Amis Bibliophiles bonsoir,
C’est un double concours de circonstances qui m’amène à évoquer quelqu’un que je n’ai jamais connu. Je recevais jeudi le catalogue de la librairie Occitania de Toulouse. On est loin des publications luxueuses des grandes librairies : point de photos, de courtes descriptions qui dépassent rarement la description physique des livres. J’ai été interloqué par le contenu très relevé de celui-ci avec de très beaux livres, de très belles reliures. J’ai alors avisé qu’il s’agissait du 400ème (!!!) catalogue de cette librairie.
A numéro historique, contenu de circonstance. Catalogue reçu jeudi, ouvert et lu le soir même, j’avais jeté mon dévolu sur plusieurs numéros. J’ai attendu patiemment 10h le lendemain (heure d’ouverture de la ligne) mais patatras l’objet premier de mon désir était déjà parti dans d’autres bras : l’édition de 1880 de Madame Bovary chez Charpentier reliée en maroquin crème par Forbin.
La deuxième circonstance est d’avoir acheté il y a peu (et auprès de son petit-fils) les mémoires du fondateur de cette librairie : Marcel Thourel [1913-1988] (L’amour Livre. Souvenirs d’un bouquiniste de province, Editions Midia, 1987) qui édita 271 de ces catalogues. Je me suis dit que l’itinéraire assez atypique de ce bouquiniste de province méritait qu’on s’y arrête. Comme le dit l’auteur : « N’oublions pas les petits, les obscurs, dont la renommée n’a pas franchi les limites d’un département ou d’une région, mais qui tous à leur place et à toutes les époques ont participé à ce qui est l’impératif noble de notre profession : la conservation et la transmission des livres, de siècle en siècle, de génération en génération, en un cycle que nous avons la vanité d’espérer sans fin ».
Ce qui est singulier dans cette trajectoire (outre des origines sociales qui ne le prédestinaient pas à ce métier) c’est le type de commerce qu’il mit en place : un libraire sans librairie exerçant pendant trente ans depuis sa maison sur les coteaux du Tarn-et-Garonne.
Né en 1913 d’une famille d’ouvriers d’un faubourg populaire de Toulouse. Il obtient le certificat d’études grâce aux points supplémentaires dont bénéficient les enfants dont le père est mort à la guerre. Peu passionné par l’administration qu’il intègre à 13 ans en tant que télégraphiste (et grâce à son statut de pupille de la Nation), il débute à 16 ans comme ouvrier boulanger. Il le restera 10ans. De ces origines modestes découlera un engagement politique au Parti communiste dont il fut un des cadres du sud-ouest mais aussi un rapport humble à sa profession à venir : pas de fioritures, du travail, du sérieux, des prix modérés et une sérieuse bosse du commerce.
C’est au retour de la guerre que sa vie professionnelle va prendre un nouveau tour. Découvrant sur le marché de Montauban un loueur de livres, il décide de se lancer dans cette activité de service rendue plus nécessaire par la pénurie de l’Après-guerre. Il ne connaît rien aux livres comme objets de commerce mais en possède sans être pour autant un grand lecteur. Dans un premier temps il n’envisage absolument pas d’entamer un commerce de livres et se contente d’organiser un système de location de ses exemplaires personnels. C’est un bibliophile qui va lui signaler qu’au milieu des romans à l’eau de rose dont sont friand(e)s ses lecteurs (et surtout ses lectrices) se trouvent des livres qui méritent mieux. C’est d’ailleurs ce bibliophile qui va en quelque sorte « faire son éducation » en le conseillant, lui donnant à lire des catalogues de ventes parisiennes grâce auxquels il fait son apprentissage « sur le tas ». A partir de 1946 et jusqu’en 1974 il est « bouquiniste » car il se refuse le titre de libraire. Il n’empêche qu’il publiera au long de sa vie professionnelle rien moins que 271 catalogues… !
Une des particularités de son parcours aura été de ne jamais tenir de librairie. Toute sa vie il fonctionnera de manière itinérante (en aménageant un véhicule spécialement) puis par catalogue depuis sa maison construite à dessein (mode de vie qu’il appelle « le bouquiniste aux champs »). Le stock occupant le rez-de-chaussée et l’habitation l’étage. S’il ouvrira des bouquineries à Montauban puis à Toulouse, il n’exercera jamais « en magasin » laissant ce soin à son fils. Cette librairie « en champs » ayant d’ailleurs ses avantages : « La vente par catalogue, devenue la routine et ne laissant guère de place à l’imprévu, je pouvais à ma convenance faire alterner travail et jardinage. Je trouvais toujours assez de livres pour composer mes catalogues qui s’épuisaient toujours aussi rapidement, et mes légumes poussaient très bien sur ma terre, à flanc de coteau exposé plein sud ».
