dimanche 17 juin 2007

L'escroc du dimanche... ou le manuscrit H52

Alors que j'étais étudiant, il m'est arrivé ce qu'on redoute tous en sortant d'un magasin : l'alarme s'est déclenchée à mon passage. A ceci près que cette fois-ci, le magasin en question était une bibliothèque universitaire... Embarrassé comme on l'est toujours dans ce cas, même la conscience tranquille, j'ai donc fait l'objet d'une fouille en règle, non seulement de mon cartable, mais aussi de mes poches, etc.

Evidemment, je n'avais rien subtilisé, et l'alerte fût mise sur le compte d'un fonctionnement intempestif de l'alarme (en passant, je me demande comment cela fonctionne : on peut passer avec un trousseau de clefs dans la poche, mais apparemment pas avec un livre...).

Au moment d'écrire ce message du dimanche, traditionnellement consacré aux "filous" et autres escrocs qui peuplent le monde du Livre, je me demande si finalement (et les bibliothécaires me pardonneront, mais je ne fais ici allusion qu'à quelques brebis galeuses), on ne devrait pas également soumettre les conservateurs à ce type de détection... à leur sortie du bureau...


On a vu la semaine passée que le Comte Libri s'était allégrement servi dans les plus belles bibliothèques du pays, et cette semaine, je vous propose de découvrir l'histoire du manuscrit H52, qui disparût de la BNF et réapparût dans une vente chez Christie's à New-York, et dont il semble bien qu'il fût escamoté par un collaborateur de la Bibliothèque Nationale.

Le manuscrit H52, pour "Hébreu n°52" (la BNF recense ainsi les manuscrits anciens, sous de telles cotes), est une bible hébraïque du XIIIe siècle. C'est un ouvrage exceptionnel, qui contient les cinq premiers livres de la Bible pentateuque. Il fût légué à la bibliothèque du roi par son ancien propriétaire, le cardinal Mazarin. C'est une bible complète en fait, avec à la suite les cinq premiers livres, le Pentateuque pour les chrétiens, la Torah pour les juifs, suivis de cinq récits et des lectures prophétiques.

En fait, on ne sait quand le H52 disparût des inventaires de la BNF, ce qui est certain en revanche, c'est que c'est un conservateur de la BNF qui a cosigné son bon de sortie du territoire, au profit d'un collectionneur britannique avec lequel il traitait, et que le manuscrit fît sa réapparition sur le marché de l'art en mai 2000, lors d'une vente de Christie's à New-York. Il y fût acheté par un américain, Joseph Goldman, pour 368 000 dollars... qui lui même le revendit à un autre collectionneur californien.

Alertés par la vente, et après une enquête de plus de 2 ans, le ministère de la Culture et la BNF engagèrent une action en justice contre Goldmann, profitant d'une loi de l'état de New-York stipulant que même si l'acquéreur (Goldmann, puis le californien) est de bonne foi, cela ne saurait être un obstacle à la restitution du manuscrit à son véritable propriétaire. Après d'âpres négociations, le manuscrit revînt en France sous bonne garde et est désormais de retour à la BNF.


Le conservateur malhonnête fût naturellement radié, mais également poursuivi en justice par l'Etat, condamné en première instance et condamné à nouveau en appel, à quinze mois de prison avec sursis et une forte amende.

En passant, on ne peut que lui trouver des circonstances aggravantes, car non seulement il a profité de sa position pour soustraire et vendre un manuscrit de la BNF, mais plus encore, parce que l'ouvrage a été modifié et mutilé : la reliure a été changée, les feuillets ont été rognés pour entrer dans ce nouveau format, et soixante feuillets sont manquants... On dépasse le "simple" vol...

Le jugement de la Cour d'appel précisera d'ailleurs : "[la cour] notera (…) que cet ouvrage ayant d'abord appartenu à la bibliothèque du cardinal Mazarin est devenu à la mort de celui-ci propriété de la Bibliothèque royale, et que depuis il avait été transmis malgré les turbulences de l'histoire nationale, avec le devoir de le transmettre aux générations futures, afin qu'il demeure à la disposition des chercheurs non seulement français, mais du monde entier ".

En passant, on notera que le manuscrit H52 n'est pas le seul à avoir disparu... ce fût aussi le cas de manuscrit Hébreu 23", , "Hébreu 1 201" et "Hébreu 1 308".

Pour conclure, changeons de ville, pour les mêmes moeurs : en 2004, la police du Danemark a récupéré au domicile d'un responsable de la Bibliothèque Royale 3200 livres anciens qu'il avait dérobés dans le cadre de ses fonctions, pour se constituer une bibliothèque qu'on imagine sympathique.

