vendredi 5 décembre 2008

Comment décrire un livre, conseils aux néophytes

Amis Bibliophiles bonsoir,

Bibliophiles comme amis libraires (même les meilleurs amis), nous nous trouvons tous un jour dans la situation de vendre un livre et donc de le décrire. Pour vous aider face cette situation délicate, qui est loin d'être évidente, je vous propose de suivre les conseils suivants. Ils sont inspirés de ma longue pratique en tant que lecteur de notices proposées par de nombreux vendeurs, "professionnels emphatiques" ou amateurs, et de la lecture de "A Course in Correct Cataloguing, or Notes to the Neophyte; and A Second Course in Correct Cataloguing, Compiled and arranged by David Magee (1905-77)", que m'a indiqué l'ami Martin, et que j'ai augmenté et adapté.

A prendre bien sûr avec humour et ironie, même si c'est très souvent justifié et vérifiable!

Attribuable à : si votre maroquin n’est pas signé, pas de panique cela ne peut qu’être lié à l’oubli d’un apprenti dans un atelier renommé. A ne pas oublier, si la reliure est ancienne, ne pas hésiter à l’attribuer à Boyet ou à Le Gascon, si elle est 19ème, elle est forcément de Capé, Duru ou Trautz.

Bibliographies : utiles et toujours impressionnantes dans une description, elles sont souvent très profitables. Si elles ne vous profitent pas, ne pas hésiter à dénigrer les bibliographes, qui se trompent souvent ! Si votre édition est inconnue des bibliographies, c’est le jackpot.

Absent des bibliographies : « pas dans Dorbon, Brunet ou Caillet » est une affirmation qui rend votre livre rare et qui sous-entend qui vous avez de vastes références bibliographiques. Ou google à la maison.

Cachets de Bibliothèque: toujours discrets, surtout si vous avez essayé de les effacer.

Coloriés à la main : les illustrations coloriées à la main sont toujours "exquises" et "délicates".

Craquant : adjectif charmant qui s’utilise en général pour les feuilles de laitue.

Défauts : ils sont toujours « minimes » ou « d‘usage » voire « habituels ». Ils sont bien sûr liés aux outrages du temps, mais jamais aux rats, souris, enfants indélicats ou abrutis patentés.

Dorure : elle est toujours "exquise" et très "fine".

Dos : pour un livre 18ème il est toujours "richement orné".

Dubuisson : cf « attribuable à », toute reliure à plaque du 18ème est de Dubuisson… ou presque.

Dürer : toutes les gravures non signées du 16ème siècle peuvent lui être attribuées. Il peut être pertinent de vérifier que votre ouvrage est paru à peu près pendant sa vie.

Premier tirage : si votre copie possède un élément qui tend à montrer qu’elle est de premier tirage, soulignez-le avec force. Et n’oubliez pas de doubler le prix.

Edition Originale : à utiliser sans modération, ne jamais oublier qu’une édition revue, augmentée et/ou corrigée peut aisément être qualifiée d’originale. Ou presque. Et n’oubliez pas de doubler le prix.

Edition (troisième et suivante) : plus difficiles à vendre. Mais vous pouvez sans doute découvrir une préface inédite de trois lignes ou quelques corrections qui vous permettront un efficace « troisième (et meilleure) édition ».

Epave : on préférera « exemplaire de travail ».

Exemplaire/Seul exemplaire connu : n’oubliez pas d’ajouter « excessivement rare », les gens sont tellement stupides.

Exemplaire de travail : tout livre qui est déchiré, sans reliure, roussi, brûlé, dévoré par les vers ou les rats, etc.

Faux-titres : très important si votre exemplaire en possède.

Frotté : doit toujours être accompagné de « légèrement ». Vous pouvez même ajouter « signes de l’amour que lui porta son ancien propriétaire ».

Illustrations : toujours "superbes", "célèbres" ou au moins "curieuses".

Jamais ouvert/à l’état de neuf : indique en général un livre que personne n’a jamais eu envie d’ouvrir. N’oubliez pas de doubler le prix.

Noms manuscrits sur les faux-titres ou la page de titre : ce petit défaut peut être aisément changé en qualité en consultant google ou un dictionnaire biographique. Ainsi un « Bougremont » maladroitement calligraphié vous conduira à : de Bougremont, Jean (1649 – 1720) : écuyer du Connétable de Bourgogne et seigneur de Bougremont, célèbre pour sa collection de hiboux empaillés. A vous de rédiger votre notice : « charmant ouvrage ayant sans doute appartenu à Jean de Bougremont, célèbre aristocrate du 17ème siècle, ornithologue et grand cavalier. Rare provenance ».

