dimanche 30 octobre 2011

Miscellannées de Monsieur H. : au fil des discussions avec les libraires, tendances et fiscalité

Amis Bibliophiles bonjour,

Les chemins de la bibliophilie sont parfois tortueux: alors que j'achète de plus en plus chez nos amis libraires... et que je reçois paradoxalement de moins en moins de catalogues papier, je me suis trouvé deux fois en contact avec des libraires dans les dernières semaines. Dans les deux cas, c'était pour m'acheter un ouvrage, plutôt que de m'en vendre un. L'une des deux transactions s'est finalement concrétisée, l'autre est reportée, même si la pression du libraire reste très forte.

Dans les deux situations, comme toujours ces discussions furent très intéressantes. Dans le premier cas, l'échange fût l'occasion de découvrir l'approche particulière de ce libraire sur le marché. 

En effet, celui-ci achète à contre-temps, c'est-à-dire les ouvrages de bibliophilie qui n'ont actuellement pas les faveurs de la mode, comptant logiquement sur une évolution des tendances et le retour en grâce de ces ouvrages achetés au plus bas. Démarche intéressante, qui suppose de bien sentir le marché. Démarche aussi qui pour moi distingue définitivement le libraire d'ancien du bibliophile: essayez toujours, en tant que bibliophile, d'acquérir des ouvrages qui ne vous intéressent pas, simplement parce qu'ils sont momentanément plus abordables. C'est vain...Il ne vous reste plus qu'à espérer être là au bon moment, intéressé par des types d'ouvrages qui ne sont pas à la mode.

Je lui répondais que certains ouvrages me semblent être toujours recherchés, quelle que soit l'époque, ainsi les éditions originales de grands textes (de toutes époques), les grands ouvrages de référence, etc... mais il arguait que des niches subsistent toujours, et méritent que l'on s'y consacre. Difficile pour le bibliophile, nécessaire pour le libraire. Selon lui, les ouvrages qui sont actuellement intéressants, et vont le devenir encore plus pour qui n'a pas besoin de (re)vendre sur un cycle court sont les ouvrages anciens (imprimés avant 1789 à quelques années près), en particulier les éditions latines: en effet, les bibliophiles vieillissent et ceux qui ont fait de vraies humanités (parlant ou comprenant grec et latin par exemple) sont de plus en plus rares. 

De l'autre côté la nouvelle génération de bibliophiles est à la recherche d'ouvrages plus "faciles" d'approche, et lisibles, ce qui augmente la cote des ouvrages 19ème, en particulier les éditions originales. Si je prends mon exemple personnel, il est tout à fait vrai que même si j'ai étudié le latin (pas encore totalement perdu, mais cela ne saurait tarder), j'ai plus souvent croisé Balzac, Baudelaire, Zola, Flaubert ou Stendhal pendant mes études que Pline ou même Ovide. 

Personnellement, je suis incapable de saisir de telles tendances, étant déjà incapable de construire une bibliothèque autour d'un thème précis (ce qui à mon sens lui donne précisément sa valeur - non commerciale). Du reste, je n'achète jamais pour spéculer, et je crois que c'est finalement mieux, je perdrais assurément au change.

Amis libraires, amis bibliophiles, amis bibliomanes... Sentez-vous de votre côté ces mêmes tendances? J'aimerais beaucoup avoir votre avis et savoir si vous aussi, et je parle principalement aux libraires, vous avez une logique d'achat à contre-temps.

Autre type de libraire, autre type de livre, autre type de discussion pour le second livre, que je n'ai pas vendu. En passant, il est intéressant de la ténacité et l'amitié que vous démontre un libraire :) lorsqu'il est très intéressé par un de vos ouvrages. 


Dans ce cas précis, les appels téléphoniques sont réguliers, on s'enquiert avec grande courtoisie de votre santé, j'attends la boîte de chocolats à Noël (hélas Pibi est mort...)... et de celle de l'ouvrage en question. Situation agréable, même si je me sens toujours très inconfortable pour fixer le prix d'un livre, encore plus d'ailleurs lorsque je ne suis pas forcément vendeur. C'est ce que j'expliquais à ce libraire, bien connu sur la place et avec lequel j'avais déjà eu le plaisir de passer quelques heures dans sa caverne d'ali baba provinciale, dans le cadre d'une discussion sur son parcours en librairie. Libraire que j'apprécie beaucoup du reste, et qui à mon sens fait à sa façon beaucoup pour le livre. Comme il s'agit d'une proposition d'achat et non de vente, l'heure n'est plus à l'investissement que peut constituer le livre ancien, ou à la beauté stupéfiante et irrésistible d'un grand ouvrage, mais à un autre argument qui m'a lui aussi stupéfié.

