mardi 13 avril 2010

Lortic, le neurologue et les libraires parisiens

Amis Bibliophiles bonsoir,

Je reviens ce soir sur l'un des deux faits divers qui ont secoué le landerneau bibliophile ces derniers mois, à savoir celui du neurologue bibliomane, avec quelques détails supplémentaires.

Vous vous souvenez forcément de cet éminent neurologue suisse, appelons Julien B., qui détournait les fonds de l’hôpital dans lequel il dirigeait un service pour acquérir des ouvrages rares; les livres en question étant plutôt des ouvrages illustrés et bien reliés du 20ème siècle.

Mais peut-être ne savez vous pas que c'est notre ami Pierre-Marcelin Lortic qui est à l'origine de la perte du neurologue bibliomane? En effet, c'est lors d'un contrôle de routine effectué sur une facture reçue à l'hopital que les services comptables de l'établissement découvrîrent que des factures avaient été réglées pour un total de 260 000 euros environ au bénéfice de Lortic SA, qui n'était en fait société fictive (on admire la créativité...), destinée à encaisser à Genève les paiements effectués à un grand libraire parisien.

Malgré sa renommée internationale, qui prouve que l'on peut être à la fois un spécialiste du cerveau et perdre la raison, notre neurologue bibliomane ne pût dissimuler longtemps ses malversations et reconnu avoir élaboré ce système de fausses factures pour assouvir sa passion. 

Au final, ce sont plus de 3,5 millions d'euros qui furent ainsi détournés par le bibliophile, dont on suppose qu'il était accueilli avec amitié chez les libraires. Incarcération, opprobre, caution, il est finalement sommé de s'expliquer devant la Cour: il présente ses excuses et propose qu'il remboursera intégralement toutes les parties lésées.... les chroniqueurs judiciaires présumeront qu'il avait senti le vent tourner dès 2005, en confiant à Christie's le soin d'organiser la vente d'une partie de sa bibliothèque («Bibliothèque d’un amateur européen», vente 5443, 23 mai 2006). La vente ne rassemblera que 117 lots mais totalisera plus de 4,2 millions d'euros (http://www.christies.com/LotFinder/searchresults.aspx?intSaleID=20697#action=refine&intSaleID=20697&sid=0a2f5ba9-916f-44a4-8a10-8a83dea0a517). 


Le calcul est vite fait et l'on constate que le neurologue avait bien de quoi rembourser ses victimes, il ajoutera un don de 45 ouvrages rares de sa collection vaudoise à une bibliothèque publique juste après le procès.

Il sera finalement condamné à deux ans de prison avec sursis et une forte amende. Autre chose? Oui, il cocasse de noter que Julien B. est le fils d'un original qui avait dérobé un Watteau au Louvre en 1939, en sortant simplement avec le tableau sous le bras, avant de le rendre deux mois plus tard après l'avoir restauré.

J'ai identifié au moins l'un des ouvrages de Julien B. lors d'une vente Bérès. Il pourrait être amusant de retracer son itinéraire: vendu par M. Vrain, libraire parisien, au bibliophile suisse qui y apposa son ex-libris, avant de le remettre en circulation lors de la vente Christie's, où il sera acquis par Pibi puis remis en vente lors des ventes du siècle? 

Mais dis-moi, Pierre-Marcelin, pourquoi toi, qu'es-tu allé faire dans cette galère?

H

4 commentaires:

  1. Ce neurologue, à certains égards, est un bienfaiteur.

    Il a fait travailler des libraires, des banquiers, des commissaires priseurs et tout un petit monde qui a reçu de légitimes rétributions pour les services rendus. Il a payé des droits à l'état lors de ses transactions et le monde de la justice n'a pas été oublié dans sa générosité qui lui a permis de rétribuer des avocats, des experts et des juges engagés pour la procédure...

    Les journalistes ont vendus leurs papiers et les patrons de presse leurs journaux. Et je ne compte même pas les sous-traitants !

    Une chose me chagrine. Un vrai bibliopathe n'aurait jamais vendu une partie de sa collection avant de se faire prendre. Ce gars me parait tout à fait normal. Il aurait pu faire la même chose avec des tableaux. Pierre

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  2. Ce qu'on ne nous dit pas dans cette affaire, c'est si un libraire qui va chercher des fonds suspects en Suisse est répréhensible ?

    Pierre Rotrou de Bâle

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  3. apparemment il a vendu quand l'affaire a été découverte, et les délais de la justice n'étant pas les mêmes que ceux d'une mise en vente, il a pu, à l'audience, témoigner de sa "bonne volonté", puisqu'à ce moment-là il avait déjà remboursé tout le monde.
    Par ailleurs, que certains professionnels ou non ne se montrent pas très regardant sur l'origine des fonds de leurs acheteurs, ce n'est pas une surprise, et ce n'est certainement pas réservé au marché de la bibliophilie...

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  4. Quel article! Quels commentaires! il y a tout les ingrédients pour un excellent roman policier ou d'aventure. En tout cas, c'est plus passionnant, avec un pointe humoristique malgré tout (la remarque sur le tableau) que mes derniers lectures.

    Bonne soirée

    Chantal

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