« Après le plaisir de posséder des livres, il n'en est guère de plus doux que celui d'en parler. » Charles Nodier

"On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact journalier des bibliophiles, des libraires et des livres."
Henri Beraldi, 1897.

frise2

frise2

mardi 31 janvier 2017

Faust en bibliophilie: des manuscrits, de la littérature, mais surtout du rêve…..

Amis Bibliophiles bonjour,

C’est l’achat récent d’un manuscrit “faustien” de magie du début 18ème, qui m’a conduit à m’intéresser de plus près à ce personnage et à écrire cette note, dont l’objet n’est pas uniquement bibliophilique. 

J’aimerais en effet, sans prétention aucune - le mérite revenant surtout aux auteurs que j’ai pillés (!) -, en profiter pour faire mieux connaître le personnage de Faust, qui n’est étranger à personne, mais qu’on ne connaît généralement que très superficiellement.

La légende de Faust m’était un peu familière, mais j’ignorais par exemple absolument qu’il existait des manuscrits de ce type avant de tomber sur celui-ci.

Ce genre de texte est censé correspondre à ce que pouvait utiliser Faust dans ses supposées invocations. Il existe ainsi un certain nombre  d’imprimés et de manuscrits faustiens, et ils sont certainement apocryphes, ne serait-ce que du fait du temps écoulé entre la mort de leur prétendu auteur et leur apparition - en général 150 ans au moins (cf André Dabezies “Faust magicien et ses oeuvres de magie”, article paru dans le numéro des cahiers de l’hermétisme consacré à Faust, pages 67 à 76 - publié en 1977). Cet auteur a aussi publié “Mythe de Faust” en 1972, qui semble être une référence.

Il s’agit ici d’une version fidèle du “Höllenzwang” (un livre de magie noire publié au début du 17ème). Il semble - mais je ne suis pas du tout certain - qu’il soit suivi d’un autre manuscrit faustien (je n’arrive pas à comprendre la notice de la maison de vente (!); en tout cas les deux cahiers n’ont pas la même hauteur). Le voici:







L’intérêt de ce genre de document, de mon point de vue, est qu’il nous parle des grands dérèglements  de l’imagination, tout comme le font de leur côté, à leur façon, la littérature fantastique, le roman gothique (le Moine, Melmoth etc), ainsi que le vampire (historique ou littéraire), la sorcellerie et Sade. C’est en tout cas le dénominateur commun que je veux voir à tous ces sujets et qui me fait m’intéresser de près à chacun d’eux.

Je ne sais pas du tout évaluer la rareté des manuscrits faustiens ni même l’intérêt qu’ils suscitent car je ne connais pas le marché allemand et je suis incapable de lire cette langue -ce qui constitue un très gros obstacle. 

Il parait qu’on les trouve difficilement de nos jours, alors qu’il en circulait autrefois, aux 17ème et 18ème siècles. Mais je ne suis pas certain qu’il s’agisse forcément d’objets  de grande convoitise, sauf probablement ceux qui sont spectaculairement  illustrés.

Voici la notice d’un autre manuscrit du Höllenzwang conservé à la fondation Bodmer (Pour le consulter en entier: http://www.e-codices.unifr.ch/fr/fmb/cb-0066/1/0/Sequence-1505 ):

Au début du dix-septième siècle fut publié un livre de magie noire attribué au Faust mythique, connu sous le nom de Höllenzwang. La bibliothèque de Weimar contenait un manuscrit de cet ouvrage dont Goethe avait pris connaissance. C’est un manuscrit semblable que Martin Bodmer put acquérir en 1949. Ce document, difficilement datable, est écrit en signes cabalistiques, censés, d’après la glose écrite en allemand, renfermer une série de formules magiques à l’usage des exorcistes, pour susciter, notamment, les sept esprits du mal.

NB: je signale l’existence d’une transcription française  moderne d’un manuscrit faustien intitulé “Le corbeau noir ou la triple contrainte de l’enfer” (éditions du Monolithe: http://www.editionsdumonolithe.com ).

