Amis Bibliophiles bonjour,
Buzz: le buzz (anglicisme de « bourdonnement » d'insecte) est une
technique marketing consistant, comme le terme l'indique, à faire du bruit
autour d'un événement, un nouveau produit ou d'une offre. Assimilée au
marketing viral, cette pratique en diffère par le contrôle du contenu (message
publicitaire ou de communication).
On allait voir ce qu'on allait voir, parole d'expert, M. Laucournet en l'occurrence; selon lui : "Une telle bibliothèque ne s'est pas
présentée sur le marché depuis la vente de la bibliothèque du château de La
Roche-Guyon, succession de Gilbert de La Rochefoucauld, organisée par Sothebys
en 1987."
Depuis le mois de janvier, les informations étaient
distillées au compte-goutte: article dans le Figaro et quelques rares médias,
photos distribuées avec componction, mettant en avant une petite douzaine de
lots, toujours les mêmes et quelques extraits de description.
Bref, ça buzzait dans le landerneau!
Bref, ça buzzait dans le landerneau!
La date elle même de la vente, était choisie avec soin, pour
coincider avec le salon du livre ancien du Grand Palais.
Deux mois environ après l'annonce, toujours pas de catalogue
disponible jusqu'à ce qu'il soit enfin mis en ligne la semaine dernière: les
bibliophiles étaient en haleine, les blogs en parlaient, les bibliomanes
commençaient à rapatrier les montants déposés depuis longtemps en Suisse ou à
Singapour, les libraires eux-mêmes tremblaient de cette concurrence lors du
salon ou s'organisaient de façon à pouvoir être présent à la fois sur leur
stand et dans la salle. On trépignait avant de s'étriper gaiement sous l'oeil
complice de Sainte-Wiborade, Ad majorem libri gloriam.
Fuck, comme dirait un ami, fin observateur des moeurs de
Drouot. Bernique, quoi.
Le buzz, quand on joue cette carte, quand on veut vendre des
livres anciens comme le dernier Daft Punk, il faut assurer derrière...
C'est là que le bât blesse, la promesse, autre élément clef
familier des apprentis sorciers du marketing, finalement, n'est pas tenue... le
catalogue fait quasiment pschitt et comme souvent dans ces cas là, le
consommateur renâcle, se cabre, affirme qu'on ne l'y reprendra plus (le
naïf...).
En tout cas, dans le cas présent, les premières réactions qui
apparaissent ici et là, les commentaires, les emails, les discussions entre
bibliophiles laissent filtrer une déception, une frustration à la mesure de
l'attente.
Oh la vente sera sans doute un succès, on lui souhaite, et
ne jouons pas les faux naïfs nous non plus, mais c'est vrai qu'après les très
belles ventes Binoche Gicquello, que l'on pourrait qualifier d'opportunes et
fort bien ciblées..., voici les ventes survendues.
On allait voir ce qu'on
allait voir, et bien on a vu, pas grand chose compte-tenu de la promesse, et
nombreux sont ceux qui déjà ont détourné le regard et révisé leur agenda.
Mais le catalogue alors, de cette belle vente, mais qui est
loin d'être La vente (depuis 1987...)?
364 lots sont au programme, estimés de 800 à 300 000 euros.
800 euros pour le lot 188, un lot comme il s'en vend tous
les jours ou presque dans les salles des ventes de France et de Navarre:
Boileau Despréaux, Nicolas. Oeuvres Avec des Eclaircissemens
historiques [...] par M. de Saint-Marc. A Paris, chez les Libraires associés,
1772. 5 volumes in-8 veau blond, triple filet doré en encadrement, dos lisses
ornés, pièces de titre et tomaisons de maroquin vert, tranches dorées.
Frontispice et 8 figures hors-texte d'après Picart ou Van der Meer. Usures aux
coiffes dont 4 arrachées, charnière fendue. Boisard, Jean-Jacques. Fables.
1777. 2 volumes grand in-8 veau blond, triple filet doré en encadrement, dos
lisses ornés, pièces de titre de maroquin rouge, tomaisons de maroquin olive,
tranches dorées. 2 frontispices d'après Monnet, le premier gravé par St Aubin,
le second par Schmitz, et 7 figures hors-texte d'après Monnet, par Schmitz.
Dictionnaire bibliographique, historique et critique des livres rares,
précieux, singuliers, curieux, estimés et recherchés qui n'ont aucun prix fixe.
