Poursuivons notre chemin sur la route de la reliure avec aujourd’hui un autre type de reliure ancienne, la reliure dite à la « du seuil ».
Augustin Dussueil est né au début du mois de septembre 1673 à Méounes, dans le Var. Il est le fils d’Honoré Dussueil et Isabeau Billone, comme l’atteste son acte de baptême :
« Augustin DUSSUEIL, fils d'Honoré et Isabeau BILLONE a été baptisé le 2 septembre 1673. Le parrain Louis DUSSUEIL, la marraine Anne JAUFFROY du lieu de Signe. Par moi. Signé : BARRY, vicaire, H. DUSSUEIL. L. DUSSUEIL. »
Augustin est le quatrième enfant d'une famille qui en comporta neuf, six filles et trois garçons, tous nés à Méounes entre 1665 et 1685, du mariage d'Honoré DUSSUEIL (1641-1721) avec Isabeau BILLON (1647-1697). Bien que sa famille paternelle exerce diverses activités dans le tissage, le jeune Augustin choisit une autre voie, en rejoignant à Paris son cousin Jean Billon de Cancerille, où celui-ci jouit une assez grand crédit après divers voyages en Perse (il devînt par la suite ambassadeur du Roi).
Il semble qu’avant d’avoir pu créer son propre atelier, Augustin travailla avec Philippe Padeloup, puisqu’il épousa Françoise, la fille du grand relieur le 23 novembre 1699. C’est par ce mariage qu’il fît définitivement son entrée dans la corporation. Le contrat de mariage, conservé au Archives Nationales, sème une nouvelle fois le trouble quant au patronyme d’Augustin, puisqu’il stipule que « fut présent Augustin d'USUEIL, libraire à Paris, demeurant rue Saint-Jacques, paroisse Saint-Séverin, fils d'Honoré d'USUEIL, marchand demeurant en la paroisse de Meosne près Marseille en Provence ». On notera avec intérêt que la dot de Françoise est constituée en partie par « un an de nourriture et de logement » au domicile de Philippe Padeloup, signe évident de la proximité qui va exister entre les deux hommes.
Augustin, Françoise et leurs 7 enfants vécurent ainsi rue Saint-Jacques à Paris, au cœur de la vie intellectuelle de l’époque. Françoise décède le 16 février 1714 et il est intéressant de constater que sur l’acte de décès, il est stipulé qu’Augustin est désigné comme « relieur de Monseigneur et de Madame la Duchesse de Berry ». Cette dernière jouera un rôle important dans la carrière du relieur en lui confiant un grand nombre de volumes (dont les plus connues, aux « armes de France, à la bordure engrêlée de gueule, qui est de Berry, accolées d'ORLEANS » et au dos les lettres « M.L » entrelacées), mais aussi en lui faisant profiter de ses relations. Ainsi, elle intervint auprès du Régent pour qu’Augustin soit reconnu publiquement.
Berry décida d'apporter un appui décisif à son relieur en intervenant auprès du Régent pour qu'une reconnaissance particulière lui soit conférée, et fait exceptionnel, il fût reconnu « relieur ordinaire » alors qu’il n’y avait aucune vacance de la charge (on n’avait semble-t-il jusqu’alors jamais attribué plus de deux charges à la fois). Le brevet officiel fût délivré en ces termes le 26 février 1717 : « le Roy estant à Paris, ayant esgard aux témoignages avantageux qui lui ont esté rendus de la probité et capacité d'Augustin de SUEIL, maistre relieur à Paris, et voulant en cette considération le traiter favorablement, sa Majesté, de l'avis de M. le duc d'ORLEANS, son oncle Régent, a retenu et retient le dit de SUEIL en la charge de l'un de ses relieurs ordinaires pour par luy en faire les fonctions, en jouir et user aux mesmes honneurs, prérogatives et priviléges dont jouissent les autres relieurs de Sa Majesté, avec le pouvoir de mettre au devant de sa boutique un tapis chargé des armes et panonceaux de Sa Majesté. Et pour assurance de Sa volonté, Elle m'a commandé d'expédier au dit de SUEIL le présent brevet qu'ELLE a signé de sa main et fait contresigner par moy conseiller, secrétaire d'Estat. ». L'autorisation de mettre sur sa boutique « un tapis décoré des armes » royales était souvent accordée à des imprimeurs ou à des libraires royaux, mais, selon Thoinan, rarement à des relieurs. Selon cet auteur, « c'est peut-être ici la seule fois qu'elle est mentionnée dans un brevet de relieur ».
Dès lors, l’atelier d’Augustin connût un essor considérable, écoulant ses reliures aussi bien en France qu’à l’étranger, notamment en Angleterre. Ainsi, dans la perspective de la vente de la bibliothèque de François de Loménie de Brienne, évêque de Coutances, qui fût faite à Londres, Augustin fût chargé de relier 400 volumes, dont 140 in folio, 155 in 4° et 145 in 8° et 12° (Thoinan). Dans leur catalogue, les libraires anglais indiquèrent que la vente comportait des livres en excellente condition « nouvellement et très joliment couverts, dessus et dedans, en maroquin, par le fameux DUSUEIL » (Thoinan).