Le contenu de ces textes n’est pas très original, et ils ne se réfèrent guère au patronyme de l’auteur supposé. On y trouve surtout des formules et recettes magiques, dont on peut retrouver à peu près tous les éléments dans d’autres recueils semblables attribués à d’autres que Faust. Ils sont certainement tout simplement le fruit du goût d’un certain public du 18ème siècle pour les livres et opuscules de magie, de la même façon que les succès de Cagliostro, de Mesmer, de Saint-Martin et de tant d’autres coexistaient avec l’élan rationnaliste et scientifique de ce siècle (1) (cf l’article d’André Dabezie).

Ainsi, ces textes de magie sont, je crois, à voir comme des curiosités. Ils témoignent en tout cas de l’intérêt porté bien après sa mort au personnage de Faust.

Il est temps maintenant d’en venir à l’origine de la légende de Faust. J’ai utilisé sans grandes modifications des parties de l’article: “De Cyprien le magicien au docteur Faust: la légende du pacte diabolique et ses origines grecques", par Pascal Boulhol -Marseilles, palais des congrès, samedi 25 septembre 1999. Il m’a fallu à regret faire certaines coupes pour que la longueur de mon texte reste raisonnable.

J’ai complété certains points, notamment  grâce à l’article d’André Dabezies cité plus haut, et présenté  en gras certains passages.

Le Faust historique, la naissance de la légende.

Johann Faust a vraiment existé. En réalité, il se prénommait Jörg ou Georg. Une bonne douzaine de documents rédigés de son vivant parlent de lui, et deux fois plus dans le demi-siècle qui suivit sa mort, mais cela nous renseigne cependant de façon seulement incomplète. On l’a par exemple  confondu avec l’associé de Gutenberg.

Il était allemand. Il naquit vers 1480 à Knittlingen (Wurtemberg) et mourut probablement à Staufen im Breisgau, vers 1540. Il mena une vie voyageuse, voire vagabonde, parcourant toute l'Allemagne centrale. 

Un mot résume parfaitement sa personnalité: charlatan. Faust était un beau parleur qui, fort de quelques connaissances en astrologie et d'une bonne maîtrise de l'art de la lanterne magique, sut exploiter pendant quarante ans la crédulité de ses contemporains et compatriotes

Il se prétendait astrologue et thaumaturge ; il s'était décerné le titre de "Prince des nécromants". Il tirait son horoscope, à quiconque le lui demandait, contre rémunération. De grands personnages eurent recours à ses services : l'évêque de Bamberg, le 12 février 1520, lui fit payer 10 guldens pour un horoscope ; les lettres d'un prieur bavarois, Kilian Leib (en 1528) et d'un conquistador, Philipp von Hütten (écrivant du Vénézuela, en 1540) vantent ses talents d'astrologue. Le fameux abbé et humaniste bénédictin Johann Trittheim (Trithemius), qui connut bien Georg Faust  dénonça vigoureusement dans une lettre, en 1507, son charlatanisme, son impiété et son immoralité à l’occasion d’une affaire "de fornication absolument abominable" (nefandissimo fornicationis genere) sur la personne d’enfants confiés à sa charge.

Voici la lettre en question:

Je n'ignore pas, d'ailleurs, sa nature de vaurien (nequitiam). L'an dernier, revenant de la Marche de Brandebourg, j'ai trouvé à Gelnhausen cet individu ; de lui, on m'a répété à l'auberge quantité de propos en l'air ou de promesses qui témoignent d'une belle impudence. Mais dès qu'il apprit que j'étais là, il déguerpit de l'auberge et rien ne put le persuader de se présenter à mes yeux. Par un des bourgeois, il me fit passer, comme à toi (nous en avions parlé), un avis publicitaire de sa sottise. Des prêtres de la ville m'ont rapporté que, devant de nombreux témoins, il aurait affirmé "avoir acquis une telle connaissance et mémoire de toute sagesse que, au cas où les oeuvres de Platon et d'Aristote viendraient, avec toute leur philosophie, à s'effacer de la mémoire des hommes, il serait capable, par son génie, de les restituer, comme un autre Esdras l'Hébreu, et cela intégralement et dans un style plus élégant.

