les jours. Nous vivons une époque d’exception!? Mais alors les livres de Grolier sont-ils rares? Précieux, raffinés, luxueux, émouvants, mythiques certes, coûteux (oh combien) et recherchés (excessivement), bien sûr, ils sont à l’évidence moins rares que certains mandements d’évêques crottés du XVIIe... Mais ces derniers n’intéressent personne, personne ne les recherche et ils ne font rêver personne. Dommage, des mandements, j’en avais.

Lauverjat

Sur Grolier et ses reliures la littérature est abondante et la recherche toujours renouvelée et actualisée, sur le personnage on peut encore consulter :
Antoine Leroux de Lincy Recherches sur Grolier, sur sa vie et sa bibliothèque, suivies d’un catalogue des livres qui lui ont appartenu, Paris, L. Potier, 1866. (Numérisé par Google)

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