Autre particularité, il ne passera le permis de conduire qu’à 47 ans s’en remettant au chemin de fer et à ses connaissances pour se faire véhiculer pour visiter une bibliothèque à vendre, la déménager et acheminer ses colis. Les prix pratiqués étant modérés les catalogues étaient généralement épuisés en quinze jours… et il n’eut pas à déplorer plus de 30 factures non honorées en trente ans de pratique : « les bibliophiles dans leur ensemble quelle que soit leur position sociale, sont gens de bonne compagnie, et j’affirme ici qu’avec l’amour des livres l’honnêteté semble être leur première vertu ». Les 300 lettres reçues suite à l’annonce de sa retraite de clients qu’il n’avait jamais vu témoignent des étranges relations qui peuvent se nouer à distance et ce bien avant internet.
Parmi les passages savoureux de cette autobiographie (sur les achats de bibliothèques notamment) il y a ce mode d’approvisionnement en livres à Paris qu’il mit en place et qui évoque immanquablement les images de La traversée de Paris. Il avait fait confectionner deux lots de valises gigognes et partait avec deux valises vides pour descendre avec 6 bourrées à craquer de livres (ce qui impliquait sur place des va-et-vient multiples entre son hôtel et les quais pour remplacer les valises pleines par des vides…). Ou encore ce fonds d’un libraire de Bordeaux acheté en bloc et qui occupait un entrepôt du sol au plafond soit 100 tonnes de livres qu’il dut (avec son fils) trier pour n’en retenir que 13 à 15 tonnes. Le tout prit tout de même plus d’un mois à raison de quatre jours par semaine... !
Trente ans de bouquinerie enseignent également le marketing viral : « Le contenu de mes étalages s’améliorant par des achats renouvelés, j’ai connu aussi les « fouineurs » tels ceux qui fréquentent les « puces » des grandes villes. Ceux-là toujours à l’affût de la bonne affaire, du livre dont la valeur littéraire et marchande aura échappé à la sagacité ou à la connaissance du vendeur. Ce client-là, pour peu qu’il soit enclin aux confidences, fera à son insu la meilleures des publicités au marchand s’il a fait un « chopin » ; la vantardise aidant, il claironnera qu’il s’agit de la meilleure affaire de sa vie et de se gausser du marchand « qui n’y connaît rien ». […] L’expérience et la connaissance venant, le vendeur astucieux saura en temps opportun glisser parmi ses livres quelques-uns dont le prix sera anormalement bas. »
Le numéro 262 de ce 400ème catalogue lui rend hommage : Thourel (M.), Vivre à Marengo. La vie d’un faubourg populaire de Toulouse entre les deux guerres. Toulouse, Privat, 1985, in-8, 170 pp., ill h-texte. 20€
Merci Olivier pour ce très beau portrait,
H
Glisser quelques chopins parmi ses livres de façon intentionnelle permet de nourrir le rêve chez les chercheurs de trésors. Je n'avais jamais pensé que cela puisse être un atout publicitaire... Très beau portrait de jardinier-libraire. Merci Olivier. Pierre
RépondreSupprimerSuperbe !
RépondreSupprimerQuel bonheur de relire des souvenirs qui ressemblent tant à des événements qu'on a pu connaître.Les "Mémoires" des bouquinistes, des libraires et des bibliophiles sont des romans !
Quel bonheur ! Bonne nuit !...faites de beaux rêves bibliophilesques!...
j'encourage tous les libraires à suivre son exemple à grande échelle. Je suis volontaire pour me vanter des bonnes affaires en perspective.
RépondreSupprimer(mais comme je n'y connais pas grand chose, merci de m'indiquer les chopins en question, tout le monde gagnera du temps...)
J'ai devancé votre appel, calamar, car j'ai un petit rayonnage intitulé "le coin du chineur" dans lequel j'ai truffé des ouvrages du XVIIIeme siècle de quelques perles...
RépondreSupprimerMais le jeu perdrait de son intérêt si, en plus, je marquais ces livres d'une mention "chopin pour calamar" ;-)) Pierre
Tiens, je n'avais jamais imaginé que l'incunable acheté 80 euros un jour à Pontorson chez un bouquiniste pouvait avoir été mis là sciemment pour flatter ma vanité de chineur... Mais après tout ...
