lundi 16 janvier 2012

Bibliophilie et Sciences: Histoires d'Eaux, un inventeur méconnu traite l’eau au XVIIIe siècle.

Amis Bibliophiles bonjour, 

Le traitement des eaux pour les rendre propres à la consommation n'est pas un problème nouveau. Dès le XVIe siècle on utilisait à Paris des filtres à sable pour purifier l'eau de la Seine. On faisait également usage de "fontaines" domestiques en cuivre ou en bois contenant des éponges filtrantes, avec des résultats fort aléatoires et souvent condamnables.

Planche IX. Fontaine publique pour les villes d’eau et de garnisons.
Joseph Amy, Avocat à Aix-en-Provence,  physicien, et inventeur désintéressé avait conçu des machines élevant et purifiant l'eau. Il était passionné par le problème de l'eau potable et celui de la préparation des aliments. C’est en 1745  qu’il présenta une fontaine dont la matière filtrante était composée d'un lit d'éponges et d'un lit de sable. Réaumur, directeur de l’Académie, établit le certificat le désignant comme l’inventeur des fontaines filtrantes domestiques.

Il expérimentait les effets sur la santé des divers matériaux utilisés pour les ustensiles et récipients de cuisine. En 1752 il publia un ouvrage intitulé "Nouvelles Fontaines Filtrantes" auquel il ajouta une suite en 1754, un  volume fort rare, illustré de 9 planches. On y voit des instruments de filtrage, des fontaines publiques, des ustensiles de cuisine et de pharmacie, une "machine à élèver les eaux".

Les plus curieuses de ces planches représentent des scènes allégoriques, symbolisant les dangers de l'utilisation des récipients de cuivre et destinées, selon l'auteur, à marquer les esprits plus que la lecture des textes. Joseph Amy combattait en effet, avec virulence, l'utilisation du cuivre lors du traitement et du stockage de l'eau potable ainsi que pour les usages culinaires et prônait l'utilisation du fer, de l'étain et ... du plomb.

Auteur de ce texte de référence essentiel pour l’histoire de l’hygiène urbaine dans le domaine du traitement de l’eau, Amy se place dans la continuité de ses prédécesseurs : les seuls traitements disponibles  - jusqu'à l'apparition des techniques de désinfection chimique de l'eau  - s'appuyaient sur des principes physiques de filtration, connus depuis l'Antiquité. Cependant, la tentative de commercialisation domestique tourna court, et il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que des filtres efficaces éliminent les microbes, grâce aux travaux de l'Institut Pasteur dans ce domaine.

La désinfection de l'eau par la chloration pour limiter le risque de maladies diffusées par le réseau de distribution est assez récent. Il semble qu'en France, ce soit Guyton de Morveau qui fut le premier à suggérer - vers 1800 -  la désinfection de l'eau au moyen du chlore. Mais c'est aux Etats-Unis, au début du XXe siècle, que le procédé commença à être appliqué sur une grande échelle et largement mis en œuvre durant la Seconde Guerre mondiale. Cependant lors du siège de Verdun (1916) le procédé fut utilisé aussi, sous le nom de verdunisation, dans une zone particulièrement exposée aux épidémies.


SUITE DU LIVRE INTITULÉ NOUVELLES FONTAINES FILTRANTES, APPROUVÉES PAR L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES, dédié à M. de Senac, Conseiller d'Etat, premier Médecin du Roi ; Ornée de nouvelles figures expliquées par lettres indicatives, avec trois dissertations : 1. Sur les méchanismes de la nature, dans la corruption, la puanteur, la fadeur & le mauvais goût de l'eau dormante, & de tous les filtres, & dans les blessures souvent mortelles, faites intérieurement dans le corps humain par le verd-de-gris des Fontaines & tous ustenciles de cuivre, dans les Pharmacies, les Cuisines, les Offices, & chez tous ceux qui vendent en détail des alimens, des boissons & des drogues. 2. Sur la nécessité & la salubrité des vaisseaux de fer, pour la préparation des alimens. 3. Sur la nécessité & la neutralité, ou l'impuissance des Fontaines d'étaim pur, ou de plomb affiné, sur le corps humain.
Par M. AMY, Avocat au Parlement de Provence.
A Paris chez Antoine Boudet, Imprimeur du Roy, MDCCLIV.
In-8°, lxxxii, 32 pp. , 9 planches rehaussées en couleur

Etat des fontaines de cuivre à Paris, les produits de corrosion indiqués en vert.

