Quittons un moment le capitaine James Cook pour revenir à un autre domaine de prédilection des bibliophiles, les ouvrages scientifiques. Je vous propose en effet ce soir le joli portrait d'un bibliophile qui vient presque quotidiennement sur le blog : Bernard. Je sais que vous êtes plusieurs à vous passionner pour les ouvrages scientifiques, et je ne doute pas que ce portrait vous intéressera autant que moi. On sent bien que Bernard est à la fois passionné et un vrai connaisseur.
Bonjour Bernard, pourriez-vous nous parler un peu de vous et de votre bibliothèque?
Je suis un « ancien » professeur de physique-chimie, depuis peu à la retraite. Le cœur de ma bibliothèque est constitué actuellement de plusieurs centaines de livres de physique du XVIIème au XIXème siècle. Cette bibliothèque a été constituée pendant une quarantaine d’années.
Quelques livres de ma bibliothèque.
Planches du début du XVIIIème représentant des expériences de physique ; on reconnaît la fameuse expérience des hémisphères de Magdebourg prouvant la pression atmosphérique.
Depuis quand la passion de la bibliophilie s'est-elle emparée de vous?
J’ai commencé très tôt, et par hasard. J’avais une quinzaine d’années, j’habitais dans un petit village de Franche-Comté et mon milieu ne me prédisposait pas du tout à la bibliophilie. J’assistais un jour à une vente aux enchères dans un village voisin, vente qui dispersait la totalité du contenu de la maison de l’ancien médecin décédé. Lors de la visite j’avais remarqué dans le grenier, une vielle malle en bois qui, nettoyée, serait du plus bel effet dans ma chambre. Cette malle contenait un tas de « vieux livres » très sales. Ce lot n’intéressait personne et je fut le seul enchérisseur. Les « vieux livres » étaient des livres de médecine et de chimie du XVIIème et XVIIIème. Ils étaient « dans leur jus », très poussiéreux et les cuirs très secs. Sans aucune idée de leur valeur je les ai lavés vigoureusement à l’eau savonneuse et graissés à la cire familiale! Ils ont pris une très belle teinte sombre qu’ils ont gardé depuis. J’en frémis encore quand j’y pense. Ils servirent de décoration pendant plusieurs années. Je n’ai lu les ouvrages de chimie que lors de mes études à Paris. Et la, le virus de la collectionnite m’a atteint. Je me mis à fréquenter assidûment les quais de la Seine, et sans complexes les librairies anciennes spécialisées en Sciences à Paris. J’achetais alors essentiellement des ouvrages de physique et de chimie des XVIIème et XVIIIème.
Quels sont vos domaines de prédilection, ou votre approche est-elle éclectique et vous fonctionnez au coup de cœur?
Très rapidement, je me suis rendu compte que le nombre d’ouvrages intéressants était trop important et qu’il fallait se limiter à un thème. J’ai d’abord choisi de m’intéresser au passage du Cartésianisme au Newtonianisme en France entre 1650 et 1750. Puis j’ai recherché tout ce qui concernait les théories successives des « fluides impondérables », c’est à dire le feu, la lumière, l’électricité, la chaleur…Actuellement je cherche à compléter certaines revues scientifiques telles que le Journal des Sçavans (Edition parisienne, partie XVIIème), le Bulletin des Sciences par la Société Philomatique de Paris (Début XIXème), etc.
Je fonctionne très peu au coup de cœur. Chaque ouvrage lu me parle d’autres ouvrages antérieurs et ce sont certains de ces ouvrages que je recherche.
[IMG_0420.JPG] Jean-Baptiste de La Borde (1730-1777), jésuite, construit en 1759 un clavecin électrique, instrument avec clavier qui utilise l'électricité statique pour frapper des cloches avec de petits clapets métalliques. Cette invention marque le début d'un enthousiasme sans précédent pour toutes les formes d'innovations technologiques en rapport avec la musique.
Joachim Dalance [ou d’Alance] (1640-1707). Traitté de l’aiman.Amsterdam, Henry Wetstein. 1687.
Les figures sont dues à Adriaan Schoonebeek (1651-1705).
Voltaire. Elémens de la philosophie de newton, mis à la portée de tout le monde. Amsterdam, Jacques Desbordes et Cie. 1738.
Voltaire découvre Newton lors de son séjour en Angleterre entre 1727 et 1729. A Cirey, où il installe un laboratoire, il se consacre à la physique et y rédige cet ouvrage. Voltaire se propose de convertir les français au newtonianisme.
