lundi 5 septembre 2011

Bibliophilie et Sciences: c'est la rentrée... discussion autour d'une bouteille

Amis Bibliophiles bonsoir,

"- Tiens, c'est cool de te revoir, t'as passé de bonnes vacances?
- Tranquilles, et toi, et ce matin... alors t'as qui?
- Martin en allemand, je suis contente... Barrière en français, la galère.
- Aie... t'es peut-être avec moi en latin, ça serait top, j'ai Textor.
- Ah ouais, trop bien. Et en sciences?
- En maths je sais pas, mais en physique j'ai Bernard.
- Bernard! Tas trop de chance..."

En 1745, le Hollandais Andreas Cuneus, ressent une violente douleur en essayant d’accumuler de l’électricité dans une bouteille remplie d’eau. Il relate la chose à Pétrus Van Musschenbroeck, professeur de physique à Leyde (voir un précédent article) qui s’empresse de réitérer l’expérience … et subit lui aussi une forte commotion.



Un modèle de Bouteille de Leyde avec feuilles d’or .


Musschenbroeck relate cette découverte extraordinaire à Réaumur dans une lettre le 20 avril 1746 :

« Je veux vous communiquer une expérience nouvelle mais terrible, et que je ne vous conseille pas de tenter vous-même. Je faisais quelques recherches sur la force de l'électricité. Pour cet effet, j'avais suspendu à deux fils de soie bleue un canon de fer qui recevait par communication l'électricité d'un globe de verre que l'on faisait tourner rapidement sur son axe, pendant qu'on le frottait en y appliquant les mains ; à l'autre extrémité pendait librement un fil de laiton dont le bout était plongé dans un vase de verre rond, en partie plein d'eau, que je tenais dans ma main droite ; avec l'autre main, j'essayais de tirer des étincelles du canon de fer électrisé. Tout d'un coup, ma main droite fut frappée avec tant de violence que j'eus tout le corps ébranlé comme d'un coup de foudre... Le bras et tout le corps sont affectés d'une manière terrible ; en un mot, je croyais que c'en était fait de moi. »

Il s’agissait de la première électrocution observée en laboratoire. La bouteille appelée depuis « bouteille de Leyde » est l'ancêtre du condensateur. Ce phénomène relança en France les recherches sur l’électricité, en particulier celles de l’abbé Nollet. En 1745, celui-ci présente à l'Académie des sciences, un long mémoire ayant pour titre Conjectures sur les causes de l'électricité des corps. L’année suivante  il publie son premier ouvrage d’électricité où il développe une nouvelle théorie qui, selon lui, explique le phénomène de commotion électrique.



Essai sur l’électricité des corps.
Paris, Frères Guérin. 1746. 1 volume in-12 ; frontispice, XX, (4), 227, (1) pp, 4 pl.

Les travaux de Nollet sont rapidement critiqués , en particulier par trois auteurs, dont deux anonymes.

- Le premier est un jeune homme de 22 ans, Claude François Félix Boullanger (ou Boulanger) (1724-1758), seigneur de Rivery, membre de l’Académie d’Amiens. Son mémoire ne compte que 24 pages :


Mémoire sur l’électricité.
Paris, Vve David. 1746. 1 volume in-12 ; 24 pp.

Ce rare ouvrage est souvent attribué, à tort,  à Jean Baptiste Secondat, fils de Montesquieu. Boullanger y critique les matières affluentes et effluentes de l’Abbé Nollet. Nollet consacre deux pages, à la fin de son Essai, au Mémoire de Boullanger : « Depuis que cet ouvrage est achevé d’imprimer, il m’est tombé entre les mains une brochure qui a pour titre Mémoire sur l’Electricité ; à Paris, chez la Veuve David, rue Dauphine. L’Auteur qui ne se nomme point, et qui paraît être dans le dessein de faire une suite à son Ouvrage, annonce dans la préface, qu’il s’est souvent écarté de mon système d’explications ; et je m’en suis bien aperçu en lisant son écrit. »  En 1750, l’auteur développera sa théorie dans son  Traité de la cause et des phénomènes de l’électricité.

- Le second, Antoine Louis (1723-1792), n’a que 24 ans. Son ouvrage est plus étoffé :


Observations sur l’électricité, où l’on tache d’expliquer son mécanisme et ses effets sur l’économie animale ; avec des remarques sur son usage.
Paris, Delaguette. 1747. 1 volume in-12 ; (2), XXIV, 175, (1) pp.

Dans ce très rare ouvrage sur l’électricité, Louis critique certaines théories de l’abbé Nollet exposées dans son  Essai. Nollet se moque de ce jeune prétentieux qui ose entrer en joute avec un académicien ! Louis publie une réponse amère :


Lettre à M. l’abbé Nollet de l’académie royale des sciences...
[Paris]. 1749. 1 brochure in-12 ; 19 pp.

« Ce n’est point ainsi que M. de Réaumur vous a formé, monsieur.  Ce grand homme sait trop combien l’opprobre avilit l’âme et flétrit le courage. Il sait que cinq ou six touches aussi vives que la sortie que vous faites sur moi vous eussent révolté, dégoûté des sciences, et eussent privé la France d’un bon physicien. »

Nollet réplique violemment dans la troisième édition de son Essai ( page 246) : « En vain Mr Louis s’imagine toucher ses lecteurs, en disant qu’il est jeune et qu’il ne fait que commencer on lui répondra que c’est une raison de plus pour être modeste et circonspect. »

Antoine Louis abandonnera la physique et sera chirurgien. Il est connu surtout pour avoir amélioré l’instrument inventé par Guillotin pour décapiter les condamnés à mort. Il remplace le couperet en forme de croissant par un couperet en forme de trapèze. L’Assemblée constituante décrète la construction de la machine en 1792. La « Louisette » se révèle être efficace et instantanée. Les journalistes parlementaires, mécontents du docteur Guillotin qui, à l'Assemblée, leur demandait de bien se tenir, la baptisèrent «guillotine».

- Le troisième, Jean Morin (1705-1764), était professeur de philosophie au Collège de Chartres et déjà l’auteur, en 1735,  d’un Abrégé du mécanisme universel.


Nouvelle dissertation sur l’électricité des corps...
Chartres, Vve J. Roux. 1748. 1 volume in-12 ; 200, (16) pp.

Ici encore, l’auteur ose critiquer Nollet qui réplique immédiatement. « Il résulte de tout cela que je n’ai pas l’avantage d’entendre les écrits de Mr Morin, que son style n’est point à ma portée, que je ne puis ni ne dois disputer contre lui ».

En 1752, Nollet rencontrera un adversaire moins facile en la personne de Benjamin Franklin, dont la théorie de l’électricité positive ou négative supplantera la sienne. 

Comme souvent, les échanges entre scientifiques étaient assez rudes. Il peut sembler  étonnant que des jeunes gens entrent en lisse avec des académiciens. Beaucoup de savants étaient très jeunes. Par exemple Clairaut a présenté, à 12 ans, un premier mémoire à l'Académie des Sciences au sein de laquelle il est admis à 18 ans ! 

Merci Bernard.
H

3 commentaires:

  1. La Dive Bouteille du Professeur Bernard nous rend la physique attrayante ! Merci ! une autre ! (Bis, en latin)
    Textor

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  2. Belle rentrée des classes, Bernard, où l'on voit que la valeur n'attend point le nombre des années... mais pas toujours !

    Excellent billet. Pierre

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  3. L'électrostatique et particulièrement la bouteille de Leyde a donné lieu à quantité de facéties plus ou moins risquées. Mais en cette lointaine époque on ignorait le "principe de précaution" ...

    René de BLC

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