Jean-Louis Carra (1742-1793) fut journaliste et député à la Convention. Sa carrière peut être comparée à celle de Marat. Comme lui, avant la révolution, il étudie la physique. Il publie deux ouvrages : En 1784 Essai sur la Nautique aérienne, contenant l’art de diriger les Ballons aérostatiques à volonté, & d’accélérer leur course dans les plaines de l’air; avec le précis de deux expériences particulières de Météorologie à faire. En 1787 Dissertation élémentaire sur la nature de la lumière, de la chaleur, du feu et de l’électricité.
Protégé par Voltaire et Diderot, il collabore à la partie géographie de l’Encyclopédie. Ses théories sont exposées dans un ouvrage très peu connu paru de 1781 à 1783.
Nouveaux principes de physique.
Paris, Chez Esprit et l’Auteur puis chez Morin, Esprit et l’Auteur. 1781-1782 -1783.
4 tomes en 3 volumes in-8 ; 1er Volume : LXXXIV, 159, (4) ff, 4 pl. – 2ème Volume : (4), 240, (9) ff, pl 5 à 12. – 3ème Volume : VIII, 240 pp, (4) ff, pl 13 à 16 – (4), 284 pp, (5) ff, pl 17 à 21.
La page de titre du premier volume diffère de celle des trois autres, comme dans tous les exemplaires rencontrés. Pour quelle raison ? Carra dédie son ouvrage au Prince Royal de Prusse. Il définit sa philosophie dans le Discours préliminaire : « Pour simplifier le méchanisme de l’univers, l’Etre Suprême a répandu, par le seul acte de sa volonté, dans l’immensité de l’espace, un fluide, agent universel de sa toute puissance, auquel il a abandonné la matière. »
Carra se montre partisan de la royauté et de la religion : « Ainsi les principes qui ont persuadé les philosophes qu’ils devaient se considérer comme le fléau des Rois et les champions des peuples opprimés, doivent être rejetés et bannis de la vraie philosophie. »
L’ouvrage est à mettre en parallèle avec la Physique du Monde de Marivetz, que Carra admire. Comme Marat, l’auteur se plaint de l’accueil de ses idées par les institutions scientifiques. Vous pouvez vous reporter aux deux billets consacrés à Marivetz et Marat dans ce blog.
L’ouvrage est commenté dans le Journal de Physique de septembre 1781, page 247 et d’octobre 1782, page 317. Le rédacteur de ce journal note par exemple: « Ce troisième volume est entièrement dans le genre des deux premiers que nous avons annoncés ; même obscurité, mêmes énigmes à résoudre, mêmes principes et même style pour les exposer : ce n’est partout que des atomes cubicules ou alkalis majeurs, qu’atomes globules ou alkalis mineurs en excès, qu’atomes pointes ou acides majeurs, qu’atomes spirales ou acides mineurs, etc ».
L’auteur aigri termine le quatrième tome en écrivant : « Quant à ceux qui m’accuseront, comme les Compilateurs du Journal de Physique d’être obscur et énigmatique, je les renvoie à la Postérité qui leur donnera le mot de toutes mes énigmes. ».
Dans l’avant propos du troisième tome, il attaque l'astronome Joseph Jérôme de Lalande: «…quoique j’aie adopté formellement l’attraction, je n’ai pu me garantir des petites espiègleries d’un petit Astronome, qui se regarde comme l’Ange gardien des astres et le Génie tutélaire du vuide newtonien. Ce petit génie a refusé d’annoncer mon ouvrage dans son journal, parce que j’ai osé faire des innovations dans un domaine dont il a l’inspection depuis trente ans… ». Carra termine le dernier volume par un Avis à ceux de mes lecteurs qui auront pris un véritable intérêt à cet Ouvrage, dans lequel il attaque encore de Lalande : « On conçoit comment un nom qui traîne à sa suite celui de dix-sept Académies, peut exalter la cervelle de l’individu qui le porte, surtout quand cette cervelle est étroite, ou mal modifiée. Un savant ne cherche jamais à accumuler les titres, et n’en tire publiquement vanité, qu’en raison inverse de son mérite. M. de la Lande, en voyageant en Italie, en Flandres, en Allemagne, avait grand soin de faire insérer dans les Papiers publics des villes par où il passait, que le célèbre M. de la Lande y était arrivé… »