En 1728, la carrière d’Augustin se poursuit avec le décès de Louis-Joseph DUBOIS, relieur ordinaire du Roi, qui laisse une place vacante, rapidement attribuée à Augustin, dans un nouveau brevet :
« Aujourd'hui, 15 février 1728, le Roi estant à Versailles, bien informé de la capacité d'Augustin de SEUIL et de sa fidélité et affection à son service, Sa Majesté l'a retenu et retient en la charge de l'un des relieurs de sa maison, vacante par le déceds de Louis de BOIS, dernier possesseur d'icelle ; pour le dit de SUEIL l'avoir et exercer en jouir et user, aux honneurs, autorités, privilèges, franchises, libertés, gages, droits, fruits, profits, revenus et esmoluments accoutumés et y appartenants tels et semblables qu'en a jouy le dit du BOIS et tant qu'il plaira à Sa Majesté... »
Augustin compte alors dans sa clientèle presque tous les bibliophiles de son temps et son nom devait traverser les années en « estant toujours accompagné des plus pompeux éloges » (Thoinan). De ses reliures, on admirait « la perfection de ses corps d'ouvrage, la délicatesse de sa couvrure, la qualité de ses maroquins, l'élégance et le fini de ses dorures... » (Thoinan). Pour autant, Augustin ne signe pas ses reliures et il désormais très difficile de les identifier, à part pour celles issues du catalogue de Loménie.
Augustin décède en février 1746 alors qu'il était dans sa soixante treizième année. Au passage, on relira avec intérêt la lettre adressée de Billon à sa famille en 1728 :"Notre cousin DUSSUEIL vient d'être fait le premier relieur du Roy ; il a toujours envie de rentrer dans tous ses biens à Meunes ; il a son committimus il appellera toutes les parties à Paris pour y plaider où il gagnera tous ses procès. Il commencera par le S. Renaud s'il ne luy rend pas tous ses papiers ; M. Joseph Dussueill ne le paye pas, M. l'abbé Lejean et M. Chabert de Meunes ; ils s'en repentiront tous de ne l'avoir fait car les Ministres du Roi le protègent tous ; il doit relier au Roy une bibliothèque en marroquins du levant de trente six mille volumes."
Voici donc pour la vie d’Augustin Dussueil, du Seuil, d’Usueil ou même de Seuil, puisqu’on voit bien que son patronyme a beaucoup évolué selon les écrits, et au fil du temps, ce qui était chose courante à l’époque.
Mais qu’en est-il des reliures dites à la « du seuil » (j’ai choisi cette orthographe, qui me semble être la plus usitée ) ? Et bien, comme pour les reliures à la fanfare, elle est apocryphe, car même si Augustin laissa son nom à un type de reliure, il semble qu’elles aient existé bien avant sa naissance.
Les définitions changent, notamment en ce qui concerne le nombre de filets. Pour résumer, on peut dire que la reliure « à la du seuil » est une reliure présentant deux encadrements de filets dorés sur les plats, avec des fleurons aux angles de l’encadrement intérieur. L’appellation est néanmoins utilisée de façon plus courante, pour toutes les reliures anciennes avec des encadrements de filets.
Voici comment Nodier évoque Du Seuil dans le bibliomane, que j’ai déjà évoqué longuement sur le blog : « Depuis le moment où nous avions renoncé à l'espoir de le conserver (Le Bibliomane se meurt, NDLR), on avait roulé son lit près de sa bibliothèque, d'où nous descendions un à un chaque volume qui paraissait appelé par ses yeux, en tenant plus longtemps exposés à sa vue ceux que nous jugions les plus propres à la flatter. Il mourut à minuit, entre un Du Seuil et un Padeloup, les deux mains amoureusement pressées sur un Thouvenin. »
Ce qu’il faut retenir ? Si vous croisez une belle reliure du 17ème ou du 18ème présentant des encadrements de filets dorés, avec des fleurons, vous pouvez la qualifier de reliure "à Du Seuil", même si ce n’est très certainement pas Augustin Dussueil, l’un des grands relieurs de l’histoire, qui l’a réalisée.
Très très bel et intéressant article !
RépondreSupprimerAmitiés bibliophiliques, Bertrand
Vous pouvez visualiser ici
RépondreSupprimerhttp://picasaweb.google.fr/libalise/DUSEUIL
sous divers angles une reliure dite à la "Du Seuil" sur un ouvrage de piété datant de 1686.
On y voit les deux plats avec le décor dit à la "Du Seuil", mais aussi un dos richement orné aux petits fers dorés (ce qui n'est pas toujours le cas pour ce type de reliures), une fine roulette dorée en encadrement intérieur des plats avec un joli papier marbré original.
Vous avez la reproduction de la page de titre (repris sur le dos de la reliure).
Cette reliure, parfaitement conservée, n'a pas été reliée par Du Seuil lui-même puisqu'il n'était agé alors que de 13 ans au moment de cette édition, qui, il me semble, a été reliée tout de suite après l'impression (reliure strictement contemporaine).
C'est donc le cas typique d'une reliure apocryphe mais non moins exquise.
Amitiés bibliophiliques, Bertrand.
Augustin Du Seuil reprit un ornement du XVIe siècle: encadrement intérieur composé de filets dorés avec fleurons d'angle. Du Seuil y apporta quelques modifications dans les filets (filets espacés régulièrement) et dans les angles (remplacement du fleuron "Alde" par un fer "le Gascon", à filets pleins et perlés, ou par un modèle héraldique, comme la fleur de lys). Mais on ne connait aucune oeuvre portant sa signature.....!?
RépondreSupprimerJean-Paul
Merci Hugues de nous emmener ainsi sur les chemins de la reliure. Je n'avais jamais vu un portrait de Duseuil aussi complet.
RépondreSupprimerEtienne
Il y a presque autant de légendes et d'historiettes autour de la personne de "Du Seuil" qu"autour d'un autre grand relieur du XVIIè siècle dont on ne sait rien de sûr ou presque et dont Hugues ne manquera pas de nous faire le portrait détaillé : Le Gascon
RépondreSupprimerAu travail, ami de la bibliopégistique !
Amitiés bibliophiliques, Bertrand