A Paris, chez Cailleau et Fils, 1790. 3 volumes in-8 demi-veau blond, dos
lisses ornés, pièces d'armes Luynes, pièces de titre de maroquin rouge. Trous
de vers au dos du tome I, craquelures. Dictionnaire raisonné universel des Arts
et Métiers. A Paris, chez Didot Jeune, 1773. 4 volumes in-12 veau brun, dos à
nerfs ornés, pièces de titre de maroquin rouge. 3 planches dépliantes au tome
II. La France littéraire. Supplément à La France Littéraire. Nouveau
supplément... A Paris, chez la Veuve Duchesne, 1769-1784. 4 volumes in-12
basane blonde, dos à nerfs ornés, pièces de titre de maroquin rouge, tomaisons
de maroquin vert. Usures, épidermures et frottements à la reliure. (18).
Et 300 000 euros pour le lot 47, un lot il est vrai
exceptionnel et unique:
FÊTES PUBLIQUES DONNÉES PAR LA VILLE DE PARIS À L'OCCASION
DU MARIAGE DE MONSEIGNEUR LE DAUPHIN, LES 23 ET 26 FÉVRIER MDCCXLV.
Estimation: 200,000 - 300,000 EUR
In-folio coffret orné d'une grande plaque de maroquin bleu
nuit, aux grandes armes de Marie-Charles-Louis d'Albert, Vèmeduc de Luynes, duc
de Chevreuse, portant les lions des Luynes et les fleurs de lys des
Bourbon-Neuchatel, large dentelle
rocaille en encadrement, avec cartouches aux angles portant le lion des ducs de
Luynes, dos à 9 nerfs orné des pièces d'armes Luynes.
Unique et exceptionnel recueil des 19 aquarelles originales
rehaussées à la gouache, dont 9 à double page, représentant les festivités
organisées à Paris, pour le mariage du Dauphin, fils aîné du roi Louis XV, avec
l'Infante Marie-Thérèse d'Espagne. Le texte explicatif en fin est imprimé et
entièrement enluminé. Les légendes et les encadrements sont à l'encre de chine, en noir.
Les aquarelles
sont de François Blondel, le frontispice de Charles Eisen et l'allégorie du
mariage de Charles Hutin. Le Mercure de France de novembre 1751 précise que la
majorité des dessins a été composée par François Blondel et non par les Cochin
père et fils à qui ont les attribus généralement.
Dimensions : Coffret, 675 X 522 mm. Planches doubles 950 X
625 mm. Planches simples 475 X 625 mm
Le mariage eut lieu à Versailles le 23 février 1745. La
ville de Paris organisa une des fêtes les plus somptueuses de la Royauté, la
Place Louis le Grand, la Place du Carrousel, la Place de l'Estrapade, la Porte
Saint Antoine furent décorées et transformées en demeures mythologiques
tapissées de rocailles. Des buffets et des orchestres furent installés dans les
différents quartiers de la capitale.
A l'Hotel de ville, le sculpteur Lange travailla à la
décoration de la salle de bal, Duparc fournit les gobelets de faïence et on fit
appel à Gersaint pour le mobilier. Commande du 30 juillet 1745: "payer comptant au sieur Gersaint,
marchand bijoutier, la somme de dix huit cent quarante trois livres que nous
lui avons ordonné et ordonnaons par ces présentes pour le loyer des meubles en
porcelaine par lui fournis dans différentes chambres de l'Hotel de Ville lors
du bal donné par la ville au mois de février dernier à l'occasion du mariage de
M. le dauphin".Guillaume Glorieux. A l'Enseigne de Gersaint.
La reliure est attribuable à Padeloup, 1685-1758. Les fers
utilisés pour le décor sont identiques à ceux qui ornent l'exemplaire du roi
Louis XV, conservé à la Bibliothèque de Versailles, et de l'exemplaire de
Antoine-René de Voyer de Paulmy d'Argenson, garde des sceaux du roi Louis XV.
La reliure de l'exemplaire des Fêtes pour le mariage du
Dauphin de Marc-Pierre de Voyer de Paulmy, comte d'Argenson, posséde les
planches titrées à l'eau-forte entièrement aquarellées, dans la vente le 21
mars 1996 était attribué à Padeloup.
Le recueil de cartes manuscrites de la guerre de Succession
d'Autriche, (tome VII), de Marc-Pierre de Voyer de Paulmy, comte d'Argenson
conservé à la bibliothèque de l'Arsenal est en reliure identique portant
l'étiquette de Fournier, relieur.
La reliure de l'exemplaire de Madame Adélaïde en maroquin
rouge orné de la même dentelle, est signé par Padeloup.
La reliure des deux premiers tomes de l'exemplaire des
Fables de La Fontaine, illustrées par Oudry, du vicomte Couppel de Lude, sont
attribués à Bonnet, les tomes
3 et 4 en reliure différentes portent l'étiquette de Padeloup.
Les planches de l'album Luynes portent une trace d'onglets,
la reliure ayant été remplacée par un coffret au XIXème siècle, les plats en
maroquin aux grandes armes conservés.