Etat des principaux ustensiles dans les cuisines, les offices, les pharmacies
Empire du cuivre - allégorie.
 Ignorance de l’empire du cuivre - allégorie
Laissons le mot de la fin à Amy: "Il faut donc des images pour faire naître plus de réflexions dans l'esprit de ceux qui donnent mauvais exemple, pour inspirer à ce peuple une frayeur salutaire , & entretenir cette frayeur par une mémoire, fondée sur des objets qui frappent les yeux, & qui rappellent la lecture. Je veux même que ces objets excitent les railleries ; tant mieux : la mémoire s'affermit, on raisonne d'abord fort mal, on badine ; les réflexions viennent après, les railleries cessent peu a peu ; enfin la réforme survient chez un nombre d'honnétes gens, & ce que l'exemple a fait peu à peu dans l'introduction d'un usage funeste, le même exemple le détruit aussi peu a peu.

Souvent même dans la fuite des tems, quand le préjuge est invincible, & le mal reconnu trop grand, les Souverains, instruits par là des abus ou des dangers de leurs sujets les font cesser dans l'instant , & par une seule parole : voilà quel peut être le fruit des images que je mets ici sous les yeux du public aveuglé."

René.

11 commentaires:

  1. Interessant cet article ! ... Pourtant je croyais que c'était l'alcool qui rendait l'eau potable ! :)

    RépondreSupprimer
  2. l'eau est potable ? encore une légende tenace.

    RépondreSupprimer
  3. C'est très bon l'eau, mais c'est jamais que de l'eau !

    Amy se préoccupe d'ailleurs beaucoup de la fabrication de la bière pour laquelle il rejette tout aussi vivement l'utilisation du cuivre.

    René

    RépondreSupprimer
  4. Un ouvrage que ne connaissais pas. J'aime ces gravures et leurs couleurs pastel. Le problème de l'eau potable est loin d'être résolu avec les quantités de molécules non détectées (résidus de médicaments par exemple). Quant au vin il vaut mieux ne pas en faire l'analyse chimique quant on connait la quantité de produits phytosanitaire utilisés dans les vignes.

    RépondreSupprimer
  5. Les travaux pour donner des fontaines à la ville de Reims, grâce à l'influence du chanoine Jean Godinot (1661-1749) et à l'ingéniosité du Père Féry,sont peut-être antérieurs : j'ai en effet devant moi une "Dissertation sur le projet qu'on forme de donner des eaux à la ville de Reims" (Reims, B. Multeau, 1747, in-4, 24 p.,avec une planche dépliante qui manque souvent).

    RépondreSupprimer
  6. Merci de l'information Rhemus.

    Cette "Dissertation" existerait-elle sous forme numérisée quelque part ?
    Je serai heureux de pouvoir la consulter.
    Je trouve de nombreuses références sur Google Books mais pas le texte lui-même.

    René de BLC

    RépondreSupprimer
  7. C'est malheureusement une plaquette rarissime et je crois que l'exemplaire de la BM de Reims n'a pas la planche.
    Je regarde le sujet plus précisément et vous recontacte.

    RépondreSupprimer
  8. Un bon sujet de réflexion et un bel article, René ! Pourquoi cette peur du cuivre au XVIIIeme siècle ? Si les intoxications aigües sont connues, les risques à long terme sont peu évocateurs d'un point de vue symptomatique. Quant à boire l'eau de la seine, je me demande à quelle époque cela a cessé. Pierre

    RépondreSupprimer
  9. Merçi à Rhemus mais il ne faut pas trop chercher. J'imagine que cette plaquette doit être pratiquement introuvable.

    @ Pierre. Le cuivre est en effet utilisé couramment aujourd'hui pour les canalisations d'eaux, contrairement au plomb qui est interdit mais subsiste encore dans quantité d'habitations. Je pense que les supposés méfaits du cuivre devaient être plutôt dûs aux impuretés présentes dans le métal, notamment l'arsenic.

    A-t-on jamais cessé de boire l'eau de la Seine - après épuration évidemment ?

    A quand de l'eau BIO !

    René

    RépondreSupprimer
  10. Pour le moment c'est plutôt de l'eau antibio que bio...

    RépondreSupprimer