Plus tard, tandis que j'étais à Spire, il vint à Würzburg et, poussé par la même vanité, il aurait dit, devant bon nombre de témoins, que les miracles du Christ Sauveur ne devaient pas susciter l'étonnement, et qu'il pouvait lui aussi, chaque fois qu'il le voulait, faire tout ce que le Christ avait fait.

On pourrait citer d’autres jugements portés sur lui par de grands esprits du temps.

Dans le même ordre d’idée, par exemple, le Conseil municipal de Nuremberg refusa l'accès de la cité, le 10 mai 1532, au "Docteur Faust, grand sodomite et nécromant". Quoi qu’il en soit, Faust quittait les lieux dès qu'il se sentait démasqué.

Faust était à peine mort, vers 1540, dans des circonstances obscures, probablement tragiques, et ayant dû marquer les esprits, que déjà la légende s'emparait de lui. 

Une foule d'historiettes et d'anecdotes circulent sur son compte dès cette époque. Il s'agit (voir André Dabezies, Mythe, p. 12) de "récits souvent narquois, parfois effrayés, faisant appel implicitement au vieux fond de bon sens, de moralisme et de religion ou de superstition qui constitue la sagesse populaire ; le diable prend de plus en plus de place, les prodiges se multiplient."

Cette légende de Faust qui est en train de naître semble s'être développée dans les cercles luthériens, et spécialement à Wittenberg, autour de Philip Mélanchton (1497-1560), le fameux réformateur, disciple et ami de Luther et rédacteur de la Confession d'Augsbourg

L'histoire haute en couleurs de Faust évolue ainsi en légende édifiante dans une série de récits racontant la mort du charlatan. Le premier en date de ces récits est dû au pasteur bâlois Johannes Gast, dans ses Sermones conviviales (1548) : on y voit le diable, qui accompagnait Faust sous la forme d'un animal, finir par l'étrangler, et le cadavre du magicien maudit, couché dans le cercueil, se remettre toujours de lui-même la face contre terre. Environ deux ans plus tard, donc vers 1550, un "propos" de Mélanchton rapporté en 1563 par Johannes Manlius évoque Faust et sa fin terrible .

Voici ce propos (rapporté par Joh. Manlius, Locorum communium collectanea (1563). (A. Tille, Die Faustsplitter, n°12):

J'ai connu un homme du nom de Faust, de Kundling, une petite ville peu éloignée de mon pays. Fréquentant les écoles de Cracovie, il y avait étudié la magie (...). Il voyageait ici et là, un peu partout, et racontait beaucoup de choses mystérieuses. Un jour, à Venise, il voulut donner un spectacle et annonça qu'il allait voler jusqu'au ciel. Le diable l'emporta en l'air (2), l'y tourmenta et le secoua de telle façon que, retombé sur le sol, il resta étendu, presque mort. Cependant, il ne mourut pas cette fois-là.

Il y a quelques années, le même Johann Faust, la veille de sa mort, était assis, très abattu, dans un village du Wurtemberg. L'aubergiste lui demanda les raisons de cette mine abattue, contraire à son caractère et à ses habitudes (il était en temps ordinaire un chenapan des plus infâmes et menait une vie complètement dissolue, au point qu'il avait failli plusieurs fois être tué à cause de ses débauches). Faust répondit à l'aubergiste que, s'il entendait quelque chose pendant la nuit, il ne devrait pas s'effrayer. À minuit, un grand vacarme retentit dans la maison. Au matin, Faust ne se leva pas. Quand midi sonna, l'aubergiste prit avec lui quelques hommes et entra dans la chambre où Faust avait couché (3). On le trouva près de son lit, mort ; le diable lui avait tourné le visage vers le dos.

Plusieurs Chroniques, entre 1560 et 1580, reprennent et enrichissent l'image diabolique de celui qu'on n'appelle plus désormais que Johann (et non Georg) Faust, suite à l’erreur de Melanchton.

Parmi celles-ci, la Chronique d'Erfurt rédigée par Zacharias Hogel vers 1580, présente l'intérêt de mentionner pour la première fois le pacte avec le diable, un thème qui ne sera plus jamais dissocié de la légende de Faust et qui en deviendra même le thème fondamental.