Le titre, le frontispice, la "Vue perspective de la
Place Louis le Grand", la Vue perspective de l'intérieure de la Place
Dauphine, et la planche "
Explication de la Porte Saint Antoine". présentent des petits trous en
marge, traces des fermoirs. Deux points de brunissure à la double planche
"Vue perspective d'une des salles de la Place de Louis le Grand. Salissure
en marge de la planche "Salle du bal", salissure à la pliure de la
"Vue perspective de l'intérieure de la salle de la Place Dauphine",
déchirure à la pliure de la "Salle du Carousel, petites déchirures et marge
effrangée à une planche simple. Décoloration au deuxième plat de la reliure,
nerfs et coupes frottés.
Si on considère ensuite les estimations décroissantes, on
constate que seuls quatre lots sont estimés au dessus de 30 000 euros, trois
cartes et un ouvrage, Mémoire pour Messire François Bigot, ci-devant Intendant
de Justice, Police, Finance & Marine en Canada, Acccusé: Contre Monsieur le
Procureur-Général du Roi en la Commission, Accusateur (1763). Assez surprenant, quand on s'attendait "à voir ce qu'on allait voir".
Les reliures proposées surprennent également, avec seulement
une petite trentaine de lots en maroquin soit moins de 10% des lots mis en
ventes. Le maroquin n'est certes pas gage de qualité, mais c'est étonnant dans une vente qui a été aussi mise en avant, et qui propose autant de livres
du XVIIIe siècle.
A part les armes des Luynes d'ailleurs, c'est l'absence de
cohérence qui frappe également dans cette vente. Logique me direz vous avec raison, puisqu'il s'agît
d'une vente de la bibliothèque d'une famille qui a rassemblé ces ouvrages sur
plusieurs siècles, et qui étaient lecteurs, hommes d'armes, etc, avant d'être
bibliophiles.
Peut-être alors aurions-nous pu espérer de Sotheby's de nous
mettre en scène un peu plus judicieusement les lots, ce qui par exemple nous
éviterait de passer brutalement d'un Abrégé de mécanique XVII-XVIIIe aux armes
du Grand Dauphin à un livre d'heures de 1460, lui-même suivi d'un Robinson en
anglais, imprimé en 1797 à Dampierre. Mais sans doute la respectable maison de ventes (aucune ironie) était-elle occupée ailleurs.
Une belle vente donc, assurément, mais certainement pas la
vente dont la communication fût si bien (trop?) orchestrée.
On retient quoi alors, à part qu'on nous a pris pour des
perdreaux de l'année?
Les lots 73 et 77 par exemple:
73
LA FONTAINE, JEAN DE.
Estimation: 8,000 - 12,000 EUR
Fables choisies, mises en vers par J. de la Fontaine,
nouvelle édition. Paris, chez l'auteur, 1765-1775. 6 volumes in-8 (200 x 124
mm) maroquin rouge aux armes Luynes, triple filet doré en encadrement, dos
lisses ornés, pièces de titre et tomaisons de maroquin havane et vert, tranches
dorées (Reliure de l'époque).
L'estimation est à rapprocher du résultat de 3600 euros
pour un exemplaire en maroquin (mais sans les armes), obtenus le 1er
mars 2011 à la vente Robert - Baille, des 6000 euros obtenus à la vente Piasa
du 10 novembre 2005 (maroquin cerise sans armes), des 2000 euros obtenus à la
vente Tajan de 2011 (5eme volume en reliure pastiche il est vrai, mais avec M.
Courvoiser comme expert),... de l'exemplaire ravalé lors de la vente PBA du 7
décembre 2004 (6 volumes aux armes, en maroquin, estimés par M. Courvoisier à
l'époque à 7500 euros).
O tempora, ô mores.
Un bel exemplaire donc, généreusement estimé. Mais je ne
suis pas expert, et surtout qui suis-je pour me plaindre d'autres experts qui
sous-estiment généralement les ouvrages dans leur catalogues? D'ailleurs, il va sans doute les faire ses 10 000 euros, non?
Le numéro 77 est également intéressant, il s'agît de la
fameuse édition de 1734 du Molière:
77
MOLIÈRE, JEAN-BAPTISTE POQUELIN DIT.
Estimation: 10,000 - 15,000 EUR
Oeuvres. Nouvelle édition. Paris, [Pierre Prault], 1734. 6
volumes in-4 (280 x 208 mm) veau brun aux armes Luynes, triple filet à froid en
encadrement, dos à nerfs ornés de fleurons et pièces d’armes Luynes, pièces de
titre et tomaisons de maroquin rouge (Reliures de l’époque).
