mercredi 30 mai 2012

Truffer un livre au début du XXe siècle, la méthode directe, ou les échanges entre Anatole France, l'éditeur Pelletan et le bibliophile Adolphe Bordes

Amis Bibliophiles bonjour,

Une fois n'est pas coutume, je partage avec vous une acquisition récente, qui illustre parfaitement l'une des méthodes utilisées par les les bibliophiles pour truffer un ouvrage.

Nous connaissons tous la technique du truffage, qui consiste à interfolier des lettres ou des papiers divers, des gravures refusées ou provenant d'autres éditions, et que sais-je encore, des photographies, des cartes postales, tickets de pressing, billets de 500 euros, etc. Le plus souvent ceci se fait a posteriori... mais dans certains cas, rares selon moi, le projet est conçu dès l'édition de l'ouvrage ou presque. 

Dans le cas présent, la lettre d'Anatole France qui se trouve en début d'ouvrage décrit assez bien le processus: Adolphe Bordes, très grand bibliophile du début du XXe siècle faisant part à un éditeur, Pelletan, de son désir d'ajouter à son exemplaire (le n°1) une page manuscrite d'Anatole France à l'ouvrage avant de le faire relier par Marius Michel.

Image en haute définition, cliquez pour agrandir
Pelletan s'en ouvre à Anatole France, avec lequel il a eu le loisir de visiter la bibliothèque de Bordes, et Anatole France écrit à Bordes et l'assure de son accord. Finalement Bordes confie à Marius Michel le soin de relier la lettre d'accord de France, ainsi que la page de texte manuscrit.

Un bel exemple de la vie du microcosme rassemblant bibliophiles, éditeurs, auteurs et relieurs à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.

H

Le texte:
"A Monsieur Adolphe Bordes,

J'apprends par Edouard Pelletan qu'il vous serait peut-être agréable d'ajouter à votre exemplaire des poèmes du Souvenir quelques lignes de moi. Flatté de ce désir, je vous envoie une page de ma main, qui entrera dans cette belle bibliothèque où vous avez rassemblé avec tant de savoir et de goût des livres si précieux et si rares, quand ils ne sont pas uniques. Je n'oublie pas que, en compagnie d'Edouard Pelletan, mon ami et le vôtre, vous m'avez accueilli gracieusement au milieu de vos nobles richesses; et je suis d'autant plus touché de la sympathie que vous m'avez témoignée, que je connais la hauteur de votre esprit et la générosité de votre caractère.

Anatole France
Paris, le 12 février 1911"   


dimanche 27 mai 2012

Les différents types de reliure: la reliure brodée au XVIIIe

Amis Bibliophiles bonsoir,


Voici un livre qui entre largement dans les critères “bon marché” de Benoit, fruit d’une chine dans un déballage de fin de semaine “où je ne trouve jamais rien”.


Il s’agit d’un petit livre (94 mm x 60 mm) couvert d’une broderie sur soie vieux-rose. Les encadrements sont constitués de pièces métalliques rebrodées, les plats sont ornés d’un médaillon formé d’un miroir de mica étamé serti d’un galon doré et maintenu par la broderie argent des lambrequins, au dessus d’une corbeille dorée brodée. Les deux plats présentent le même décor, le miroir porte un monogramme CAD.  Le dos à faux nerfs brodés porte l’inscription “ANE 1779". Les tranches sont dorées, deux signets de soie, l’un rouge l’autre bleu sont cousus dans la coiffe. Les contre-plats sont recouverts d’un papier marbré imprimé d’un motif doré. Un petit étui de carton couvert d’un papier gaufré à l’imitation du tissu et bien dans le style des papiers d’Augsbourg protège le livre.


Le  sujet du livre “Les bonnes étrennes utiles aux chrétiens” à Paris chez Valade, ne nous surprend pas. La seconde moitié du XVIII e siècle marqua un réel engouement pour les petits almanachs en tous genres.  Nous ne comptons plus les Calendriers, Almanachs, Etrennes Mignonnes, Etrennes Nouvelles, Etrennes spirituelles etc, dont John Grand-Carteret a publié un inventaire à Paris en 1896. Ces petites publications bénéficient assez souvent de reliures à décor.


Leurs reliures de soie brodée, s’ornent sur les plats d’un médaillon  peint armorié ou d’une miniature ou d'une gravure, parfois sous mica ou d’un miroir, ou de compositions brodées multicolores ou or et argent.