Jean Paul Marat. Mémoires académiques ou nouvelles découvertes sur la lumière… Paris, N.T. Méquignon. 1788. Selon certaines sources, les figures ont été colorées par Marat.
Jacques Rohault. Traité de physique. Paris, Chez la Veuve de Charles Savreux. 1671.
Jacques Rohault (1620-1675), physicien, donnait à Paris des conférences sur la physique, substituant les nouveautés cartésiennes aux commentaires de la physique aristotélicienne enseignés par les universités.
[Isaac Newton] - Gabrielle Émilie le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet (1706-1749). Principes mathématiques de la philosophie naturelle...Paris, Dessaint et Saillant. Lambert. 1759.
Marin Cureau de la Chambre. La lumière...Paris, Rocolet. 1657.
Pierre Bouguer.Traité d’optique sur la gradation de la lumière... Paris, Guérin et Delatour. 1760.
Où achetez vous vos livres.? Internet, salons, libraires?
J’ai acheté beaucoup chez les libraires et je remercie la plupart d’entre eux d’avoir permis à un amateur débutant de parcourir régulièrement les rayonnages de leurs librairies ; j’ai pu constater que les plus grandes maisons étaient souvent les plus accueillantes. Je fréquente les salons mais y achète peu maintenant. Internet, et plus particulièrement ebay, me permettent d’acquérir de petits ouvrages ou de compléter quelquefois certaines séries. A partir d’un certain prix il faut que je touche et feuillette les livres.
Quel est le ou les livres qui vous font rêver? Et les livres que vous possédez déjà et qui vous sont particulièrement chers?
Je ne rêve plus ! Est-ce le coté scientifique de mes recherches ? Les livres scientifiques ont pour la grande majorité été écrits pour être lus et utilisés pour la recherche ou l’enseignement. Ils sont rarement dotés de superbes reliures et leur utilisation intensive les a souvent abîmés. Les planches déplantes par exemple ont beaucoup souffert. Ce que je recherche, c’est l’exemplaire en meilleur état que le mien. Si je ne devais garder qu’un ouvrage, il devrait contenir le maximum de choses ; je crois que les dictionnaires de Physique, de Chimie et de Mathématiques de l’Encyclopédie Méthodique me suffiraient car ils donnent l’état détaillé des ces sciences au début du XIXéme. Ces dictionnaires ont paru entre 1786 et 1824. Il est très rare de rencontrer une série complète. Ils faisaient l’objet de souscription et la plupart des souscripteurs ont disparu à la révolution.
Vous savez que les lecteurs du blog aiment les histoires, auriez-vous une anecdote à nous raconter, sur une trouvaille, un livre, autre chose qui touche à la bibliophilie?
Une anecdote? A une époque où je m’intéressais particulièrement à Ampère, j’étais « polarisé » par un de ses ouvrages Recueil d’observations électro-dynamiques contenant divers mémoires, notices, extraits de lettres ou d’ouvrages périodiques sur les sciences...
Paris, Crochard. 1822 [1823]. Ce recueil est formé par la réunion de tirages à part des premiers articles relatifs à l’électrodynamique parus, soit dans les Annales de Chimie et de Physique, soit dans la Bibliothèque Universelle de Genève. Au premier jour d’un salon qui avait lieu à la Mutualité, certains libraires terminaient encore leur installation. J’étais dans un stand, devant le rayon «Sciences », une main pose devant moi un livre dont l’étiquette indiquait simplement Ampère. Le livre est resté deux secondes en place puis est passé entre mes mains. Vous avez deviné, il s’agissait du livre tant recherché. Cette fois là, j’ai très peu discuté.
Enfin, vous êtes un visiteur fidèle du blog... qu'en attendez-vous?
Je lis le blog pratiquement tous les jours. La variété des thèmes abordés, le sérieux des textes, et l’humour quelquefois des commentaires rendent ce blog incontournable pour les amateurs de livres anciens. Entre les amateurs de belles reliures, de belles gravures, de grands textes, les obsédés de sciences, de montagne, d’histoire… le courant passe. Que Hugues continue de faire vivre ce blog et que chacun sans complexe y apporte sa pierre. La rubrique identification ou recherche de livres a de l’avenir. Peut-être faudrait-il penser à un moyen pour mettre en contact les bibliophiles ayant des centres d’intérêt communs ?