Octavo : un format pratique quand vous n’êtes pas très sûr de vous.

Provenance : un élément clef. Il est toujours plaisant (et souvent profitable) de cataloguer un exemplaire La Bédoyère – Hoe – Adams, mais si votre ouvrage contient l’ex-libris d’un illustre inconnu comme le marquis de Bougremont, alors vous devez simplement écrire « exemplaire Bougremont ». Certaines personnes trouveront cela étrange mais vous serez surpris de voir combien cela fonctionne.

Rare : s’applique pour tout livre que vous croisez de temps en temps. Et n’oubliez pas de doubler le prix.

Recherché : s’applique pour tout livre rare. Et n’oubliez pas de tripler le prix.

Restauration : toujours « habile » et « ancienne »

Rousseurs : toujours "légères", voire "minimes".

Tranches peintes : elles sont toujours "superbes" et "exquises", même si c’est votre arrière grande tante Simone qui les a peintes un dimanche pluvieux.

Trou de ver : toujours "minuscules". Toujours dans les marges. Il est communément admis que les vers n’aiment ni l a lecture, ni l’encre.

Unique : un mot dangereux, mais qui sonne bien.

A vous de jouer!

H

19 commentaires:

  1. Fabuleux catalogue de commentaires et de plus, tellement vrai.

    Bravo

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  2. Très bonne vision du monde mystérieux de la description et de la vente... On en sourit !

    Cordialement

    Léo

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  3. Ca me désopile la rate...
    Olivier

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  4. Très très drôle et perspicace.

    Bravo Hugues

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  5. Je me suis gondolé en lisant ce petit dictionnaire à l'usage des libraires ampoulés. C'est pourtant la triste réalité... comme le dit si bien Hugues, que celui qui ne s'est pas habitué à de tels descriptios d'ouvrages dans les catalogues me jette le premier maroquin. Il faut bien l'avouer, un exemplaire defectueux est souvent idéalisé par son vendeur, qu'il soit libraire ou particulier. Hugues vient de nous rappeler avec humour à quel point il est facile de se laisser endormir par une notice.

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  6. Depuis quelques tempes, le CCFr est la providence des libraires en mal de rareté. Rien de mieux que ne pas trouver d'exemplaires au CCFr.

    Si vous avez la chance que votre ouvrage ait été considéré comme rare par une bibliographie prestigieuse (par exemple Saffroy, pour le régionalisme, la généalogie ou l'héraldique), n'hésitez pas à le mentionner, même si les faits et une petite consultation sur Internet vous démontreront que Saffroy n'avait pas raison.

    Malgré tout cela, il y a des livres rares, en bon état, de provenance prestigieuse avec des défauts minimes et que c'est vrai. Malgré ces petits péchés véniels de l'euphémisme (les libraires sont-ils donc les seuls aujourd'hui ? Pensons à ces réajustements qui ne sont qu'une façon "délicate" de parler de plan social), beaucoup de notices de libraires sont justes.

    Jean-Marc

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  7. et les coiffes souvent arrachées, les mors éclatés,les coins écrasés, les ex-libris décollés, les tranchefiles détachées, les dos insolés, les cahiers décousus, les reliures encore solidaires, les moisissures toujours actives, les différentes taches de différentes circonstances...

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  8. Pour équilibrer un peu les choses, je propose que nos amis libraires envoient à Hugues un recueil de la mauvaise foi dont usent parfois leurs clients pour obtenir un rabais, se faire rembourser plusieurs mois après l'achat, ou uniquement pour le plaisir.

    Je suis sur que la compilation serait intéressante.