Quelques exemplaires sont passés en vente Chez Alde le 24 avril 2008 (bibliothèque Claude L.) ou chez Thierry de Maigret le 6 avril denier.


Pour finir sur ce livre le “Calendrier pour l’année bissextile MDCC.LXXX.” enserre l’unique cahier du livre. Ainsi les premières pages du calendrier ouvrent le livre et les dernières le ferment. Bon, je retourne au maroquin...

Lauverjat

jeudi 24 mai 2012

Ebayana, livres anciens à vendre sur ebay: éditions16e, 17e et 18e, belles reliures, livres à planches, éditions originales

Amis Bibliophiles bonsoir,

Voici une sélection d'ouvrages intéressants actuellement en vente sur ebay:






























Et quelques livres sur les livres...






H

mardi 22 mai 2012

Un bibliophile sur le Titanic, ou le destin de Harry Elkins Widener

Amis bibliophiles bonsoir,

La nuit du 14 au 15 avril 1912 fût fatale pour environ 1500 passagers qui avaient pris place à bord du Titanic... ainsi qu'à un nombre inconnu d'ouvrages anciens dont on peut présumer qu'ils étaient précieux. Ceux-ci voyageaient en effet avec le jeune Harry Elkins Widener, 27 ans, qui était l'un des jeunes bibliophiles les plus gâtés et les plus prometteurs des débuts du XXe siècle. 

Né en 1885, Harry Elkins Widener a développé très tôt un goût pour la bibliophilie, qu'il a cultivé après son passage à Harvard en 1907, et que l'immense fortune de ses parents lui a permis de développer très rapidement malgré son jeune âge Ainsi, a seulement 27 ans, il possédait (presque)... une bible de Gutenberg, comme nous le verrons ci-dessous.


Ses goûts étaient assez larges, et le portaient plutôt vers les auteurs anglo-saxons du 19ème en édition originale (Dickens, Stevenson, Brontë, etc.) sans pour autant dédaigner les grands classiques puisqu'il avait hérité d'une Bible de Gutenberg qui fait aujourd'hui la fierté de la Bibliothèque de Harvard: c'est de plus un exemplaire bien connu, qui a successivement appartenu à Pierre Henri Larcher (Paris, 1814), Lord Ashburnham (1840), dont le fils le revendît à Bernard Quaritch (1896). Peu de temps c'est Robert Hoe qui en devînt l'heureux propriétaire (il la rangeait d'ailleurs juste à côté de mon exemplaire Hoe qui porte donc des poussières de Bible de Gutenberg, sourire), puis à nouveau Quaritch avant que le grand-père de Harry Elkins Widener ne l'achète. L'exemplaire fût remis à la bibliothèque en 1944.

Il a particulièrement marqué le jeune Harry qui évoque la Bible dans une lettre adressée à son ami Luther Livingston, libraire à Philadelphie le 10 mars 1912, un mois avant la tragédie, dans laquelle il lui écrit qu'il va effectuer un voyage rapide vers Angleterre, à bord du Mauretania, avant de revenir avec le voyage inaugural du Titanic. Il termine sa lettre par les mots suivants: "un secret,... grand-père a acheté l'exemplaire Hoe. N'est-ce pas merveilleux? J'espérais que ce soit pour moi, mais ce n'est pas le cas!".

La bibliophilie et l'acquisition de nouveaux ouvrages anciens était d'ailleurs l'une des raisons de son voyage en Europe. Il voyageait avec ses parents et on sait qu'il fit notamment l'acquisition d'une seconde édition des Essais de Bacon (1598). Après l'Angleterre, la famille visita la France avant de ré-embarquer pour les Etats-Unis via Cherbourg et le nouveau flambeau de la White Star Line, le Titanic.
Le célèbre paquebot fit en effet escale à Cherbourg: parti de Southampton le mercredi 10 avril 1912 à midi, le nouveau palace flottant devait, quelques heures plus tard, toucher le port de Cherbourg et faire son entrée par la passe de l'ouest à 18h30. Au delà du prestige, cette escale permettait d'embarquer 274 passagers supplémentaires dont les Widener.

La famille et les domestiques occupaient les cabines de première classe C-80-82 (numéro de billet 13503, prix 211 Livres Sterling). Et le soir du drame la famille Widener participait d'ailleurs à un dîner donné par le capitaine en compagnie des passagers les plus riches.

