lundi 18 mai 2015

Vente Jean A. Bonna chez Christie's: de l'éclectisme et de la séparation chez le bibliophile, les mots de Jean Bonna

Amis Bibliophiles bonjour,

Une fort belle vente annoncée cette semaine, aux sommets de la bibliophilie, la vente de Jean A. Bonna chez Christie's.


Le 16 juin donc, à Londres, Christie's proposera 165 lots issus de la bibliothèque du célèbre bibliophile suisse Jean Bonna. Une sélection magnifique, naturellement, de Guillaume de Digulleville et son Pylerinage de Vie Humaine (1470, manuscrit enluminé pour Charlotte de Savoie) à Paul Eluard illustré par Miro, et son À toute épreuve (Genève: Gérald Cramer, 1958).

Une sélection éclectique donc, qui démontre que l'on peut être un grand bibliophile et posséder une fantastique bibliothèque sans pour autant se cantonner à un thème ou une époque. A chaque page on est émerveillé, on découvre ou on retrouve des ouvrages mythiques, et on se dit qu'il doit être bien difficile de s'en séparer. 

En parcourant ce catalogue je me suis posé deux questions: 

1. Que ressent-on avant de se séparer d'ouvrages aussi extraordinaires?

2. Comment expliquer la diversité des ouvrages présentés dans ce catalogue?

Jean Bonna est bibliophile, il a forcément ressenti ces deux impressions, et il répond à ces deux questions dans une introduction au catalogue.


Elle est en anglais dans le  catalogue, mais j'ai pris la liberté de la traduire pour notre plaisir commun:

"Pour ceux qui me connaissent bien, qui savent que j'acquiers des livres depuis 60 ans, et que j'ai une connexion presque physique à ma bibliothèque, la vente ne serait-ce que d'une petite partie de celle-ci, sera sans aucun doute une surprise - et ce avec raison. 

Tout au long de ma vie, pas une fois je n'ai jeté un livre, pas même un livre de poche. À ce jour, les livres que je lisais quand j'avais seulement 9 ans sont encore en ma possession. En tant que collectionneur, je n'ai jamais vendu un livre sauf en vue de l'achat d'un meilleur exemplaire, et dans certains cas, comme avec les Fleurs du Mal, j'ai conservé cinq exemplaires de la même édition. 

Que ceux qui ont des doutes se rassurent: je reste le collectionneur que j'ai toujours été - c'est une maladie incurable de toutes façons. La petite partie de ma collection proposée à la vente dans ce catalogue comprend à peine 150 volumes sur plus de 3500. Ainsi, je vais continuer à construire ma bibliothèque et je vais continuer à souffrir avec plaisir de la «collectionnite».

Mais, en regardant en arrière à ma longue vie de chasseur de livres, je me suis rendu compte qu'il y avait quelques intrus sur mes étagères. Mon ambition était de créer la bibliothèque la plus représentative possible de la réalisation littéraire français. Je crois y être parvenu, depuis la seule copie connue de la troisième édition du Roman de Mélusine jusqu'à l'avènement de la révolution surréaliste - territoire qui m'était inconnu, je dois l'admettre: mes étagères révèlent presque tout ce que le génie littéraire français a transmis à la postérité depuis plus de six siècles.

Bien que je conserve plusieurs d'entre eux, j'ai acquis ces "intrus" pour des raisons spécifiques personnelles: la botanique parce que j'aime les fleurs; des auteurs de langue étrangère pour leur influence sur la culture française, ou leur impact sur l'histoire du monde; des livres illustrés pour leurs gravures plutôt que pour leur contenu littéraire; des livres traitant de l'économie et d'autres encore que j'ai achetés tout simplement parce qu'ils étaient richement reliés ou d'une grande rareté. Je chérissais chacun pour son attrait particulier, mais je veux me concentrer encore plus sur le noyau de ma collection et j'ai donc décidé de les laisser s'en aller.

Je crois que l'un des grands plaisirs de la construction d'une bibliothèque réside dans le partage avec les autres. Comme ils se promèneront et navigueront parmi mes étagères, ceux que j'ai toujours accueillis avec plaisir réaliseront rapidement que j'ai à peine créé un peu d'espace supplémentaire: dans mon âme, je suis et je reste un collectionneur.

Jean A. Bonna".

Il est rassurant de constater que même si Jean Bonna est un immense bibliophile, et bien il a finalement les mêmes soucis que les autres: des achats parfois que l'on a parfois du mal à "assumer" avec les temps, des petites "erreurs", la difficulté à se séparer d'un ouvrage, les compromis faits pour acquérir un exemplaire meilleur... et même parfois le fait de conserver sans raison plusieurs exemplaires du même ouvrage. Juste pour le plaisir. Après, ce n'est qu'une question d'échelle :)

Vous pourrez trouver le catalogue ici:
http://www.christies.com/zmags/?ZmagsPublishID=243d5aa3&SaleTitle=Important+Books+and+Manuscripts+from+the+Library+of+Jean+A.+Bonna&SaleId=0&GUID=&JumptoLot=

Et vous, quel est votre ouvrage préféré? 