Alors que j'évoquais en effet la possibilité de confier un jour (lointain) l'ouvrage à une maison de ventes, notamment parce que je ne sais pas évaluer sa valeur, et pour donner aux acheteurs les meilleures chances (y compris au libraire en question d'ailleurs), celui-ci m'a informé d'une nouvelle étonnante: il semble qu'à partir du mois de février, les plus-values sur les livres anciens réalisées notamment lors des ventes aux enchères soient taxées de façon nettement plus importante (30% au moins), sauf si le vendeur peut prouver, sur facture, qu'il a acquis l'ouvrage il y a plus de 30 ans. Il y a 30 ans, je lisais Pif Gadget (achat à contre-temps dont j'espère qu'il portera bientôt ses fruits!)... et j'ai réalisé tous mes achats dans les 20 dernières années, me voici donc dans une situation peu enviable... La solution, vendre maintenant, ou en tout cas avant le mois de février. En avez-vous entendu parler?

Ceci me laisse perplexe... D'un côté, je me dis que les ventes vont peut-être se multiplier d'ici février, ce qui est toujours une bonne nouvelle, de l'autre 30%..... Et d'ailleurs, entre nous, avez-vous une facture pour tous vos ouvrages, notamment ce petit chopin fait sur la brocante de Locquirec ou cet autre acheté à un particulier sur ebay? Moi non.

H

En passant, mon problème reste entier, je ne sais pas évaluer la valeur de cet ouvrage. Si l'un de vous, expert ou libraire, veut se mesurer à un livre assez étonnant et me propose une expertise, qu'il n'hésite pas à me contacter.  

14 commentaires:

  1. aujourd'hui cette taxe existe déjà, avec une exonération pour les objets dont le prix de vente est de moins de 5000 euros. Il y a 2 possibilités : déclaration de la plus-value (différence entre prix de vente et prix d'achat, en tenant compte d'un abattement annuel, et d'autres paramètres), ou taxation forfaitaire sur le prix de vente (taxe de 4,5%). Aujourd'hui il y a exonération au bout de 12 ans de détention (prouvée). Mais je ne sais pas s'il y a modification de ce dispositif dans le nouveau projet de loi.

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  2. Merci Calamar, c'est précieux.
    Je note que 12 ans de détention prouvée ne signifie pas forcément facture.
    Hugues

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  3. Deux petites réactions :
    -Faut-il se faire prendre en photo avec ses livres et un exemplaire du journal du jour (je vais acheter quelques exemplaires vieux de 12 ans ;-) et prétendre que le secret de jouvence se trouve dans un de mes livres)?
    - Quant au premier libraire, il me manque une pièce logique : à qui compte-t-il revendre les ouvrages anciens en latin ou en grec compte-tenu de ce qu'il dit (moi aussi mon Gaffiot est bien loin et n'est pas un très bon souvenir...)? A moins qu'il ait des infos quant au retour des humanités dans l'enseignement secondaire?

    Bonne soirée,
    Olivier

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  4. Excellente idée Olivier. Cependant votre femme vient de m'appeler, et me dit qu'il vaut mieux éviter que vous soyez sur la photo, vous n'êtes plus tout à fait le même qu'il y a 12 ans :) :) :)

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  5. Je crois avoir compris que la future tendance, selon ce libraire, serait d'acheter des ouvrages en langue française d'avant 1789, plutôt en édition originale, c'est ça ? Je dirais que nous sommes déjà dans la tendance, non ? Mais c'est vrai que les œuvres de Gresset sont sous cotées à mon avis ;-))

    J'aurais tendance à penser que l'avenir est uniquement aux ouvrages illustrés de cette période mais là encore je suis déjà dans la tendance. Qu'est-ce qui ne se vend pas ? Les sermons, les traités de théologie et de morale chrétienne des prêtres de l'oratoire ou des jésuites, il me semble. J'ai assez de ces ouvrages pour m'assurer une retraite confortable si le XXIe siècle devient religieux…

    En tout cas, belle analyse de Hugues qui pointe du clavier la différence fondamentale entre le bibliophile et le bon libraire d'ouvrages anciens : Ce dernier se doit d'acheter des livres qui ne l'intéressent pas ; jusqu'au moment où il découvre en faisant des recherches que le thème est très intéressant ! Fabuleux métier où l'on achète plus des livres pour son plaisir mais pour le plaisir des autres…

    Je me sens beaucoup plus éloigné du deuxième libraire qui pour acheter un ouvrage ne mise plus sur l'affectif mais sur l'attrait financier pur. Cela peut rebuter un vendeur amoureux des livres. Pierre

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  6. J'ai oublié de signaler que les percales romantiques à plaques, polychromes ou pas, ne valent rien, ne vaudront rien dans l'avenir et doivent être bradées avant le mois de février où leur vente sera taxée à 1200% et vous enlèvera une part sur votre feuille de déclaration... Maintenant, je peux me tromper ;-)) Pierre

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  7. ah oui, je vais suivre le conseil de Pierre, et me débarrasser au poids de ces livres... ou alors je les mets dans la poubelle adhoc (tri sélectif oblige).
    Et je m'empresse de réaffecter la place libérée aux livres de messe et autres religieux divers, en latin, du XVIIIe (dépareillés si possible).