Oui, bonne idée, n'oubliez pas que si vous souhaitez entrer en contact direct les uns avec les autres, vous pouvez passer par moi, je vous transmettrai vos coordonnées mutuelles.
J'aime beaucoup l'histoire de la vieille malle, d'une part parce qu'elle me parle (elle me rappelle les "trésors" que je découvrais dans le grenier de mes grands-parents) d'autre part pour son côté un peu... anachronique : le coup de la veille malle poussiéreuse remplie de vieux livres, c'est le rêve du bibliophile, rêve qui n'arrivera peut-être jamais. Mais là, cette malle marque le début d'une passion plutôt que son accomplissement. Je trouve ça chouette !
RépondreSupprimerVoici un joli portrait qui me réconcilierait presque avec la physique *clin d'oeil*
Bergamote (qui n'a toujours pas digéré la méca-flu *sourire*)
Bravo Bernard, c'est une très belle collection !!
RépondreSupprimerAmitiés
Xavier
Pour ceux qui sont intéressés par le sujet, voici un lien qui vous emmènera vers le Livre de Voltaire sur Newton, édition de 1752, 16 euros pour l'instant.
RépondreSupprimerhttp://rover.ebay.com/rover/1/709-23234-2978-9/1?AID=10367739&PID=2406630&mpre=http://cgi.ebay.fr/VOLTAIRE-On-Newton-s-Principia-1752_W0QQitemZ280213712397QQihZ018QQcategoryZ29223QQssPageNameZWDVWQQrdZ1QQcmdZViewItem
Hugues
Portrait enviable d’un bibliophile qui a su s’astreindre à limiter son intérêt pour la science à un domaine bien précis (il faudrait que l’on me rappelle en deux mots quelle est l’idée de base qui différencie le cartésianisme du newtonisme…). D’où une collection cohérente car ciblée, riche car limitée. Respect ! (jeun’s)
RépondreSupprimerUn corrélat peut cependant sourdre (vieu’x) suite à la qualité des portraits variés proposés sur ce blog. Une personne jeune et innocente mais bibliophile par essence peut être influencée par l’extrême variété des horizons livresques qui lui sont proposés d’où un risque accru d’addiction bibliomaniaque (agression de vieilles personnes pour se fournir en curiosa, religiosa, enfentina, montagnosa, algebrosa, etc… auprès de libraires indélicats). Et je pense à Gonzalo en écrivant ceci, dont j’ai vu les prémices de cette affection apparaître lorsqu’il écrit à Hugues : « Je dois reconnaître la beauté de tes exemplaires Hugues. Ils me font presque envie. En fait non: ils me font envie tout court ».
Cher Gonzalo, ne regarde pas autour de toi et résiste aux sirènes de l’exotisme. En dehors des incunables, point de salut !
Cordialement. Pierre
Pour Pierre
RépondreSupprimerDescartes imagine l'univers formé de tourbillons tournant autour de chaque étoile , formés d'une matière très subtile, invisible, pouvant entrainer avec elle des planètes. Pour Descartes le vide n'existe pas et toute force exercée par un corps sur un autre se fait soit par contact, soit par l'intermédiaire d'un troisième, la matière subtile par exemple.
Newton imagine que les astres se déplacent dans le vide. Ils exercent les uns sur les autres des forces "à distance" proportionnelles à leur masse et inversement proportionnelles au carré de la distance qui les sépare.
Les Cartésiens ont reproché à Newton le caractère "occulte" de ces forces "incompréhensibles". Fontenelle est resté Cartésien jusqu'à sa mort vers 1750.
Mille excuses pour ce vieux réflex de professeur!
si tous les profs m'avaient enseigné la physique comme ça, avec des mots que tout le monde comprend, j'aurais certainement fini par aimer ça !
RépondreSupprimerMerci Bernard !
Amitiés bibliophiliques, Bertrand
Merci infiniment Bernard, pour ce service. Voici une explication qui aura sa place dans ma mémoire, c'est sûr ! Et si je croise un vieux livre qui traite du sujet...
RépondreSupprimerCordialement. Pierre
Bonsoir Bernard et merci pour ce joli portrait,
RépondreSupprimerj'ai sur un de mes rayons l'ouvrage suivant :
Nouveau système sur la construction et les mouvemens du monde. Avec une dissertation sur la ligne de niveau. Par M. Gobert cy-devant intendant des batiments de sa Majesté.