    Eric

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  9. Merci Eric, mais comme je l'indiquais en préambule, ce message ne s'adressait pas aux libraires spécifiquement, mais à tous ceux qui sont un jour en situation de décrire un livre et qui se laissent aller, emportés pour leur emphase, l'amour de leur exemplaire, le goût du profit et d'autres choses encore...
    Les amateurs qui vendent leurs livres, sur ebay par exemple, ont souvent ce travers d'ailleurs.
    En ce qui concerne le renvoi de livres, je ne l'ai jamais pratiqué, donc je ne sais pas trop quoi en dire.
    H

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  10. Ou qu'ils reçoivent le livre et il n'est jamais arriver... (perdu par la poste, bien sur) On perd le livre, et on est obligé de le rembourser pour ne pas perdre "le client". Ceci est du vécu... C'est bien connu, les libraires sont tous riches. Ils sont à tout les coins de rue ; tellement le métier est gratifiant. Que dire des pauvres relieur non déclarer, voir même des restaurateur de livre... Qu'ils payent des charges, qu'ils gèrent une entreprise et surtout qu'ils nourrissent leur famille. Facile de crier au loup. Ca suffit. Un petit libraire qui aime son métier passionnément.

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  11. Cher "petit libraire qui aime son métier passionément", je vous conseille une bonne camomille, ou alors de relire l'introduction de mon message, où je précise que cela concerne tous les vendeurs (et même tous les "noticeurs", à titre privé ou commercial), qu'ils soient pro ou amateurs. Je ne désignais en rien les libraires de façon spécifique (mais curieusement, vous l'avez pris pour vous). Souvent les amateurs sont d'ailleurs les pires, parce que pour eux un veau en miettes est encore parfois "une superbe reliure en cuir d'époque légèrement abîmée".
    Pour le reste, le blog aime toujours autant les libraires, et même plus que jamais avec ce qui se préprare (sans parler du lien vers les livres de Martin la semaine passée, qui a fait vendre).
    Enfin, pour la Poste, je ne peux que vous conseiller le choix du bon sens: colissimo (presque aussi doux que la camomille).
    Hugues

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  12. Vous avez fâché le chef!... C'est dommage, parce que ce blog sert la bibliophilie et les bibliophiles, qu'ils soient amateurs ou libraires. Je n'ai jamais vu ici un seul message s'attaquant aux libraires, si ce n'est quelques commentaires dans des débats, mais il faut que tout le monde s'exprime. Et c'est aussi ce qui donne du caractère à ce site, par rapport à d'autres qui ronflent doucement et sont finalement forts ennuyeux... En tout cas le blog sert forcément à rapprocher libraires et bibliophiles.
    Pour la poste: comment un libraire ou un bibliophile peut-il considérer qu'un envoi postal non suivi soit acceptable pour un livre précieux? Tout cela pour gagner quelques euros qui ne représentent sans doute qu'entre 1 et 10% de la veleur totale du livre...
    E.

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  13. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  14. Excellent ! et même pas caricatural... Vous avez oublié pas mal de choses. Une "seconde édition" sera la bienvenue. Ainsi je propose le délicat : "titre et vingt premiers feuillets en déficit", dont un ou deux experts à Drouot sont friands. Oui, le mot d'incomplet a quelque chose d'obscène pour ces gens "exquisement délicats".
    Le libraire sardonique.

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  15. Si vous vous posez encore la question de savoir comment vous lancer en librairie, regardez cette petite comparaison:
    1. Ce libraire achète ce livre le 5 décembre pour 893 euros:
    http://cgi.ebay.fr/ws/eBayISAPI.dll?ViewItem&item=300276890136&ssPageName=ADME:B:EOIBUAA:FR:1123
    2. Il le met en vente 15 jours plus tard, même exemplaire, pour 3000 euros.
    http://cgi.ebay.fr/ws/eBayISAPI.dll?ViewItem&item=270320844707&ih=017&category=34188&ssPageName=STORE:PROMOBOX:NEWLIST#GALLERY
    Jolie culbute!
    Karine

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  16. Il faut bien vivre!
    Tristan

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  17. Je précise que je ne suis pas dupe, je connais les marges des libraires, ce qui me surpend c'est que cette série (que je convoitais, il est vrai), soit achetée et revendue au même endroit, sur ebay, dans un intervalle aussi court... on voudrait détruire l'image du libraire qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Comment ne pas se poser la question à chaque fois désormais?
    K

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  18. Karine : C'est qu'il y a libraire et vendeur de livres...
    Parfois aussi collectionneurs rancuniers ?
    Hugues : Joli bréviaire au vitriol des travers descriptifs !

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  19. Hummmm!!! même 2 ans et demi aprés, c'est un régal.
    Vive la librairie et vive la révolution.
    internet a seulement permis de demasquer un peu plus les pratiques douteuses... ceux qui sont honnétes restent honnétes, quant aux autres...
    Vive la bibliophilie!

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