samedi 17 mars 2012

Portrait d'un bibliophile d'exception: Jules-François Chenu

Amis Bibliophiles bonjour,


Les ventes de la bibliothèque de Jules-François Chenu eurent lieu à la salle Silvestre en avril et mai 1864 en 7 vacations. 

Ce bibliophile était décédé quelques mois auparavant, en octobre chez Ernest Panckouke dans l’ancien hôtel de Thou où il demeurait.  Les ventes se déroulèrent en deux parties “le catalogue raisonné de la bibliothèque” d’une part et la “bibliothèque Elzévirienne” d’autre part.  Ces catalogues furent publiés par la librairie Techener, Olivier Barbier assurant la rédaction du préambule.

Jules Chenu, né en 1806,  se destinait à la médecine mais,  (comme beaucoup d’autres...), consacra sa vie aux livres. Il tint les fonctions de sous-chef des travaux typographiques, correcteur et prote de l’imprimerie Panckouke puis chez Hachette. Latiniste, il corrigea l’intégralité des volumes de la Bibliothèque latine-française de Panckouke, mais il publia aussi à son propre compte, par exemple, la traduction du “Jardin des roses de la vallée des larmes” chez Gay en 1850. Il s’attacha également à rééditer une dizaine de petits ouvrages anciens devenus rares, à très petits tirages, comportant quelques rares papiers et souvent un exemplaire unique sur peau de vélin. 

Ainsi en fit-il avec “Le cochon mitré” qu’il publia à Paris en 1850 à 110 exemplaires et dont le blog s’est déjà fait écho (http://bibliophilie.blogspot.fr/2007/10/le-cochon-mitr-solution-de-lnigme.html). Le tirage comportait un unique exemplaire sur peau de vélin que Jules Chenu se réserva, et fit couvrir par Duru d’un maroquin mosaïqué et doublé, identifiable sous le numéro 430 du catalogue de sa vente. Quant à l’exemplaire sur peau de vélin du “Jardin des roses”, Chenu le confia à Bauzonnet et Trautz qui lui offrirent la reliure. 

Outre l’édition de ces petites plaquettes, Chenu entretenait la passion des elzévirs. Il était ami du bibliophile Charles Motteley et participa à la publication du catalogue de celui-ci. Sur ce sujet il collabora au Bulletin du Bibliophile. Il corrigea également la cinquième édition du Manuel du Bibliophile. Enfin, il réédita différentes pièces sur l’affaire Libri. Les annales du Bibliophile en 1862 disent de lui "qu'amateur dans toute la force du terme (il) met à la composition matérielle de ses ouvrages un soin qui se trahit par l’observation de toutes les minuties affectionnées des bibliophiles.”


Il signe ses publications des qualificatifs “bibliophile parisien” ou “elzevirophile”. Jules Chenu, ne se contentait pas d’étudier les livres, il les restaurait lui même avant de les confier aux meilleurs relieurs Duru, Hardy, Capé, Bauzonnet, Delanoë... Il cherchait par dessus tout les exemplaires uniques spécialement pour les livres modernes où il affectionnait les exemplaires d’auteur. Le livre qui illustre ce billet comporte une page de titre unique à son adresse “de la bibliothèque de J. Chenu, 1843.”  


Il est composé d’opuscules édités à Bourges chez Vermeil de 1840 à 1842 et censément imprimés dans la même ville par Jollet-Souchois. Les pages ont été réimposées et quelques unes réécrites et recomposées pour former un livre homogène à la pagination désormais continue avec une table nouvelle. Un très gros travail en tous cas, où les noms d’éditeur et d’imprimeur disparaissent. Le catalogue de sa vente sous le numéro 573 indique “Inutile de dire qu’il serait impossible d’en trouver un semblable.”.  



La reliure d’origine en veau fauve est signée “Delanoë père”. Comment Chenu eut-il accès à la composition de ce livre? On peut se demander si l’imprimeur Jollet-Souchois ne confiait pas en sous-traitance ses lourds travaux chez Panckouke. Ce livre n’est pas le seul ouvrage né du labeur bibliophile de Chenu , on trouve par exemple les “Lettres de l’abbé Viguier, Paris du cabinet de J. Chenu, 1859", issu d’un tirage à part très restreint de la Société des bibliophiles français et doté d’une page de titre particulière ou encore “Essai sur les bibliothèques” de Gustave Brunet, pourvu d’un titre unique “Paris, du cabinet de J. Chenu, 1861".

Chenu confia ainsi à Duru de nombreux exemplaires uniques de l’imprimerie Panckouke. Ses rapports avec les relieurs semblent bienveillants. Ainsi offre t-il à Georges Trautz, avec son “souvenir affectueux” un des 18 exemplaires (un des deux sur papier jaune) de la réimpression de l’ouvrage gothique “La première leçon des matines ordinaires du grand abbé des conards de Rouen, souverain monarque de l’ordre....”, Panckouke, 1848. Cet opuscule fut relié par Trautz en 1855 en maroquin bleu à décor d’entrelacs dorés. (Chenu s’était réservé un exemplaire sur peau de vélin relié par Duru). L’exemplaire Trautz fut vendu à la cinquième vente Bérès, le 13 décembre 2006 pour 3148 euros. Chenu conservait aussi un exemplaire avec envoi autographe du poème “la reliure” du relieur Lesné, curieusement broché (n° 313).

Sa bibliothèque générale compte 674 numéros et son catalogue d’elzevirs,  repris pour la vente, 545 numéros, où pour certains les dimensions sont indiquées.

La bibliothèque générale est variée, religion, vénerie, histoire, littérature, bibliographie, catalogues de ventes, gravures, réimpressions de gothiques, ouvrages anglais, les 210 volumes de la bibliothèque latine Panckouke riches de leurs cartons, etc. Notons quelques ouvrages remarquables, un antiphonaire et des “Heures de la Vierge” enluminés du Xve siècle, un incunable du proto typographe parisien Ulrich Gering, une reliure de Le Gascon, quelques gothiques rarissimes. Parmi les provenances, signalons Louis-Philippe, la duchesse de Berry et plusieurs ouvrages du bibliophile Renouard.

Jules Chenu eut-il un ex-libris?  Je ne l’ai pas trouvé, en tous cas, il  n’y en a pas de trace sur le livre présenté où il aurait été bien inutile d’ailleurs.

Lauverjat

2 commentaires:

  1. Merci de nous faire découvrir ce bibliophile Chenu. J’aime bien trouver des livres reliés ensemble. Il révèle l’intention du collectionneur. Par définition cet exemplaire est unique. Il m’arrive de faire la même chose, de relier des plaquettes ensemble, mais comme elles ont individuellement peu de valeur, je ne m’adresse pas à des grandes signatures pour la reliure.

    Textor

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  2. Son poste de prote devait lui donner des possibilités pour faire tirer certaines feuilles, et même recomposer, ce qu'il entendait se réserver...
    Il ne devait pas manquer d'humour, pour conserver broché un livre intitulé "la Reliure". A moins qu'il n'ait pas trouvé de reliure digne du contenu ?

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