mardi 14 octobre 2008

Portrait de Bibliophile: l’abbé de Rothelin

Amis Bibliophiles Bonsoir,

Gilles/Lauverjeat, que vous connaissez bien pour ses identifications héraldiques, vous propose ce soir un message sur Charles d’Orléans de Rothelin dit l’abbé de Rothelin, grand bibliophile du 18ème siècle.

Fils puîné de Henri d’Orléans marquis de Rothelin et de Gabrielle Eléonore de Montault, Charles d’Orléans Rothelin naît le 5 août 1691. Il est le petit fils de Henry Auguste d’Orléans marquis de Rothelin et de Marie Le Bouteiller de Senlis. Orphelin de père à l’âge de deux mois puis de mère à l’âge de sept ans. Sa soeur aînée Suzanne comtesse de Clère veillera sur lui. Il étudie au collège d’Harcourt. Il sera prêtre, puis docteur en théologie de la faculté de Paris à l’âge de 25 ans. Assistant et protégé du cardinal de Polignac il accompagne celui-ci à Rome en 1723, pour le conclave de l’élection de Benoit XIII. Il est nommé abbé de Cormeille près de Lisieux, ce qui restera son seul bénéfice. En revanche il avait hérité de la duchesse d’Elbeuf, sa tante en 1717.

Frontispice du catalogue

Elu membre de l’Académie Française le 12 juin 1728 il participe à la rédaction du Dictionnaire. Il est élu à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres le 11 décembre 1733 avec le soutien fidèle du cardinal de Polignac. Le marquis René Louis d’Argenson est élu en même temps que lui. Ce dernier, aussi bibliophile est le père du marquis de Paulmy fondateur de la bibliothèque de l’Arsenal. Il dit de l’abbé de Rothelin qu’il “a plus d’ennemis que d’amis parce qu’il se mêle dit-on de trop de choses”.

Il faisait partie de la société du “Soupers des Quinze livres” nommée ainsi car il n’était pas permis d’y dépenser plus que cette somme. Madame Marie-Anne Doublet femme de lettre en était l’animatrice. Cette société comptait encore le peintre Charles Antoine Coypel, l’auteur dramatique, antiquaire et graveur amateur le comte de Caylus, Hélvétius, Marivaux, Madame Lemarchand auteur, la comédienne Mademoiselle Quinault, Louis Fagon, conseiller d’Etat et bibliophile, Rigaud, Larguillière, de Clavière, de Mirabeau, de Foncemagne, et Fréret secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Il compta aussi parmi ses amis le comte d’Hoym, bibliophile.

Il est l’auteur d”observations et détails sur la collection des grands et petits voyages “ publiée en 1742. Il s’agit d’une étude sur les soixante opuscules publiés de 1590 à 1634 par de Bry et Merian que l’abbé de Rothelin étudie et réunit sous le titre “Collectiones perigrationes in Indiam Orientalem & in Indiam Occidentalem”

Il meurt le 17 juillet 1746. Son ami Fréret écrit son éloge. Son frère recueille son héritage. Il a dû soustraire à la vente quelques manuscrits familiaux dont l “ Histoire de la maison des Bouteillers de Senlis” exemplaire de prestige et de commande enluminé écrit par du Chesne en 1636.

Eglise de Moussy-le-Vieux, armes des Rothelin et monument des premiers comtes de Moussy

Comme beaucoup de lettrés de son temps, l’abbé de Rothelin alliait ses deux passions pour les monnaies et médailles d’une part et pour les livres d’autre part. Sa passion pour les livres remontait à l’enfance “étant encore écolier, (il) y employait tout l’argent dont il pouvait disposer”. Son intérêt pour les monnaies et médailles naquît pendant son séjour à Rome. Je suppose que ses collections demeuraient en sa résidence près de Paris à Moussy-le-Vieux.

Il avait réuni 8 000 médailles et augmenté la collection primitive du duc de Maine. A sa mort, la collection de ses monnaies fut vendue en bloc au roi d’Espagne pour 87 000 livres et les grands bronzes au marquis de Beauvau pour 40 000 livres. Il avait auparavant donné sa collection de médailles impériales de petits bronzes, forte de 9000 pièces, à M. Le Beau.

Son extraordinaire bibliothèque dont il tenait le catalogue et dont il était peu avare, fut mise en vente du 14 avril au 17 juin 1749. Un catalogue original de vente fut rédigé par le libraire Gabriel Martin, rue Saint-Jacques et publié en 1747 (format in-8 de XII, XXIV, et 618 pp). Il comporte un portrait gravé de Jacques-Nicolas Tardieu d’après Coypel en frontispice. La division du catalogue allait servir d’exemple. S’y succèdent dans l’ordre: Théologie, Jurisprudence, Sciences et Arts, Belles-Lettres, Histoire. Le catalogue précise que les livres y sont de “condition très belle...beaucoup de grand papier, lavés et réglés” “et qu’un grand nombre de reliures soit en veau soit en maroquin sont des fameux relieurs Boyet, du Seuil, Pasdeloup, et Anguerran”

Ex-libris de l'abbé de Rothelin

Le catalogue compte 5036 numéros. Les 1159 premiers ne concernent que la théologie. Une liste in fine permet de retrouver 262 manuscrits. Parmi eux nous trouvons la Bible historiée de Jean de Bruges présentée par Jean Vaudetard au roi Charles V, un des fleurons du musée Meermanno-Westreenianum de la Haye aujourd’hui et le “Missale Anglicanum” de l’abbaye de Sherborne. Daté de 1400-1405, il appartint pendant près de deux siècles aux duc de Northumberland avant de rejoindre la British Library en 1998 seulement. Ces deux ouvrages font l’objet d’un article particulier en début de catalogue. Notons encore un livre de prières pour Jeanne de Laval in-folio avec fermoirs d’argent et parmi les 85 recueils de pièces historiques manuscrites, une épître de Jean Juvénal des Ursins aux Etats de Blois en 1433.