Provenance
Charles Philippe d’Albert (1695-1758), quatrième duc de
Luynes, mémorialiste de la cour de Louis XV, pair de France et mestre de
cavalerie.
Litterature
Cohen, 712-14.
Description
Exemplaire de premier tirage avant les corrections au mot «
comteesse », tome 6, page 360.
Portrait de l’auteur par Coypel gravé par Lépicié, un
fleuron de titre répété à chaque volume, 33 figures hors texte d’après François
Boucher, gravées à l’eau-forte par Laurent Cars.
Imprimée sur papier vergé à grandes marges, cette édition
fut établie par Marc-Antoine Joly d’après les textes imprimés du vivant de
Molière, préfacée par M. de Serre.
Reliure usagée et frottée, coiffes fragiles, tache page 414
du tome II, légères restaurations aux coins, rousseurs et quelques cahiers très
légèrement roussis.
Une estimation de 10 - 15 0000 euros qui me semble aussi
légèrement élevée, si on la compare aux 11000 euros réalisés pour un exemplaire
en plein maroquin d'époque à la vente Piasa du 3 mai 2011... et surtout quand
on sait qu'un excellent libraire (M. Pierre Brillard de Tarascon) vend le même,
en vérité en mieux, pour 8000 euros actuellement: http://livresanciens-tarascon.blogspot.fr/2013/03/uvres-de-moliere-illustrees-par.html
Cher Pierre, si vous ne vendez pas votre exemplaire, vous
savez à qui le confier :)
Il y a bien sûr des lots intéressants dans la vente, il y a
bien sûr des lots à la dimension historique indéniable, mais on est loin de la
vente de l'année.
Et si on nous avait emballé une vente assez belle avec
quelques très beaux lots, histoire de nous survendre tout cela, sans oublier la
belle histoire des Luynes et du chateau, du storytelling, du marketing quoi?
Chassez le naturel...
H
P.S.: le catalogue est ici: http://www.sothebys.com/fr/auctions/2013/bibliotheque-ducs-luynes-chateau-dampierre/overview.html
Très exactement ce que je me suis dit à la découverte du catalogue.
RépondreSupprimerMerci, Hugues, pour ce coup de projecteur sur un des ouvrages de la boutique. Il est toujours délicat d'assurer que l'on ne s'est pas trompé lorsqu'on fait une estimation. Bien évidemment, il y a le prix d'achat mais il y a aussi le juste prix entre la tendance du marché et notre amour pour l'ouvrage (on le défend, tout de même !).
RépondreSupprimerL'expert et je l'ai vécu une fois, est pris entre la tendance baissière du commissaire priseur, la tendance haussière du propriétaire et la réalité des frais annexes. Il a pour lui le buzz et le jeu déraisonnable des enchères ;-))
J'attendrai le résultat de la vente pour ajuster le prix de mon exemplaire au marché. En attendant, je vais brûler quelques cierges ;-))
Je vais néanmoins lire ce soir, comme vous, ce catalogue avec plaisir. Pierre
Bien vu et bien dit.Pour le reste, on a déjà tout dit, etc. et c'est l'acheteur qui fera le prix, spéculateur ou amateur, n'en déplaise aux experts...
RépondreSupprimerVoilà qui est bien dit. Question: le catalogue de vente inclut-il tous les livres à vendre ?
RépondreSupprimerou bien certains (les plus belles pièces ?) ont-ils été déjà acquis, séparément, avant la vente d'avril, par certains libraires ?
Effectivement Hugues, c'est une vente qui ne tient pas ses promesses!
RépondreSupprimer2/3 livres vraiment exceptionnels et le reste pas tout mauvais, mais pas tout bon non plus...
Je pense qu'il y a belle lurette que que beaux exemplaires de cette bibliothèque prestigieuses ont été vendus (ou saisis puis dispersés).
Dommage!
On va se concentrer sur autre chose :)
Wolfi
Ce qui m'étonne c'est l'estimation du N° 66 pour un livre d'heure du XVe avec 15 miniatures 12000 a 15000 euros, il se mouille pas ? Cela devrait exploser au vu des précédents résultats de ce type d'ouvrage ?
RépondreSupprimerDaniel B.
Bonjour,
RépondreSupprimerJ'en avais parlé avec Anne Heilbronn, j'étais étonné finalement qu'il n'y ait qu'environ 6000 ouvrages en vente, alors qu'un descriptif du début du siècle faisait état de 18000 volumes. Apparemment il y eu des donations nombreuses de très belles pièces ( peut-être pour payer les successions ? )
Bon j'étais sorti de ma léthargie bibliophilique pour cela, je suis un peu déçu, je me rendors pour quelques mois.
a bientôt,
Yohann de ebibliophilie.com
L'expert de la vente n'est pas Dominique Courvoisier, mais Dominique Laucournet.
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