La Chronique d'Erfurt ne se borne pas à introduire le thème du pacte avec le démon. Elle transforme Faust en profond humaniste utilisant ses pouvoirs magiques pour ressusciter l'héritage antique. L'astrologue réussit, par la puissance de son verbe, à obtenir la chaire de Grec à l'Université d'Erfurt. Là, pour mieux expliquer Homère, il fait apparaître devant ses étudiants stupéfaits (peut-être à l'aide d'une lanterne magique) les héros de Troie et les monstres de la mythologie, notamment le cyclope Polyphème, qui, avant de disparaître, tente de dévorer une paire d'étudiants épouvantés. Comme certains de ses collègues déploraient la perte de comédies de Plaute ou de Térence, il leur proposa de ramener au jour ces textes disparus, le temps de les faire recopier ... ce que refusèrent lesdits professeurs, effrayés par la science magique ou la nécromancie que supposait un tel exploit.

Le Faustbuch de 1587:  (NB:un résumé de ce livre figure dans l’article de Pascal Boulhol)

La légende de Faust était donc déjà bien esquissée lorsque parut sans nom d'auteur, à Francfort, pour la foire d'automne de 1587, le premier en date des grands "récits populaires" (Volksbücher) la prenant pour objet. Il s'agissait d'un petit livre intitulé : Histoire du docteur Johann Faust, très célèbre magicien et nécromant. Comment, à terme fixe, il vendit son âme au Diable et quelles singulières aventures il connut, vécut ou provoqua avant de recevoir enfin sa récompense bien méritée. L'ouvrage sortait des presses de l'imprimeur luthérien Johann  Spiesz. La "Préface au lecteur chrétien" invite celui-ci à se défier du diable et de la magie; la fin de Faust est assez effrayante et triste.

Cela dit, comme le souligne André Dabezies, aucun document contemporain de Faust ne suggère la réalisation des prodiges dont il se vantait, aucun ne parle de sorcellerie, ni de magie, encore moins d’alchimie, aucun ne mentionne ses écrits magiques, ni même ses écrits tout court: le Johann Faust du livre de 1587 n'a presque plus rien à voir avec son modèle historique Georg Faust. La légende a fait son travail.

Remarque: L’eo française de ce livre (ou plus précisément de la reprise qui en a été faite par un certain Widmann) est de 1598; elle semble introuvable. Voici un lien pour la consulter: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111776j (si le lien ne fonctionne pas, taper: fauste espouvantable  binet 1598 et choisir l’occurence gallica).  Il existe une dizaine d’éditions françaises au 17ème siècle, toutes très difficiles à trouver. Le traducteur est Palma de Cayet. Voir Yve Plessis, n° 1633, pour la liste. L’édition de 1712, illustrée d’un beau frontispice, se trouve. Ce livre mérite réellement d’être lu (on en trouve facilement des éditions modernes).

Ci-dessous: l’édition de 1712 et celle de 1674 (publiée par un ancêtre de Poulet Malassis -cf la notice du catalogue de Gérard Oberlé consacré à ce dernier).





Le devenir de la légende de Faust

Les reprises, adaptations et transformations du Faustbuch se sont très rapidement multipliées. Il y a eu un nombre important d’éditions allemandes au 16ème siècle, assorties de nouvelles anecdotes. Les traductions, elles aussi, ont rapidement fleuri: en danois, anglais, français, néerlandais et tchèque dès le seizième siècle (cf Hans Henning: “La trilogie de Faust au seizième siècle et ses suites jusqu’à l’époque de Goethe” , pages 13 à 63, in Les cahiers de l’hermétisme, déjà cité. Cet article est de qualité).

Des auteurs tantôt anonymes, tantôt obscurs, tantôt illustres, comme l'Anglais Marlowe (en 1592), les Allemands Lessing (1759), Goethe (1790 pour “un fragment”, puis 1808 et 1832; eo française du premier Faust en 1823; traducteur: Stapfer), Lenau (1836), beaucoup plus tard Thomas Mann, Paul Valéry et tant d'autres ont écrit un Faust, "leur" Faust ... Maints genres littéraires ont été mis à contribution : théâtre, roman, nouvelles, poésie, essais. (cf: Faust-Bibliographie en 5 volumes publiée par Hans Hennig ;1966-1976).