A 23h40 le Titanic percuta un iceberg sur le flanc tribord avant de sombrer à 2h20 au large de Terre-Neuve. Entre 1 491 et 1 513 personnes périrent.

Les témoignages rapportent que Harry Widener aida sa mère à embarquer sur le canot n°4 avant de rebrousser chemin dans l'attente du départ du canot principal, ce qui décida malheureusement de son destin puisqu'il disparu avec le paquebot. L'épave fut localisée en 1985. Elle git à 3 843 mètres de profondeur à 650 km au sud-est de Terre-Neuve et fait actuellement l'objet de fouilles.


Une anecdote que Madame Widener ne confirma jamais prétend que Harry rebroussa chemin pour aller récupérer son Bacon. 


Ce qui est certain en revanche, c'est que Madame Widener fît un don de 2 millions de dollars pour construire dans l'enceinte de Harvard une bibliothèque qui abriterait la collection de son fils et servirait de mémorial. Cette bibliothèque ouvrît ses portes en 1915 et existe toujours et fût conçue pour abriter 3 millions d'ouvrages sur plusieurs dizaines de kilomètres de rayonnages.

H

samedi 19 mai 2012

La vie tumultueuse du marquis de Villette, au travers d'un modeste achat au Grand Palais

Amis Bibliophiles bonjour,


Le sujet de ce billet sera consacré à une petite acquisition faite au Grand Palais. On a pu reprocher au Blog de trop mettre en exergue des livres chers (Ah bon? NDLR), j’espère démontrer qu’il se trouve des livres bon marché et intéressants.


Le livre de format in-12, en basane fauve marbrée, relié à la fin du XVIIIe siècle porte un supra-libris doré au nom de “Charles Villette” poussé le long de la charnière du plat supérieur. Le dos plat orné de faux caissons dorés porte une pièce de titre de maroquin rouge. Il faut  regretter les restaurations du mors supérieur et des  coiffes.
Cette reliure recouvre “De l’opinion et des moeurs ou de l’influence des lettres sur les moeurs” signée à la dédicace P.D.L.A. D.L.R.,  Londres et Paris chez Moureau et Nyon, 1777.
Un envoi identifie l’auteur et le dédicataire sans difficulté. Le voici: “Pierre Petiot prie Mr de Villette d’accepter ce viel enfant sans le regarder de près et d’envoyer vers la porte St Bernard ou la place Mauberq chercher le portrait de M. de Villette dans une brochure nommée essais sur l’éducation des hommes par les femmes” (sic). Le livre comporte encore deux notes manuscrites de Petiot. Au premier chapitre on trouve: “le 1er chap de l’opinion fut supprimé par le censeur”, il ne compte que 24 pages. La seconde note figure au début du chapitre II : “notes de l’abbé Louvet censeur qui se vanta dans le temps de m’avoir fait manquer mon but”.
Les initiales sont donc celles de “Petiot De L’Académie De La Rochelle”. Cette société s’était surtout rendue célèbre par ses scientifiques. Petiot est l’auteur d’au moins quatre autres opuscules dont les deux premiers concernent le mesmérisme : “lettre de M. l’abbé P.xxx de l’académie de La Rochelle, à M.xxx de la même académie sur le magnétisme animal” (1787, 7 pp.) et “autres rêveries sur le magnétisme animal, à un Académicien de Province” Bruxelles (pour Paris probablement), 1784. Ses deux dernières publications attribuées par Quérard, sacrifient à l’air du temps : “liberté de la presse” (mars 1789, 20 pp. In-8), “Réflexions sur la liberté individuelle” (1789, 26 pp. In-8). Voilà, probablement, les écrits qui furent la raison du “rapprochement” de Villette et Petiot.
Charles Michel de Villette, lui, est le fils et le légataire universel de Pierre de Villette qui éleva ses biens au titre de marquisat en 1763. Quand son fils en hérite en 1765, il est déjà criblé de dettes, fruit d’une vie dissolue. Pourvu par son père des charges de Maréchal général des logis de la cavalerie de France et de Colonel de dragons à la suite du régiment de Beauffremont, il souffre pourtant d’une réputation de poltronnerie. Il défraie la chronique par un faux duel, deux séjours en prison, une interdiction d’entrer dans Paris qui lui permet de se réfugier une première fois  auprès de Voltaire en 1765 à Ferney, des fréquentations et des aventures sulfureuses avec Sophie Arnould, Mlle de Raucourd, des violences publiques sur Mlle Thévenin, ses amours des deux sexes, ses querelles avec des poètes, son train de vie.