RépondreSupprimerT
J'ai découvert la librairie cet été lors d'un séjour à Toulouse. Accueil particulièrement chaleureux. Bon souvenir d'un échange de qualité.
RépondreSupprimerJean-Marc
Loin de Toulouse ....
RépondreSupprimerLONDRES — Un exemplaire rare du "livre le plus cher au monde","Birds Of America" ("Les Oiseaux d'Amérique"), une oeuvre de l'ornithologue franco-américain John James Audubon a enregistré mardi soir à Londres un nouveau record, trouvant preneur pour plus de 8 millions d'euros, a annoncé la maison Sotheby's.
Le livre avait été estimé dans une fourchette allant de 4 à 6 millions de livres. Le nouveau propriétaire est un négociant de livres anciens. !! Quand dire que les libraire se plaignent tout le temps !
Textor
Ah ces maisons de vente anglo-saxonnes qui racontent tout sur qui achète quoi... J'imagine qu'à ce prix là on achète en ayant déjà plusieurs acquéreurs en tête.
RépondreSupprimerL'avantage (je trouve) de cette transparence c'est de faire payer le service (au sens noble) du libraire à sa juste valeur : j'ai trouvé l'exemplaire parfait que vous cherchiez depuis longtemps (et cela m'a pris du temps), je me suis assuré qu'il était irréprochable et je m'en porte garant.
Déjà que j'ai horreur des libraires qui mettent un prix (j'entends un peu conséquent) sans se fendre d'une petite notice pour expliquer ce prix...
Bonne soirée à tous,
Olivier
Olivier, vous pensez que ce libraire a en tête plusieurs clients pouvant aligner 8M€ ?? Moi, si j'en connaissais un seul, je sauterais le pas, et j'ouvrirais ma petite librairie au pont de Suresne
RépondreSupprimerEuh... le calendrier de l'Avant fait exploser les enchères... 927 euros sur les Fleurs Animées... 321 euros avant qu'Hugues ne le signale. Est-ce lié?
RépondreSupprimerAlain
Moi j'ai tendance à penser que ce sont les Fleurs animées dans ce très joli cartonnage qui sont à l'origine de ce bond...
RépondreSupprimerMais je ne veux retirer aucun mérite à l'éphéméride du Blog.
Olivier
En même temps il y avait moins cher et en plus bel état cet après-midi à Toulouse (vente majoritairement de très beaux volumes en percaline).
RépondreSupprimerVente étrange, je m'attendais à de gros prix qui ne vinrent pas pour le Lancre (Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons avec la planche du Sabbat) et pour ce livre provenant de la bibliothèque personnelle d'Adolf Hitler (et comme c'était un [très beau] livre 17ème sur la peinture allemande on peut imaginer que ce n'était pas qu'un exemplaire décoratif pour ce peintre raté, 1400 euros tout de même).
J'avais peur d'une curiosité malsaine mais le livre a fait son estimation basse. En même temps que les nostalgiques du 3ème Reich soient bibliophiles, j'en doutais. Je suis rassuré.
Rooo Olivier, les amateurs de reliure en peau humaine ne sont pas tous cannibales :)
RépondreSupprimerH
P.S.: j'ai un jour enchéri sur un atlas du 16ème qui portait un tampon "prise de guerre de la 2ème DB au Berghof". Je ne l'ai pas eu, mais je trouvais ça plutôt sympa, et pas seulement pour le livre, ou pour le petit moustachu névrotique... ce tampon, ça le faisait!
Là la mention manuscrite en plus du tampon de la 2ème DB mentionnait "bibliothèque personnelle" du moustachu névrotique. Et compte-tenu du livre en cause... Un velin postérieur et le titre au dos même pas en gothique... pfft
RépondreSupprimer;-)
Euh je suis gresset (me suis emmêlé les pinceaux avec le filtre spam).
RépondreSupprimerCeci dit, le calendrier de l'Avent doit avoir une certaine influence... par exemple, je suis aller examiné cet Alain Charier (qui aurait pu me plaire s'il avait été à la marque à l'éléphant.) alors que je n'achète quasiment jamais sur e-bay.
RépondreSupprimerT
815 € pour Alain Chartier ou plutôt Gilles le Bouvier, en reliure peu désirable, cher ou pas cher ? Et combien auriez vous donné de l'édition de 1528?
RépondreSupprimerLauverjat
Pas vu et pas trouvé (en cherchant sur ebay) Lauverjat.
RépondreSupprimerCet éphéméride se surimpose avec le calendrier de l'Avent de mon fils (où à chaque fois il gagne).$
Mais du coup c'est un peu obscur.
Olivier