Ne vaudrait-il pas mieux faire passer un test de non-bibliophilie à ces conservateurs avant de leur proposer ce type de poste...? Sourire. Même si cela ne nous protégerait pas de la cupidité pure comme ce fût le cas pour le manuscrit H52, ce serait peut-être déjà un 1er pas! :)

H
Images : une page du H52 et la BNF

9 commentaires:

  1. Cet escroc là n'aura je le pense aucune compassion de la part des membres de ce blog. Vil escroc attiré par le bruit de la monnaire. D'ailleurs aurai-il jamais du être nommé conservateur d'une bibliothèque, grande ou petite ?
    Donc aucune pitié ni regrets.
    La prochaine fois trouvez nous un escroc gentil ! Merci.

    B.

    RépondreSupprimer
  2. Sourire, aucune pitié en effet. Vous remarquerez que je ne lui ai pas trouvé de circonstances atténuantes... à ce triste sire.

    Un gentil escroc? C'est déjà pas facile d'en trouver tout court! Il n'y en a pas tant que ça...

    Heureusement.

    Hugues

    RépondreSupprimer
  3. Devenir conservateur, bibliothéquaire, ou président de salle en bibliothèque ou archives n'a rien de plus simple (enfin presque...). il suffit de passer un concours d'Etat. Une fois le diplome en poche, on entre dans le métier. On ne vous demande pas si vous êtes bibliophile ou attiré par l'argent, juste votre CV. Donc, qu'on ne s'étonne pas ensuite des disparitions!

    Pour ce qui est des sonneries en bibliothèque, il y a à l'intérieur de la couverture des livres ou parfois dans les pages elles-mêmes (vignettes collées, etc), des morceaux de métal magnétisés qui, au moment où ils passent entre les barres des portiques, font réagir ceux-ci s'ils n'ont pas été d'abord démagnétisés. C'est pour ça que vos clés, non magnétisées, ne font pas bipper les machines. C'est différent des détecteurs de métaux des aéroports par exemple, qui réagissent aux objets eux-mêmes. Enfin, vous le saviez sûrement je pense.

    RépondreSupprimer
  4. "il suffit de passer un concours d'Etat. Une fois le diplome en poche, on entre dans le métier. On ne vous demande pas si vous êtes bibliophile ou attiré par l'argent..."

    Tout à fait, on devrait soumettre tous les prétendants au Jugement de Dieu.

    TE

    RépondreSupprimer
  5. Le jugement de Dieu ?

    Plongez la main d'un vilain dans l'eau bouillante. S'il ne guérit pas sans soins en l'espace de trois jours, c'est que le diable l'habite. Il ne saurait donc en aucun cas toucher aux éditions originales des Pensées du Père Bourdaloue ! Des fois qu'il les détourne...

    TE

    RépondreSupprimer
  6. Bon, ok, c'est beaucoup plus compliqué que ça! :) Il n'y a pas que le concours et l'entrée dans le métier immédiatement. Ce que je voulais dire, c'est qu'il n'y a pas de contre-pouvoir à celui du conservateur. Combien de fois est-on tombé sur des références de livres introuvables dans les magasins de bibliothèque? Et des cartons d'archives où malheureusement, il manque près de 30% des documents? En tout cas, moi ça m'ait déjà arrivé.

    RépondreSupprimer
  7. Pour travailler en collaboration avec plusieurs conservateurs de bibliothèques et de musées, je peux vous dire que leur moteur (et leur frein d'ailleurs) principal est l'argent.
    Je veux dire par là qu'ils sont sans arrêt entre le marteau et l'enclume. Pas de crédits pour acheter, ou au mauvais moment. Parfois des crédits à jeter par les fenêtres en fin d'année (et ils ne s'en privent pas...),
    ce n'est pas une saine gestion de notre patrimoine, qu'il soit artistique ou livresque.
    Mais que faire ? C'est toute une façon de gérer, de penser qui serait à revoir... et en ces soirs d'élections... Point n'est très utile de rêver.

    Bonne soirée.

    B.

    RépondreSupprimer
  8. La gestion des musées:
    -des tapisseries qui pourrissent, avec des champignons dessus
    -des tableaux qui pourrissent
    -des archives détruites car pas moyen d'entreposer normalement

    Et on n'a pas le droit de vendre ce qu'il y a dans les musées...

    Pourtant, l'expérience le prouve, le meilleur moyen de sauvegarder quelquechose est de le laisser dans la sphère privée.
    Les réserves des musées sont trop pleines, il faut les vider!

    RépondreSupprimer
  9. La plupart des archives que je consulte actuellement sont dans un tel état que je ne peux les manipuler qu'avec une très grande précaution... Ce sont pourtant des papiers essentiels pour l'Histoire de la Marine. Certains sont en tellement mauvais état qu'on ne peut pas les prendre. Je l'ai pourtant dit plusieurs fois déjà, mais rien n'y fait.
    Il en va de même pour certains bouquins en bibliothèque.
    Mais je ne vais pas jeter la pierre aux conservateurs pour ces problèmes de gestion. Les fonds sont insuffisants, c'est une certitude. La seule chose qu'on peut leur repprocher c'est la mauvaise utilisation des fonds disponibles, et le gachis dans certains domaines. Mais ça, c'est une autre histoire.

    RépondreSupprimer