Se pencher sur l'histoire de la reliure permet de croiser
des destins étonnants, tel celui de Caumont, évoqué dernièrement par Christian
et des personnages singuliers. Nous savons que Danielle Mitterrand signait des
reliures soignées, mais saviez que la première océanographe française, qui a
laissé son à de nombreux établissements publics, Anita Conti était également
une relieure d'art reconnue?
D'origine arménienne, Anita Caracotchian est la fille de
Léon (Leven) Caracotchian, médecin accoucheur, et Alice Lebon. Elle voyage en
suivant ses parents à travers l'Europe. En Bretagne et en Vendée, elle embarque
régulièrement avec des pêcheurs qui lui donnent le goût de la mer.
En 1914, à l'aube de la guerre, la famille se réfugie à
l'île d'Oléron, où la jeune fille s'adonne à la voile, la lecture, et réalise
ses premières photographies.
Après la guerre, Anita Caracotchian s'installe à Paris où
elle excelle dans le métier de relieuse d'art. Elle fait ses premiers pas en
amatrice lorsqu'elle utilise pour la première fois une pièce de cuir brute pour
relier un ouvrage de Molière.
Ses travaux de reliure sont remarqués à l'Exposition
internationale des arts décoratifs de 1925, où elle est même comparée à
Legrain, décédé en 1920 :
" Attendons-nous à voir Melle Anita Cara devenir chef
d'école comme le fut Legrain. C'est le propre de toutes les innovations de
susciter immédiatement le démarquage ou la copie. Réjouissons- nous, en tout
cas, si nous sommes ainsi appelés à connaître un autre âge de la reliure"
souligne le journal Comoedia.
Elle se distingue pourtant de Pierre Legrain: alors que
celui-ci privilégiait les lignes géométriques inspirées du cubisme, juxtaposant
les cuirs en fines mosaïques, Anita Conti produit des pièces uniques, qu'elle
taille, sculpte, modèle dans une seule peau (buffle d'Abyssinie, galuchat…)
puis qu'elle teint. Ses recettes de teinture prises dans le Caucase conduisent
à des compositions originales, teintées des couleurs et lumières rencontrées
lors de ses voyages en Orient.
A ses retours de voyage, elle accueille amateurs et
collectionneurs dans son atelier parisien. Jean de Rovéra, Francis Carco, Henri
Davoust, Edgar Faure, Anatole de Monzie, Emile Roche, Jean Giroudoux, la
famille royale de Belgique, Albert Kahn, ou encore le jeune empereur de
l'Annam, Bao Daï, sollicitent les talents de celle que Pierre Mac Orlan nomme
"celle-qui-écoute-parler-les-livres".
Elle relie ainsi Jeux du
Demi-Jour de Pierre Mac-Orlan, La croisière noire et Fumeurs d'opium de Jules
Boissière, L'Anthologie Nègre de Blaise Cendrars, Le Chant de l'Equipage de
Pierre Mac-Orlan, Ghazels de Hâfiz, reliure incrustée de pierreries.
Dans les années 1930, son travail de relieur d'art est
couronné de plusieurs prix : au Salon d'Automne, au Salon des Arts Décoratifs,
à Londres, à New York, à Bruxelles où elle obtient la médaille d'or en 1935.
Elle cesse pourtant toute activité professionnelle de relieur d'art pour se
consacrer à l'océan après 1939.
Anita Conti embarque alors pour les régions arctiques à bord
du Viking, un chalutier-morutier, pour une durée de pêche de 3 mois au-dessus
du 75° parallèle. Elle tire alors des conclusions très alarmistes quant à la
surexploitation des océans et les conséquences d'une pêche à outrance. Donnant
naissance à une prise de conscience sur les problèmes environnementaux, elle
montre que la mer n'est pas une ressource inépuisable. De novembre 1939 à
janvier 1940, elle embarque sur les dragueurs de mines en Manche et en mer du
Nord. Première femme à bord des navires de la Royale, elle prend une part
active aux opérations de déminage à Dunkerque. En mai 1940, elle prend part à
l'évacuation de la poche de Dunkerque.
En 1941, pendant la Seconde Guerre mondiale, elle embarque
sur un chalutier qui fuit vers les rivages africains pour continuer la pêche et
nourrir les populations, la pêche étant interdire en Atlantique Nord. Pendant
deux ans, d'un chalutier à l'autre, elle observe les pêcheurs français le long
des côtes sahariennes et africaines, où ils découvrent des espèces de poissons
inconnues en France. Elle n'a de cesse de continuer à augmenter les cartes sur
les zones de pêche, tout en s'intéressant aux techniques de pêches locales.
En 1943, le gouvernement d’Alger lui commande une recherche
sur les ressources de poissons de l'Afrique de l'Ouest, ainsi qu'une étude pour
développer la pêche traditionnelle. Pendant 10 ans, elle va étudier, tant en
Mauritanie qu'au Sénégal, en Guinée ou en Côte d'Ivoire, la nature des fonds
marins, les rivages, les estuaires, les différentes espèces de poissons et leur
valeurs nutritives, pour parer aux carences en protéines des populations
locales.
Petit à petit, elle améliore les techniques de conservation,
les méthodes de pêches, installe fumeries et pêcheries, et fonde même une
pêcherie expérimentale de requins.
Continuant sans relâche ses études, elle s'implique encore
davantage contre la malnutrition ainsi que pour la sauvegarde de la richesse
halieutique et pour un développement de la pêche en harmonie avec la mer.
Ses reliures sont assez difficiles à retrouver, mais le personnage ne pouvait laisser indifférent!
H
Joli billet, merci ! Le nom me disait quelque chose, grâce à toi nous en savons plus... Une spécialiste en halieutique qui reliait en galuchat, ça c'est un personnage ! Même si je ne me suis toujours pas fait à "relieure"... Mais c'est un autre sujet, déjà débattu et clos dans de nombreux échanges ici même... C'était, donc, une sacré bonne femme et une sacrée relieure... J'ai eu entre mes mains une de ses créations, il y a longtemps (veau poli à bandes avec peau de serpent) sur un André Demaison ill. Jouve...
RépondreSupprimerB.
La photo avec les grands ongles et le maillet est assez surréaliste. On l'imagine difficilement à l'étau à endosser arrondissant un dos au marteau . Comme Legrain n'était elle pas plutôt maquettiste et soumettait ses projets artistiques à des artisans relieurs de renom qui réalisaient les reliures ? ? On sait bien par exemple que sur la plupart des reliures signées Legrain , seul le design était de Legrain les reliures étant faites par des ouvriers techniquement bien meilleurs que le maître.
RépondreSupprimerBouc binder
C'est vrai que le maillet semble rude et un peu disproportionné pour de si jolies menues mains, mais sur la photo, elle dore "seulement".
RépondreSupprimerCeci dit, je connais de jolies menues menottes qui ont bien plus de fermeté qu'on pourrait le supposer ;-)
B.