A Paris, chez Jean-Baptiste Delespine, rue St-Jacques, à l'image S. Paul près la fontaine S. Séverin, 1703.
C'est un in-8 de 1 feuillet de titre et 4 feuillets d'avertissement, suivis de 66 pages et 1 feuillet avec l'approbation (datée du 30 nov. 1702). L'ouvrage est illustré de quelques figures dans le texte et hors texte et notamment d'une belle figure mobile de la terre dans l'espace avec le Zodiaque, les points cardinaux. L'ouvrage semble complet.
Première question. Même si cet ouvrage est peut-être assez loin de votre centre d'intérêt, le connaissez-vous ? Si oui que savez-vous sur son auteur ? Je n'ai rien trouvé de mon côté de bien complet.
Deuxième question. Si vous connaissez cet ouvrage, savez-vous la valeur des théories qu'il renferme ? Son intérêt scientifique ?
Mille remerciements par avance, les autres lecteurs du blog qui s'intéressent au sujet peuvent bien évidemment apporter leur contribution.
Albert
Je possède également cet ouvrage
RépondreSupprimer1 volume in-8 ; (12), pp 1 à 44, pp 41 à 66, (2) pp, 2 pl dont une avec partie mobile.
J'ai noté les renseignements suivants:
Thomas Gobert (1630-1708) était architecte et ingénieur du roi. Dans la première partie l’auteur conteste Copernic. « Il m’a paru plus vraisemblable et plus naturel de croire que le soleil fait simplement son tour en 24 heures, et que la terre étant en équilibre au milieu de l’air, s’incline seulement de cinq lieues ou environ en 24 heures du coté du soleil, pour en tirer les secours dont elle a besoin, sans la faire pirouetter de dix mille lieues par jour sur un axe imaginaire, inclinant de coté et d’autre ; et il paraît aussi impossible que le soleil puisse tourner obliquement, et fasse les différents mouvements qui lui sont attribués par Ptolémée, que de comprendre ceux qui sont attribués à la terre par Copernic ».Les pages 41 à 44 de la première partie sont sur un feuillet dépliant, en deux colonnes. La Dissertation sur la ligne de niveau commence avec une nouvelle page 41 et finit à la page 66.
L'auteur ne croit pas à Copernic. Son explication de l'univers est on ne peut plus farfelue!
En me penchant un peu plus sur cet ouvrage, je viens d'en localiser 3 exemplaires au Catalogue Collectif des Bibliothèques de France (CCfr), je remarque que pour l'exemplaire de la bibliothèque de l'observatoire de Paris, on trouve relié entre les pages 44 et 41 : "Addition au nouveau système de Monsieur Gobert, sur la construction & le mouvement du monde" 8 pages. Mon exemplaire est incomplet de ce supplément ?! Le vôtre le possède-t-il ? Que savez-vous à propos de ce supplément ?? Ce supplément n'est pas signalé pour les exemplaires de la BNF ou de la BM de Rennes.
RépondreSupprimerAlbert
Je viens de lire une débat passionnant sur l'avenir du livre. Je ne sais qu'en penser ! Ni qu'en dire ! Ensuite, quand je lis ce portrait, je trouve tellement sincère et entière cette passion des livres que je me dis qu'il restera toujours un amour du livre, même lorsque le support papier aura disparu pour nos lectures quotidiennes.
RépondreSupprimerMerci pour ce beau portrait d'un bibliophile qui construit patiemment sa bibliothèque autour d'un sujet qu'il aime et donc il parle si bien. J'aime cette démarche et je m'y reconnais.
Jean-Marc
Pour Albert
RépondreSupprimerJe viens de retrouver mon exemplaire. La page 40 se termine par "temps de 24.h." Puis on trouve, imprimées sur une feuille repliée, les pages 41, 42, 43 et 44. La page 41 débute par "elle est emportée" et comporte deux figures en marge. La page 44 est terminée par "impénétrable aux hommes".Cette feuille repliée n'a pas de titre spécial.La pagination reprend avec la numérotation 41. Cette page 41 est la première de la Dissertation sur la ligne de niveau.
Mon exemplaire se termine par une page d'Approbation non chiffrée placée après la page 66.
Bonnes recherches.
PS Je possède quelques ouvrages de ce genre, sur le systèmes de l'univers imaginés par quelques "amateurs"