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  8. Oui, je pense que ça fait partie du boulot de sentir les tendances actuelles ou futures du marché. Chacun fait ses petits paris...
    Il y a des valeurs qui ne pourront qu'augmenter comme les ouvrages XVIII° et XIX° richement garnis de gravures, d'autres qui ne pourront que baisser comme les ouvrages religieux et/ou en latin.
    Mais le plus grand défi ça sera de deviner ce que voudra la prochaine génération de bibliophile (si il y en a !).
    Je rachète les collections de pif gadget à vil prix ! ;-)

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  9. Les valeurs sures resteront les livres objets, belles reliures, grands papiers,gravures...Le sujet du livre est important, car encore souvent la bibliothèque est le prolongement d'une identité , d'une profession, elle peut même avoir parfois le rôle d'une vitrine. Donc médecine, architecture, droit, seront toujours des valeurs sures, les clients ayant de plus quelques possibilités!:) Peut importe la langue latine ou pas. Je vais être cynique, mais à quelques exceptions près comme Bernard le grand scientifique du blog, peu de bibliophiles lisent leurs livres de bibliophilie. Les livres peuvent bien être en latin ou hébreux si le libraire a fait une belle fiche qui explique le contenu!...;))Si l'on part du principe que la bibliothèque de documentation est appelée à disparaître, et le livre aussi, pour les futurs générations ce sera donc une antiquité, un objet de curiosité, autant qu'il soit beau agréable à feuilleter et près des origines. Les XVe et XVIe devraient se maintenir quel que soit le thème, rien que pour l'histoire de l'imprimerie.
    Je trouve que le plus sujet aux modes est finalement la littérature, Wells, Céline, Baudelaire sont en pleine vogue alors que Hugo est plus difficile à écouler...ce n'est pourtant pas un mauvais écrivain!...Je dirai qu'il faut acheter de la science fiction, de l'anticipation, mais c'est déjà trop tard! Les plus grosses ventes abebooksUS sont souvent sur de la littérature moderne année 50 60...A la derniere vente de Lyon, une édition originale de la 1ere traduction française de la guerre des mondes de Welles broché sans envoi, à fait vers 8000 euros hors frais soit environ 4 fois le prix de la bible in folio de Jean de Tournes présente à la même vente, allez comprendre!... :) Bien sur que je vous ai dis complètement l'inverse de ce que je pense et vice versa, je ne veux pas me faire doubler...;)


    Daniel B.

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  10. Une lettre originale d’Erasme glissée dans l’ouvrage où il est écrit : « Mon cher Textor, j’aime beaucoup ce que vous faites, permettez-moi de vous offrir mon De Praeparatione ad mortem pour Halloween » çà ira pour échapper à la taxe sur les plus-values ?

    T

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  11. Dans mes nuits d'insomniaque, cette nuit vers 5 heures, j'ai sur mon IPhone, lu cette chronique et vos commentaires. Réveillé d'un coup par cette question brutale : étais-je plus libraire que bibliophile ou vice-versa ? Etre ou ne pas être, en somme.
    Libraire, je fus, pendant des décennies et je pensais avoir pris une retraite de bibliophile, dégagé des bases contingences matérielles du métier. Les stocks marchands écoulés à vil prix chez des priseurs-requins, je n'avais conservé que les livres aimés, ceux que l'on ouvre et que l'on caresse et les ouvrages de biblio. formé par mes anciens dans l'adage que la documentation est le Graal. A garder jusqu'au décès. Et Pan! on à la disquette. Brunet, Vicaire et dix autres sur une soucoupe. Pouah ! A mes yeux, rien ne remplace le plaisir de chercher une note , une cotation, un indice, le doigt mouillé et feuille à feuille.
    La retraite étant pâlichonne, j'ai dû me séparer du coeur de mon coeur, une collection à thème de plus de 1000 ouvrages, patiemment acquis à l'unité.
    Un peu requinqué en trésorerie, depuis six mois, je me remet à acheter. A réflexion plus pour le calcul que pour le plaisir. Bien sûr la période choisie, en l'occurrence certains ouvrages ou gravures du XIX°me donnent des joies esthétiques mais, au fond de moi, j'ai choisi cette "niche" parce que je pense quelle va vers une raréfaction et qu'à terme je vais " gagner". Coté Libraire.
    Parallèlement, d'une manière compulsive, j'acquiers biblio sur biblio, alors qu'Internet m'offre toute sa richesse documentaire. Je passe aussi des heures à traquer l'exemplaire différent, à nomenclaturer l'emplacement et l'origine des gravures d'un ouvrage, à traquer la coquille de la page X qui permettra d'affirmer que cette anomalie distingue bien la première édition. Travail Bénédictin. Coté Bibliophile.
    Ying et Yang; Jekill et Hyde. Shylock sommeille dans mon coeur d'enfant.
    Je vais faire la sieste.

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  13. Eric,

    Tout le sel de votre proposition est dans le "in fine" de la proposition faite par le libraire. :-)

    Cela signifierait-il que les libraires auraient une tendance à faire des premières propositions fort faibles?

    Je pense par ailleurs que pour ce qui est d'une vente aux enchères, la qualité de la vente joue pour beaucoup: Sotheby's plutôt que Marseille, Bergé plutôt qu'Epinal, etc.

    Jacques L.

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