dimanche 3 juin 2007

Le filou du dimanche : Borgnefesse, le pirate pirate!

En 1952, paraissent Les Cahiers de Louis-Adhémar-Timothée Le Golif, dit Borgnefesse, capitaine de la flibuste... et cette parution fait grand bruit. En effet, elle a pour origine la découverte d'un manuscrit du 17ème siècle retrouvé quasiment intact dans une malle de fer, après le bombardement de Saint-Malo en 1944.


Dès le début, l'histoire est (trop) belle : c'est en effet Allaux, grand spécialiste de la flibuste qui met à jour la malle, qui était cachée dans le « caveau muré d'une maison démolie, à Saint-Malo, par un bombardement en 1944". D'après la préface, le manuscrit découvert par hasard est de la main d'un contemporain de Louis XIV, né peut-être vers 1640, passé aux Iles vers 1660 et mort sans doute à Saint-Malo, et peut-être même dans la légendaire maison de Duguay-Trouin aux environs de 1710.

Hélas, le manuscrit est très important (on parle de l'épaisseur d'un bottin), et souvent un peu rébarbatif tant il fait la part belle aux manoeuvres purement nautiques. Qu'à cela ne tienne, Allaux le purge de certains passages avant de le confier à T'Serstevens, un spécialiste du roman d'aventure et même du roman flibustier, pour que celui-ci l'adapte.

La sortie se fait en grande pompe en 1952 et impose Borgnefesse comme l'un des plus fameux flibustiers, égratignant au passage Oexmelin, qui est accusé d'être un flibustier de salon par le hardi capitaine. Ainsi écrit-il dans ses cahiers "Ce n'est que quelques années plus tard que le flamand Oexmelin vint aux Iles. Etant retourné ensuite chez lui, il y a écrit l' Histoire des Aventuriers de l'Amérique, ouvrage qui fut mis en français par le Sieur de Fontignères. Quoique n'écrivant que de ouï-dire et se faisant l'écho de maintes bourdes et balivernes que j'ai relevées en son livre, il a conté, mieux que je ne pourrais faire, les exploits de plusieurs vaillants et renommés Capitaines que j'ai, ce pourtant, moi, mieux connus que lui et de plus près, mais il en a passé des meilleurs, tels que Julien, Fulbert, Cameyrelongue, Vincent, et quelques autres, sans oublier votre serviteur." Tout est dit ou presque et les références à Oexmelin se multiplieront ensuite dans l'ouvrage.

Oui mais voilà, nous sommes dimanche, et les habitués savent que le dimanche est (en tout cas tant que j'aurais de la matière) consacré aux filous en tout genres qui gravitent autour du livre et de la bibliophilie... notre ami Borgnefesse, est en fait un imposteur et son manuscrit ne sera d'ailleurs jamais présenté par ses découvreurs.


Même si la maison d'édition Grasset, qui a publié le texte en 1952, dit maintenant ne disposer « d'aucun élément susceptible d'établir qu'il s'agit d'une supercherie littéraire et bien que T'Serstevens n'ait jamais avoué avant son décès en 1974, il semble désormais établi que cette oeuvre est un canular, une supercherie.

Les "preuves" sont assez nombreuses, si l'on écarte que T'Serstevens écrivit quelques années auparavant un texte comparable et qu'il était considéré comme un érudit en matière de flibuste, il reste en effet qu'aucune trace d'un Borgnefesse ou d'un le Golif n'a jamais été retrouvée dans les archives malouines et françaises, et qu'il en fût de même pour tous les noms cités par Borgnefesse et qui ne figuraient pas dans l'Oexmelin... Borgnefesse est d'ailleurs inconnu d'Oexmelin ou de Dampier, ce qui est assez étonnant : si l'on devait accorder du crédit à son témoignage, il est évident qu'Oexmelin n'aurait pu oublier un si illustre personnage.

Enfin, il y a les petites erreurs qui finirent par trahir l'ouvrage : ainsi Borgnefesse évoque-t-il le "lagon" de Maracaïbo, au lieu de "lagune", alors que le terme "lagon" n'existait pas au 17ème siècle et qu'il fût par la suite surtout utilisé en Polynésie... qui était comme par hasard le lieu de résidence de T'Serstevens!

Aujourd'hui le canular est avéré... il n'en reste pas moins que Borgnefesse s'est malgré tout imposé aux côtés des autres grands flibustiers! Il fît même l'objet d'une chanson d'un groupe breton appelé Soldat Louis, mais le bon goût m'empêche de la diffuser sur le blog! :)

H

Images : la cité malouine, et l'ouvrage en question.

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