H

13 commentaires:

  1. ah oui, il a les mêmes problèmes que nous : des trucs qui ne vont pas et qu'on met sur une étagère éloignée, des problèmes de place, de doubles...
    ça rassure !
    Mon préféré ? difficile... le dernier est toujours particulier, bien sûr. Il s'agit d'ouvrages de la Collection d'Artois. Mais en remontant de quelques semaines, il y a un Barbassou, très bien truffé, qui me vient à l'esprit, pour de nombreuses raisons.

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    1. Calamar surpris en plein Bonna mimétisme. Je demande quel est votre préféré dans le catalogue Bonna, Calamar nous parle de sa propre bibliothèque.
      Cher Christian, tu as vraiment les mêmes soucis que M. Bonna 😊
      H

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  2. oui, bon, faut pas se moquer, c'est lundi. :)
    Mon préféré ? quand c'est trop ancien je n'y connais rien, alors, à part le Polyphile, je différentie peu les autres. Mais le Cervantès-Pompadour est bien sympathique...

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  3. Moi, c'est pareil avec mes livres de poche...
    Xavier :-)

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  4. Le livre des faits d'Armes de Bertrand du Guesclin me conviendrait tout à fait.

    Comme j'ai fait mes études à Dinan jusqu'en terminale, j'offrirai cet incunable à la ville qui débaptisera la place Duclos [Charles Pinot est un écrivain aujourd'hui oublié] où j'attendais mon car tous les soirs et la rebaptisera place Philippe Gandillet. C'est ma grande sœur qui serait contente... Je demanderais que la Place Du Guesclin garde son nom, bien évidemment !

    Bon ! je rêve peut-être... Pierre ;-))

    NB : Aucun plaisir à lire un catalogue en anglais.

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  5. C'est quand même plus simple d'avoir du gout quand on est banquier, qu’admire-t-on dans une telle bibliothèque, la puissance et la gloire ! Sans aucun doute un grand bibliophile, mais a t-il un jour renoncé à quelques chose de vital pour s'acheter un livre ? Je doute ? Belle accumulation de lingots sur les étagères d'une bibliothèque. Basta.

    Un rabat joie, (jaloux) les Duodo rentreraient bien dans ma modeste bibli ;))

    Une petite analyse sur les collectionneurs helvetes
    http://www.bilan.ch/etienne-dumont/courants-dart/marche-le-monde-opaque-des-collectionneurs-suisses

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  6. La richesse n'entrave ni le goût ni la passion, et la pauvreté n'est un gage ni de l'un ni de l'autre.

    Nicolas

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  7. J'allais le dire! Merci Nicolas!
    Hugues

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  8. L'abondance des richesses les rend moins précieuses, et la satiété en étouffe le goût. Stanislas Leszczynski Le philosophe bienfaisant (1764)

    Un rabat joie (jaloux) ;))

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  9. A ceux qui croient que mon argent endort ma tête, je dis qu'il ne suffit pas d'être pauvre pour être honnête. Daniel Balavoine La vie ne m'apprend rien (1980) :)

    Ne remettons donc pas en cause avec autant de légèreté la probité biliophilique de Monsieur Bonna, sous prétexte que l'argent ne lui fait pas défaut.

    Nicolas

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  10. Très beau catalogue, très belle collection, du goût, sûr.
    Après tout pour le même prix il aurait pu s'acheter un chien gonflable de Koons...

    Olivier

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  11. Je ne souhaitais pas remettre en cause la probité bibliophilique de Mr Bonna, qui, vu la beauté des exemplaires, et la cohérence de sa bibliothèque sur la littérature française fait peu de doute. Simplement une réflexion générale sur le fait qu'attribuer un niveau de bibliophilie ou de connaissance des arts à une personne uniquement en fonction de ses acquisitions est un peu réducteur, délicat et pas forcément objectif. De même que certains conservateurs de musée ou profs des beaux-arts connaissent et analysent mille fois mieux les tableaux de tel peintre que nombres de leurs propriétaires et ne pourront jamais se les offrir ; Il y a sans doute sur ce blog et ailleurs des grands bibliophiles qui connaissent sur le bout des doigts les ouvrages de telle ou telle période, mais ne pourrons jamais s'offrir que des estropiés ou des livres de deuxième plan. Ils sont sans doute de grands bibliophiles, mais n'auront jamais une grande bibliothèque comme Mr Bonna ; En cela être la 10 eme génération d'une famille de banquier ça aide. Ce n'est sans doute pas sur les livres anciens qui ont tous des pédigrées précédents que les générations futurs pourront juger le niveau de bibliophilie de Bonna, mais plus sur la littérature contemporaine et moderne où il achète sans doute les grands livres et manuscrits de demain, là ils seront si il a été visionnaire. Même si on fait souvent l'amalgame Grand bibliophile, Grand collectionneur de tableau, c'est parfois un abus de langage, et une hypocrisie de plus, il faudrait plus souvent dire riche bibliophile, riche amateur de tableau , enfin c'est bien normale dans une société capitaliste, ou la grandeur de l’homme s’évalue trop souvent avec celle de son portefeuille. Bon j’arrête là, je deviens moins drôle et minable bibliophile.

    Le rabat joie (très jaloux)

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  12. Qui a les moyens de constituer une telle collection de livres: la collection Bonna? Oui, pour un associé de la Banque privé Genevoise, ceci est possible.
    En résumé , je viens juste de lire Anonyme et je partage son Avis sur ce sujet.


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