dimanche 19 juillet 2015

Une spécialité parisienne : les livres d’heures imprimés

Amis Bibliophiles bonjour,

À la fin du XVe siècle deux libraires parisiens proposent à leur clientèle des livres d’heures imprimés à même de concurrencer les livres d’heures manuscrits et enluminés, manuels de prières à usage des fidèles.

Antoine Vérard et Simon Vostre publient des Heures sur papier, mais le plus souvent sur peau de vélin, signe de richesse et de préciosité qui donne le change.

Heures à l'usage de Rome, Gillet Hardouyn, circa 1514, librairie Doucet cat N°2
Simon Vostre s’attache les services de l’imprimeur Philippe Pigouchet qui de 1488 à 1515 aurait publié 188 éditions selon Pascal Fulacher. Antoine Vérard s’adresse de son côté à l’imprimeur Jean Dupré (de 1486 à 1513).

Le texte est composé en gothique textura. Très souvent les initiales et les fins de ligne sont cependant enluminées à la main en rouge, bleu et or.

Nos libraires misent sur l’abondance de l’illustration. Ces livres sont pourvus de grandes compositions à pleine page. Antoine Vérard en propose fréquemment 16 ou 19, c’est-à-dire une illustration plus abondante que les livres manuscrits enluminés communs qui en comptent 6 à 9. Le livre débute le plus souvent par l’almanach pour plusieurs années (17, 18, 20, 21 ans…), qui permet parfois seul de dater approximativement l’édition. Lui fait suite la planche de l’homme anatomique avec ses références aux quatre éléments et aux quatre tempéraments. On trouve ensuite le calendrier des saints, l’extrait des évangiles, les oraisons, les prières à la Vierge pour les heures canoniales de la journée, etc. Ces éditions sont « tout au long et s’en requérir » c’est-à-dire qu’elles ne sont pas abrégées et qu’il n’est nul besoin d’aller chercher ailleurs dans le texte la suite d’un texte abrégé.

Heures à l'usage d'Amiens, calendrier, détail, simon Vostre, 1502
L’encadrement de toutes les pages fait appel à une multitude de vignettes gravées variées, saints, scènes de genre, scènes en fonction du calendrier, jeux d’enfants, scènes de chasse, signes du zodiaque, personnages fantastiques…

Il faut en particulier s’attarder sur les immanquables séries de vignettes de la danse des morts. Dans les marges se superposent les portraits en pied de tous les membres de la société entraînés chacun à son tour par le squelette de la mort. On retrouve ainsi le pape, le roi, le fou, le bourgeois, le gueux, le soldat et bien sûr leurs compagnes ou homologues féminins, la reine, la femme grosse, la paysanne, la religieuse, etc.


Officium Beate Mariae virginis, Paris, Jacques Kerver, 1574
On considère habituellement que bon nombre de ces vignettes sont gravées sur métal, la précision du trait de gravure en est un indice, de même que leur tirage ne semble pas s’émousser avec le temps.


Le génie des éditeurs et leur préoccupation bien sûr, est d’avoir su rentabiliser ces productions luxueuses. Ils jouèrent évidemment sur la différence de coût entre un exemplaire manuscrit et un exemplaire imprimé, encore fallait-il que le tirage soit suffisant. Les Heures les plus fréquentes étaient à l’usage de Rome ou de Paris, c’est à dire qu’elles suivaient les rituels particuliers de Rome ou de Paris. Produire des Heures à l’usage de diocèses particuliers, moins peuplés et moins riches, par exemple Arras ou Bourges, risquait d’être peu rentable, le débouché étant réduit. Les éditeurs se contentèrent de faire imprimer quelques cahiers spécifiques des diocèses, qu’ils assemblèrent avec les cahiers ordinaires du rituel de Rome le plus souvent. La vérification de cette pratique est simple, les cahiers sont signés de l’initiale de l’usage R pour Rome, P pour Paris, Bo pour Bourges…Les Heures ainsi assemblées étaient complétées au colophon soit à la main soit par un repiquage typographique « heures à l’usage de Bourges » par exemple.

Heures à l'usage de Bourges, Vérard, 1508, l'homme anatomique
Heures à l'usage de Bourges, Antoine Vérard 1508, colophon
Cette période faste d’impression des Heures parisiennes dura de 1480 à 1550 environ.

D’autres imprimeurs se lancèrent dans la publication de livres d’heures très tôt comme Thielman Kerver, en 1497, associé au graveur Georges Wolf, ou Gillet et Germain Hardouyn qui firent travailler l’imprimeur Guillaume Anabat, ou encore Guillaume Rouille à Lyon.
Heures à l' usage de Rome, Thielman Kerver 1498, cat Camille Sourget N°15
Un peu plus tard, en 1525,  Geofroy Tory renouvelle complètement l’illustration pour la faire sortir de la tradition médiévale et entrer dans la Renaissance. Les figures et les encadrements, gravés sur bois, adoptent un style antique. Les vignettes d’encadrement sont remplacées par des portiques architecturés inspirés de l’antiquité. Le texte est composé en caractères romains. Les illustrations de Tory seront reprises par ses successeurs : Olivier Mallard puis Thielman Kerver fils et Jacques Kerver. Ces derniers mélangeront allégrement encadrements et figures d’inspiration gothique et antique et produiront des ouvrages moins harmonieux.

Le nombre d’éditions différentes fut considérable, estimé à 500 pour les vingt premières années du XVIe siècle. L’édition parisienne se vendait et s’exportait bien. On trouve, par exemple, des éditions à l’usage de Salisbury.
Hore beate virginis Marie( à l'usage de Salisbury) Simon Vostre, 1520, Librairie Doucet, cat n°2
Les collectionneurs de ces livres furent nombreux, le duc de Parme, Ambroise-Firmin Didot, le duc d’Aumale, Yéméniz…

Jusqu’ici les sources reposaient principalement sur Jacques-Charles Brunet (Manuel du libraire et de l’amateur de livres, tome V), Paul Lacombe (Catalogue des livres d’heures imprimés au XVe et XVIe siècle conservés dans les bibliothèques publiques de Paris, Paris, Imprimerie nationale, 1907), Hans Bohatta (Bibliographie des Livres d’Heures imprimés aux XVe et XVIe siècles. Vienne, Gilhofer et Ranschburg, 1924) et le catalogue du duc Robert de Parme (Livres de liturgie imprimés aux XVe et XVIe siècles, Paris, 1932). Désormais il n’est plus guère possible d’ignorer la publication d’Heribert Tenschert (Antiquariat Bibermühle), qui expose par le menu sa collection de 375 livres d’heures, en 9 volumes format à l’italienne et 2750 illustrations, en allemand. Ouvrage hélas fort coûteux. Cette collection, en partie visible au Grand-Palais lors du dernier salon, était d’ailleurs en vente de façon indissociable. Avis aux amateurs…


Lauverjat

4 commentaires:

  1. j'ai bien aimé le colophon avec Bourges manuscrit ! mais je suis surpris par la présence de gravures sur métal ; ça rajoutait une complexité à l'impression, non ?
    merci Lauverjat !

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  2. Si la gravure sur métal est en creux et typographique à la même "hauteur en papier" et incluse dans la forme d'impression il n'y a aucune complication.

    Lauverjat

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  3. Il ne faut jamais "poster" trop vite; il va sans dire que le trait imprimé de la gravure est en relief et que les blancs sont en creux.

    Lauverjat

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