A ce sujet, le Faust de Klinger (1ère version en 1791), est vraiment remarquable, même si peu connu. Il existe des éditions françaises modernes et  trois anciennes: l’eo (1798, 6 gravures en plus de celle du titre),  1802 (illustrée?? j’ai des doutes), 1825 (autre traduction que l’eo; 3 frontispices). Voir ci-dessous:






Il n'est pas facile d'expliquer l'extraordinaire succès que remporta cette légende en Occident. Sans doute était-elle riche non seulement par son contenu intrinsèque, mais aussi par ses potentialités. Elle était plastique et adaptable. Elle a "parlé" à 13 générations humaines, dans un langage toujours renouvelé. 

Car il n'y eut pas un Faust, mais 10, peut-être 100 Faust différents. Comme le dit Geneviève Bianquis (Faust à travers quatre siècles, Paris, 1935, p. 7) : "Le magicien coupable et maudit ? l'esthète ambitieux ? le "génie original" tumultueux et passionné ? le surhumain ou l'homme intégral selon Goethe ? le blasé romantique ? l'utopiste d'un monde meilleur ? Faust est cela tour à tour, selon le tempérament du poète et l'idéologie en faveur aux diverses époques".

Son histoire, alors à son état naissant, se résume pratiquement à un thème : celui du pacte avec le démon. Ce thème a survécu dans la légende moderne, depuis le Faustbuch anonyme de 1587 jusqu'à nos jours, et il est sans doute resté le plus caractéristique, en tout cas le plus populaire. La première image qui vient à l'esprit quand on prononce le nom de Faust, c'est bien celle du pacte avec le diable.

Je cite enfin A. Dabezies pour conclure (article déjà cité):

Cette efflorescence légendaire garde-t-elle quelques détails de la biographie réelle de Georg Faust? Ce n’est pas bien sûr, car elle s’est constituée à partir d’éléments mythiques et d’anecdotes d’un folklore commun. La popularité de Faust -ou peut-être l’horreur causée par sa mort- a fait cristalliser sur son nom ces éléments en une légende cohérente et dynamique. 

Toutes ces histoires de diableries, ces prodiges et ces farces jouées aux paysans balourds commes ces festins pantagruéliques, sont les motifs quasi permanents de la légende du magicien, qui dérivent dans le flot de l’imaginaire collectif du seizième siècle et se fixent sur l’une, puis sur l’autre des figures prestigieuses et ambigües de l’époque (Trittheim, puis Agrippa, puis Paracelse et Faust) comme ces algues et ces coquillages arrachés par la tempête et prêts à se fixer sur la première coque de rencontre. 

En ce qui concerne la valeur biographique pour Faust, on doit dire de ces récits ce que l’érudit goethéen Ernst Beutler disait du récit populaire: “Ces pages ne conservent plus rien, plus rien du tout du Faust qui est mort environ un siècle et demi plus tôt, sauf qu’il est dit de Faust qu’il a été un grand astrologue et qu’on nomme quelques lieux où il est prouvé qu’il a séjourné. (...) Il n’y a plus là que légende et création littéraire, il ne reste nulle part de “l’histoire” [de Faust].

Puis:

Nous n’aurions guère là, en somme, de quoi faire à Faust une glorieuse réputation d’alchimiste, de mage, de prototype mystique du savant moderne! Mais en 1770 un jeune bourgeois de Francfort qui étudie le droit à Strasbourg se passionne pour les recherches ésotériques, dévore les oeuvres de Paracelse, Van Helmont, Swedenborg, et son juvénile enthousiasme confond dans un même élan les recherches obscures des anciens alchimistes et les ambitions de la science de son siècle (..et…Faust..) et les impatiences de son coeur passionné de tout vivre et de tout éprouver: d’où l’immortel monologue qui ouvre la première partie du drame de Goethe et dont l’influence (à partir de 1808 du moins) ne saurait être surestimée; c’est de cette vision poétique géniale que sort notre visage moderne -romantique en fait- d’un Faust alchimiste au savoir mystérieux, pour qui la magie et le diable ne sont plus que des moyens au service d’une intelligence audacieuse et d’un coeur généreux”.