Chemin faisant nous découvrons quatre éditions et un manuscrit des oeuvres de Rabelais, dont une édition de 1552 et l’édition sur grand papier illustrée par Picart en 3 volumes et en maroquin rouge de 1741.Nous trouvons encore, toujours sur grand papier, les oeuvres de Molière de 1734 en six volumes in-4. Les oeuvres de Joachim du Bellay et de Desportes sont présentes, mais pas celles de Ronsard! Le Roman de la Rose est bien représenté, un manuscrit sur vélin in folio et un imprimé avec figures sur bois en gothique, plus les éditions de 1521 et 1529 et 1735. Au chapitre des sciences nous retenons les oeuvres d’astronomie de Maupetuis, les “elemens de la philosophie d’Isaac Newton” par Voltaire en 1738 et les institutions de Physique par la marquise du Chastelet de 1740. Parmi les livres d’histoire figure La chronique Martinienne en incunable : Chronica ex S Hieronymo , Eusebio & ailiis excerpta per Martinum Polonum , 1477, Taurini, J. Fabri.

La collection de livres de théologie compte également plusieurs incunables, le Montbritius de 1480 par exemple, ou un Saint-Augustin imprimé à Rome en 1470, in folio, grand papier, en maroquin rouge!

Numéro d'ordre de la bibliothèque de l'abbé

La vente rapporta 83 000 livres. La bnf conserve sous la cote delta 10 937 un exemplaire du catalogue en plein maroquin aux armes royales avec les prix d’adjudication notés en marge. Cette année, au Grand Palais, un libraire proposait une copie manuscrite du catalogue également agrémentée des résultats.
Superbe! Merci Gilles.
H

5 commentaires:

  1. >> "“condition très belle...beaucoup de grand papier, lavés et réglés” "

    Quelle drôle de temps où un livre lavé était considéré comme un objet bibliophilique....

    Merci pour cet excellent article!

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  2. Bonsoir,

    Je découvre un peu tard (mais les articles se succèdent à un rythme d’enfer !) la présentation de l’abbé de Rothelin.

    Un réflexion « un peu fumeuse » m’est venue (dixit mes enfants !) : Je ne crois pas que le bibliophile du XVIIIeme siècle est quelque rapport avec celui du XXIeme siècle pour la simple raison que la bibliothèque de Rothelin devait être sa bibliothèque de travail ! Ce devait être plus la qualité des « écrits » qui comptait à cette époque que la qualité du « livre-objet » ! Que la reliure soit solide et, si possible, jolie reflétait surtout d’un esprit de classe.

    J’y ai pensé en remarquant que l’abbé de Rothelin avait élu à l’académie Française en même temps que Montesquieu dont on connaît (mais que j’ai oublié) les propos sur le choix des auteurs et la qualité d’une bibliothèque. Sa bibliothèque était renommée mais c’est, dans ce cas, la qualité des écrits qui nous est resté…

    Bon, je vois en me relisant que tout cela n’est pas très clair… Passez à la maison pour qu’on en parle ! Cordialement. Pierre

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  3. Cher Pierre,

    Je n'ai pas la même impression que vous.

    J'ai pu côtoyer quelques "bibliothèques de travail" d'érudits et de savants des XVIIe et XVIIIe siècle, dont certaines bibliothèques très importantes (en nombre de volumes).

    Pour ce que j'ai pu en voir, les personnes qui utilisaient leurs livres avaient en général des reliures modestes (plein vélin souple, ou plein veau sans ornement particulier), mais annotaient copieusement leurs exemplaires.
    Inversement, les ouvrages conservés dans des reliures "clinquantes" du XVIIe ou XVIIIe siècle sont très rarement annotés.

    Je lisais hier cette citation du président Bouhier, dans une lettre à l'avocat Marais, au sujet de la bibliothèque de du Fay: "cela sent moins le savant que le bibliomane", et l'avocat de répondre à Bouhier: "Le jugement que vous portez du catalogue de M. du Fay est excellent: ce n'est pas une bibliothèque, c'est une boutique de livres curieux" (cité par J. Viardot, histoire de l'édition française, t. II).

    Les hommes du XVIIIe siècle savaient donc distinguer la bibliothèque de travail de la bibliothèque de bibliophile.

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  4. Si une part de la bibliothèque de l'abbé de Rothelin constituait sa bibliothèque de travail, (un grand nombre des livres de théologie). La rareté et la qualité des exemplaires avaient guidé ses acquisitions. Sa collection "des Grands et petits voyages" était devenue légendaire pour cela. (Passée ensuite chez de Meyzieux), Ses 15 (Quinze!) Missels et livres de prières manuscrits sur vélin et enluminés montrent assez son goût de collection. L'abbé de Rothelin n'est pas un père Mauriste épris de compilations et de publications. A propos voici le sujet d'un autre portrait...
    Cordialement
    Lauverjat

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  5. Le seul risque de la conversation est de changer d'avis... Merci pour vos commentaires judicieux.
    Cordialement. Pierre

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