mercredi 30 octobre 2013

Des maroquins, de la délicatesse: les belles couleurs de Roch de Coligny

Amis Bibliophiles bonsoir,

La lecture des catalogues de vente et l'un des plaisirs les plus doux qui s'offrent aux bibliophiles; pour autant tous les catalogues ne se valent pas: certains sont erronés, d'autres se contentent de descriptions minimales (cf le "cuir rouge" utilisé en ce moment chez Couteau-Bégarie pour décrire un bel in-4 ayant appartenu à Cortland Field Bishop...), d'autres enfin sont de véritables trésors. C'est le cas des catalogues rédigés par Roch de Coligny. 


On se souvient ainsi, par exemple, du magnifique catalogue qu'il avait rédigé pour la vente de l'atelier de René & Alphonse Simier, relieurs-doreurs de l'Impératrice Marie-Louise, des Rois Louis XVIII & Charles X, et de la duchesse de Berry. 

Lorsque j'ouvre un catalogue de Roch de Coligny, que je ne connais que de vue, pour avoir croisé sa silhouette si reconnaissable à Drouot, je sais à l'avance que je vais passer un très agréable moment.

Le catalogue de la vente de la bibliothèque d'Antoine Pol par la SVV Millon (31 octobre 2013) ne fait pas exception. Sa beauté se niche dans les détails: il débute par les biographies d'Antoine Pol et de la relieure Esther Founès et s'achève par les tables des illustrateurs et des relieurs, qui manquent hélas dans la presque totalité des catalogues des ventes françaises.

M. Antoine Pol
 Mais c'est véritablement à la lecture des notices qu'opère le charme de ce catalogue riche en belles reliures, et avec une grande délicatesse... dans les mots utilisés pour décrire les couleurs des maroquins.

J'avais déjà évoqué sur le blog le fait que les bibliophiles utilisent souvent des mots délicats pour désigner ces couleurs, citron, lavallière, chocolat, caramel, framboise écrasée... ou même le triste tête de nègre. Dans les descriptions de Roch de Coligny, on franchi un cap supplémentaire, et les descriptions deviennent poétiques.

Les maroquins ne sont plus simplement bleus, il sont bleu céruléum, bleu des profondeurs, bleu Claudine, bleu ciel d'hiver, lapis lazuli, bleu-gris mésangé, ou bleu nuit-pétersbourg (sic)...

On est transporté par les descriptions, on se prend à les lire toutes désormais, pour découvrir quelle sera la prochaine couleur imaginée par Roch de Coligny.

Les maroquins ne sont plus simplement rouge ou rose, ils sont gevrey chambertin, cerise Montmorency, framboise écrasée, vieux rose, safran, saint-émilion, fraise des bois, rose aurore ou feux du couchant, ou mieux encore... on frémit en imaginant les peaux couleur lèvres émues ou sang jaillissant.


Les maroquins ne sont pas orange ou brun, ils sont Sienne, goupil, poulain marbré, feuillage d'été, châtaigne, châtaigne native ou châtaigne de Brocéliande, chevrette crème... voire orange crapie, oronge des Césars ou poil de buffle...

Les maroquins ne sont pas simplement vert, ils sont sinople, olive, kiwi, col vert ou lierre.


Et puis il y a les autres couleurs, mystérieuses, et sans photographie il ne reste qu'à fermer les yeux et à rêver, et finalement si ce n'est pas clair, ce n'est pas important. On imagine les maroquins de Roch de Coligny, ceux qui sont trompette de la mort, bouton de fusain (noirs, donc), coeur de pensée (violets, jaunes?)... mais que penser des couleurs Suchard, ventre de loutre ou... suricate?  


L'esprit de l'amateur est parti voguer sur des rives lointaines, bercé par ces descriptions aux couleurs poétiques, et finalement il se dit qu'un maroquin oronge des Césars, goupil ou lèvres émues, c'est bien tentant.

Merci M. Roch de Coligny pour ces découvertes et pour ce moment très doux passé à lire votre catalogue. 

H

P.S.: le catalogue est ici:

11 commentaires:

  1. J'ai ri.
    Et il faut d'urgence que j'aille vérifier la couleur des châtaignes de Brocéliande...
    Olivier

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  2. Lot 4 : reliure d' Allo. Ex Libris manuscrit de Nabila.

    J'adore !

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  3. C'est bien la preuve que tous les goûts sont dans la nature... et c'est tant mieux !
    Xavier

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  4. A quand le "charmant écoulement aquatique ayant laissé une mineure trace couleur de brume sur l'ensemble de l'ouvrage", déja que les experts donnent souvent des estimations bidons si en plus ils sont daltonniens et ne peuvent plus appeler un chat un chat. Dès qu'une reliure est intéressante une photo est présente, cela doit être frustrant pour le descripteur qui s'amuse avec ce qui lui reste. C'est poétique, mais peu éthique, cela m'attriste plus qu'autre chose. C'est sans doute le précurseur du catalogue tout image sans déscriptif qui aurait déja vu le jour si le texte n'était indispensable aux moteurs de recherche et classement.

    biblioronchonilenfautun

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  5. mais non ce n'est pas grave ! ce ne sont que des descriptions de bouquins, heureusement qu'on peut se montrer un peu plus léger de temps en temps !
    bon, tout en restant professionnel un minimum... le vendeur n'apprécierait pas l'humour qui empêcherait la bonne appréciation de l'ouvrage.
    merci !

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  6. Je vous rejoins 100 % dans le fait que cela n'a aucun caractère de gravité, et que ce ne sont que des descriptions de livres, mais dans la lagune des louanges il faut bien l'avocat du diable.;))

    biblioronchonilenfautun

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  7. Il s'agit tout simplement de se mettre un peu dans l'univers poétique d'Antoine Pol!
    Et personnellement, je suis plutôt de l'avis d'Hugues : ça a le mérite de sortir des sentiers battus, et c'est plutôt réussi comme évocations!
    Antoine Pol n'était il pas l'auteur du poème repris par Georges Brassens "Les Passantes"?
    "Je veux dédier ce poème
    À toutes les femmes qu'on aime..."
    Une des meilleures chansons de Brassens à mon sens!
    Ceux qui ne connaissent pas :
    http://www.youtube.com/watch?v=WJ9ahN4mPHw

    Un grand merci à Maitre Georges et à Monsieur Pol!

    Cordialement,

    Wolfi

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  8. Le monde de la bibliophilie peut parfois être terriblement guindé, c'est un vrai plaisir quand quelqu'un se permet un peu de fantaisie.

    Merci à Mr de Viergerie pour le coup du lot 4 qui m'avait échappé, voir ça dans une notice, c'est un régal.

    Nicolas

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  9. Je fais un peu le rabat-joie mais il me semble qu'utiliser le vocabulaire héraldique pour décrire des reliures n'est pas très progressiste ! Employer sinople et issant est peut-être un jeu mais nous savons bien que la maîtrise de la langue est un enjeu de distinction et de pouvoir...
    Par ailleurs, je crois me souvenir de plusieurs mentions dans des catalogues antérieurs où les rédacteurs se laissaient aller à des commentaires nettement plus politiques et assez orientés (tendance clairement antirévolutionnaire par exemple). Certes, c'est différent des notices habituelles mais tout ceci me semble toutefois bien homogène !
    S.D.

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  10. Vous avez bien raison S.D.; pour ma part je me bornais à trouver cela amusant, mais progressiste ce serait aller bien loin.

    Nicolas

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  11. effectivement, on pourrait citer un libraire expert du sud de la France, dont certaines descriptions fleurent bon la nostalgie d'une époque révolue, tendance Pétain.

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