Dans les journaux, mais également grâce aux catalogues qu'une centaine d'amateurs choisis reçurent personnellement, tout le petit monde des amateurs de livres anciens et rares se passionne pour la proche vente d'une très riche mais peu nombreuse collection d'ouvrages, tous uniques, ayant appartenu à feu M. le Comte de Fortsas.
Ainsi, le libraire Hoyois, chargé de regrouper les commissions avant la vente reçoit il dès la mi-juillet un nombre croissant de sollicitations : demandes d'information, demande de catalogues supplémentaires (mais il est hélas épuisé répondra-t-il), commissions.
Rapidement, on constate que l'enthousiasme généré par la vente dépasse tous les espoirs, et des ordres parviennent de Belgique, mais aussi de Paris et Londres. Certains portent les mots magiques "à tout prix", et demandent à Hoyois d'enchérir en leur nom à n'importe quel prix, pourvu que les donneurs d'ordres se voient adjuger le lot. Pour d'autres lots, ce sont simplement des sommes astronomiques qui sont proposées par les acheteurs potentiels, parmi lesquels se trouvent érudits, aristocrates, et certains libraires, dont Techener à Paris.
Le propre conservateur de la bibliothèque Royale de Belgique a sollicité ses administrateurs afin de réunir les fonds nécessaires à ces acquisitions sans précédent.
Il faut dire que les livres du défunt Comte sont en tous points fabuleux, alliant unicité et reliures toutes plus sublimes les unes que les autres.
Petit à petit, la pression monte en Europe, on retrouve des articles sur la vente à venir dans de nombreux journaux du continent. On annonce que des acheteurs de Marseille, Paris, Londres, Copenhague, Berlin, Vienne, Lisbonne, Saint-Pétersbourg et même des Etats-Unis vont faire le déplacement pour venir enchérir.
La fébrilité s'empare de tous à mesure que la vente se profile et que l'on interroge quelques connaissances du Comte (qui ne le connaissent que de loin) sur Binche (lieu de résidence du Comte de Fortsas), la personnalité du bibliophile et toutes autres informations pouvant donner un avantage sur les autres enchérisseurs.
On note même un enchérisseur souhaitant acheter un exemplaire mis en vente pour remplacer celui qui est en sa possession... alors que tous les lots sont annoncés comme uniques... Et autre affirmant posséder son propre exemplaire de la moitié des lots annoncés... Vanité bibliophilique, quand tu nous tient! :)
Le 8 août on annonce que la vente n'aura pas lieu et que la bibliothèque de Binche a acquis tous les volumes... Trop tard, en diligence (dont Brunet et Nodier, qui vinrent de Paris spécialement) ou à cheval, de nombreuses personnes errent déjà dans Binche à la recherche d'informations sur les livres ou le Comte de Fortsas... se jetant le regard hostile que deux enchérisseurs ennemis se lancent encore aujourd'hui à Drouot...
Oui mais voilà, vous vous en doutez maintenant, ce catalogue d'unica fût entièrement inventé par un groupe de bibliophiles belges et facétieux... et de vente il n'y eut point... il n'en fût d'ailleurs jamais question...
Le Cerveau du canular, un certain Rénier Chalon, avait particulièrement bien préparé son coup, piègeant les meilleurs bibliophiles, experts ou libraires divers en jouant de leur susceptibilité : il avait parié qu'ils ne pourraient laisser passer cette ocassion d'acquérir un ouvrage manquant à leur collection (il avait spécialement ciblé certains des destinataires du catalogue avec des ouvrages inventés entièrement pour eux), ou un ouvrage remettant en cause leur travail d'expert ou de bibliographe émérite.
Le canular fit grand bruit, mais finalement les enchérisseurs leurrés protestèrent peu, parce que Chalon fît constater par huissier l'identité des personnes présentes le jour de la vente... et celles-ci préférèrent taire leur rancoeur plutôt que de s'attirer la moquerie générale.
Je résume tout ceci de mémoire, mais vous pouvez retrouver cet événement unique de l'histoire de la bibliophilie dans deux excellents ouvrages parus aux Editions des Cendres, l'un présentant le catalogue, l'autre résumant l'affaire. J'avais acheté les miens sur abebooks je crois, mais vous pouvez les trouver auprès de l'éditeur.
Je trouve que c'est une belle histoire... à méditer sans nul doute... puisque je ne peux jurer pour ma part que je n'aurais pas essayé d'enchérir dans pareilles circonstances.
Ce canular est je crois unique. Il en existe d'autres dans l'univers du livre, notamment autour de livres inventés par des auteurs, et dont on a tellement parlé, que bien des gens pensent qu'ils existent réellement, tels que le Necronomicon, de Lovecraft.
Voici pour la petite histoire!
H.
Bravo pour cette savoureuse histoire résumée avec brio ! Si j'avais le courage et le temps je vous ferais le récit, non moins ahurissant et grandiose de l'arnaque Libri, célèbre voleur de livres parmi les voleurs de livres les plus célèbres. Un autre jour peut-être à moins qu'un autre sur ce blog se lance dans l'aventure du récit... Amicalement, Bertrand
RépondreSupprimerMerci Bertrand! Ca me touche beaucoup.
RépondreSupprimerEn abordant cette histoire, j'ai essayé d'apporter un peu de nouveauté.
Vous m'intriguez beaucoup avec ce Libri... Il faut absolument que vous nous en disiez plus!
Merci encore,
H
Libri était un haut personnage du milieu du XIXè siècle, qui, connaissant bibliothèques publiques et et grands bibliophiles, a littéralement pillé de leurs plus belles pièces bibliophiliques une grande partie des fonds anciens de France et d'ailleurs... Je vais essayer de retrouver son histoire résumée dans la revue Le Livre dirigée par Octave Uzanne vers 1880, si quelqu'un retrouve avant moi il peut publier. A+ Amicalement Bertrand. Bravo encore pour ce blog.
RépondreSupprimerBertrand,
RépondreSupprimerMerci pour ces précisions et votre fidélité! Ce libri m'intrigue terriblement...
Dès que vous avez envie et dès que vous en aurez le temps, venez poster cette histoire sur le blog.
Pour cela, le mieux est que vous me l'envoyiez par email, et bien sûr je la diffuserai en vous attribuant la paternité... Ce serait tout simplement fantastique.
Amicalement,
H