Notes:
(1) j’ai envie d’ajouter à cette liste les “manifestations” de vampirisme en Serbie, si abondamment relayées et commentées dans la première moitié du 18ème. Il fallait peut-être trouver des substituts aux sorcières pour répondre à un besoin d’irrationnel…(l’édit ordonnant l’arrêt des poursuites pour sorcellerie date de 1682)? Voici ce qu’écrit Voltaire dans son dictionnaire philosophique: “Quoi c’est dans notre XVIIIè siècle qu’il y a eu des vampires! C’est après le règne des (...) Diderot (...) qu’on a cru aux vampires (...) Le résultat de tout ceci est qu’une partie de l’Europe a été infestée de vampires pendant cinq ou six ans, et qu’il n’y en a plus, que nous avons eu des convulsionnaires en france pendant plus de vingt ans et qu’il n’y en a plus, que nous avons eu des possédés pendant dix-sept-cents ans,et qu’il n’y en a plus…”

(2) concernant l’univers mental des populations à ces époques, voici quelques titres éloquents de “canards” (ou “occasionnels” ou “feuillets d’information”) de la première moitié du 17ème : “histoire merveilleuse et espouvantable d’un jeune homme...emporté par le diable..”, “histoires espouvantables de deux magiciens qui ont esté estranglez par le diable…”, “recit veritable de l’estrange § effroyable adventure advenue…”, “histoire prodigieuse du fanstome cavalier solliciteur, qui s’est battu en duel le 27 janvier 1615 pres Paris” (voir Seguin: “l’information en France avant le périodique, 517 canards imprimés entre 1529 et 1631”)

(3) dans le roman de Maturin (1820), Melmoth connaît une fin très similaire.


Quelques photos pour terminer:

eo du Faustbuch (source: wikipédia) et première édition connue du Faust de Marlowe (wikipédia)


eo du fragment donné par Goethe en 1790 (source: fondation Bodmer)


eo française du Faustbuch (gallica)


trois dessins issus du manuscrit Bodmer (source: fondation Bodmer)



un des dessins d’un superbe manuscrit faustien conservé à la “library of the national museum” de Prague.  Source: http://www.spamula.net/blog/2006/08/faust_in_prague.html


Philippe

8 commentaires:

Frédérick a dit…

Absolument fascinant ! Merci Philippe pour cet article, d'y avoir bien exposé les manuscrits et les imprimés existants, et surtout d'avoir mis en lumière l'origine de la légende Faustienne.

Daniel a dit…

Merci pour ce précieux article et pour votre partage, et merci à Hugues pour la tenue toujours rectiligne de ce blog, même dans les tempêtes.

Daniel B.

Unknown a dit…

Merci pour ce bel article. Je n'avais jamais entendu parler de ces manuscrits, mais il est vrai que je m'intéresse assez peu à la magie

Anonyme a dit…

Merci pour ce très très bon billet, un de ceux qui font du Blog une vraie référence... Précis, bossé, documenté, comme j'aime. Bravo & merci !

B.

philippek a dit…

Pour ceux qui ne l'ont pas vu: il y a un lien après la toute dernière photo, permettant de voir d'autres pages du beau manuscrit tchèque.

Anonyme a dit…

Séduisant manuscrit, pimenté de dessins cabalistiques.
Un captivant survol du mythe de Faust que tout le monde croit connaître ...

Une intéressante édition moderne de l'UNION LATINE D'ÉDITION est parue en 1942, une traduction du texte par Gérard de NERVAL, comportant 60 superbes illustrations hors texte de EDY-LEGRAND .

René

Anonyme a dit…

Merci à vous Philippe pour cette article.
Votre travail et très propre et soigné c'est très rare de nos jours surtout dans ce domaine.
Alastor 888.

calamar a dit…

très bel article, bravo !

LinkWithin

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...