Charles marquis de Villette publie cependant très tôt quelques essais et pièces en vers dans les gazettes. Il cultive également les qualités de graveur, dessinateur, amateur et critique d’art et de bibliophile, enrichissant ses bibliothèques du Plessis-Villette près de Pont-Sainte-Maxence et de son hôtel parisien. Réfugié une seconde fois auprès de Voltaire en 1777, il y rencontre Renée-Philiberte Rouph de Varicourt protégée désargentée du patriarche de Ferney. On célèbre le  mariage de “Belle et Bonne” , (surnom affectueux donné par Voltaire) et du marquis le 12 novembre 1777. Villette aurait sur la déclaration de Voltaire ainsi “purifié” sa maison et “fait un excellent marché”. En février 1778 tout le monde gagne “le Palais-Villette” à Paris, (aujourd’hui quai Voltaire) où Voltaire meurt le 30 mai.

Charles adopte résolument les idées nouvelles. En 1789, il comparaît aux états généraux de la noblesse à Senlis. L’assemblée sous sa proposition et celle du comte de Lameth souhaite se réunir aux deux autres ordres pour rédiger un cahier commun mais le clergé refuse.

Villette fait publier et  imprimer cependant “mes Cahiers”, à Senlis en 1789 dont il existe quelques variantes typographiques, les exemplaires les plus complets comptant 55 articles (42 pp.). 
Pour l’occasion, son secrétaire et parfois nègre, Claude-Marie Guyetand, publie quelques pièces de circonstance (Bagatelle à Rosine, Senlis, 1789). Charles Villette abandonne ostensiblement privilèges et particule en 1790. (Ce qui nous ramène au supra-libris de ce livre). Il publie des articles dans la Chronique de Paris et réunit ses “Oeuvres”, Londres (pour Montargis) 1786 sur différents papiers végétaux ou Edimbourg et Paris, 1788 et  “Lettres choisies sur les principaux événements de la Révolution” (Paris, 1792). Enfin conventionnel de l’Oise, il éprouve la fureur du temps et l’acidité de la critique. Opposé aux massacres de septembre, décrété d’accusation, il échappe à l’échafaud.

Sa réputation est attaquée depuis longtemps.  Publié en 1789 les “Confessions générales des princes du sang royal, auteurs de la cabale aristocratique;  item, de deux catins distinguées qui ont le plus contribué à cette infernale conspiration...” mettait en scène une catin passant contrat avec le “Marquis de Vilette... un B(ougre) décidé”.  Au voisinage de 1791 sort une plaquette anonyme “Vie privée et publique du ci-derrière marquis de Villette, citoyen rétroactif”, s.l. (Paris). On ne compte plus les estampes érotiques utilisant son nom et on prête à Voltaire lui-même quelques bons mots perfides. Malade, Villette meurt néanmoins naturellement le 9 juillet 1793.
Quant au livre de Petiot, après une rapide lecture, il s’élève contre l’avis que les vertus ne se trouvent  que dans les temps passés et souhaite une mode salutaire vers le beau moral, le bien-être commun, les goûts simples et naturels. Il ne désespère pas de la patrie et appelle de ses voeux  une autorité des moeurs plus éclairée et moins culpabilisante. Il se félicite de l’influence des Lettres du siècle et de leurs lumières sur l’amélioration des moeurs. 

Dans son envoi,  Petiot, fait allusion à l’ouvrage de  madame de Genlis “Essais sur l’éducation des hommes et particulièrement des princes par les femmes, pour servir de supplément aux Lettres sur l’éducation” Amsterdam et Paris, 1782.

Si on peut y lire  “(qu’)une femme dans l’emploi d’un homme ne serait jamais qu’un homme médiocre plus ridicule qu’un homme efféminé” sans doute ne faut il y voir que coïncidence.
Rappelons que dans l’article IL de ses cahiers, Villette propose de “déroger à l’usage gothique, qui exclut les Femmes de nos assemblées politiques...”.

Finalement, je ne crois  pas que cette dédicace soit  une attaque de plus des moeurs de Villette, de sa position ou de ses fréquentations. En tous cas notre marquis n’en prit pas ombrage et serra le livre dans sa bibliothèque.

LauverjatVillette