Carra avait dédié son ouvrage au roi de Prusse. Il est intéressant de lire une lettre de d’Alembert à Frédéric II, datée du 8 mars 1781 : « Je me hâte de répondre par le courrier d'aujourd'hui à la dernière lettre que V. M. m'a fait l'honneur de m'écrire, et dans laquelle elle se plaint que j'aie eu la sottise de lui envoyer je ne sais quel mauvais livre de physique. Les reproches de V. M. seraient très-justes, Sire, si en effet je lui avais causé l'ennui de cette lecture; mais je n'en suis nullement coupable. Je n'ai pris la liberté d'envoyer à V. M. aucun ouvrage, bon ou mauvais; je connais ses intentions à ce sujet, et je suis très-exact à m'y conformer. Je n'imagine pas même qui a eu l'impertinence de se servir de mon nom pour ennuyer V. M. M. de Rougemont, son banquier, me dit hier qu'un M. le baron de Marivetz l'avait chargé d'envoyer un livre à V. M. Mais, Sire, je ne connais point ce M. le baron de Marivetz, je n'ai point lu son livre, et je n'ai rien dit à ce sujet à M. de Rougemont. Il y a aussi un M. Carra qui a dédié récemment un livre de physique à monseigneur le Prince de Prusse, et qui m'a dit en avoir envoyé un à Berlin, aux armes de V. M.; mais M. Carra, que je connais, m'a assuré qu'il ne s'était point servi de mon nom pour cet envoi. Je prie donc V. M. d'être persuadée que je ne suis nullement coupable de l'impatience que lui a causée ce mauvais ouvrage, quel qu'il puisse être. C'est bien assez de l'ennuyer quelquefois de mes rapsodies, sans y ajouter celles des autres. Je suis avec le plus profond respect et pour votre personne, et pour votre temps, etc. »
Carra meurtri, comme Marat, de ne pas être reconnu à « sa juste valeur », publie un ouvrage intitulé Système de la Raison, ou le Prophète philosophe dans lequel il développe des idées matérialistes, antireligieuses et antimonarchistes. Il accueille la Révolution avec enthousiasme. Le 8 septembre 1792, il se présente à la barre du corps législatif avec une tabatière en or, qu’il dit lui avoir été donnée par le roi de Prusse, en reconnaissance d’un ouvrage qu’il lui avait dédié. Il demande que cet or serve à combattre le souverain qui l’en avait gratifié : il termina en déchirant la signature de la lettre que le roi lui avait adressée.
Carra est élu à la Convention par six départements, et opte pour la Saône-et-Loire. Il siége parmi les Girondins. Lors du procès du roi, il vote pour la mort « pour l’instruction des peuples dans tous les temps et dans tous les lieux, et pour l’effroi des tyrans ».
DISCOURS CONTRE LA DÉFENSE DE LOUIS CAPET, Dernier Roi des Français.
De l’imprimerie Nationale [1793].
1 brochure in-8 ; 12 pp.
Ce discours a été prononcé à la séance du 3 janvier 1793 par Carra, député de Saône et Loire. Il a été imprimé par ordre de la Convention Nationale.
Louis XVI est guillotiné le 21 janvier 1793. En juin la Montagne élimine les Girondins. Le 28 juillet, Carra est arrêté pour conspiration contre le gouvernement. Le 3 octobre il est compris dans le décret de mise en accusation des Girondins, condamné à mort et guillotiné le 31 octobre.
Le parallélisme avec Marat est étonnant. Tous deux dans les années 1780 ont sollicité vainement la reconnaissance du milieu scientifique. Leurs idées « originales » n’ont pas été reconnues. La révolution et une fin tragique les attendaient.
Merci Bernard.
Hugues
Génial, cet article !
RépondreSupprimerComme quoi les révolutions tiennent à peu de chose, il aurait suffit que son bouquin soit un peu moins embrouillé et que le roi de Prusse félicite Carra et peut-être que Louis XVI n'aurait pas été guillotiné. .. Vous voyez la pataquès historique, pas de Napoléon, rien ..
Un vrai roman que la vie de ce Carra, il faudrait en faire un film !
Ceci étant, d’Alembert aurait pu soutenir un peu son collègue, je le trouve très lèche-botte sur ce coup-là.
La figure 3 est intrigante. Aurait-il eu l’intuition de la théorie de la relativité générale 150 ans avant Einstein ?
Textor
Quand Bernard néglige de nous expliquer les théories de Carra pour se pencher sur son destin pathétique c'est que le physicien était à la hauteur du guillotiné ; un peu court...
RépondreSupprimerExcellent billet. Je crois qu'en fait, les grands incompris sont imperméables au doute. Pierre
" Le physicien était à la hauteur du guillotiné ; un peu court..."
RépondreSupprimerPierre, avec des aphorismes de la sorte, vous allez entré directement à l'Académie, au coté de Philippe Gandillet !
Et en ce qui me concerne, je ne suis pas prêt d'y accéder, si je continue à faire autant de fautes d'orthographe !
RépondreSupprimerMerci pour cet article intéressant comme toujours
RépondreSupprimer"les grands incompris sont imperméables au doute"
et pour un scientifique c'est déjà mal parti