lundi 28 septembre 2015

La meilleure période pour être bibliophile? Sous la Révolution et au début du XIXe?

Amis Bibliophiles bonjour,

Que ce soit Nodier, Vandérem ou plus récemment Daniel Désormaux (La figure du bibliomane, Librairie Nizet, 2001), la lecture d'ouvrages consacrés à l'Histoire du livre me conduit régulièrement à m'interroger sur que pouvait être la vie d'un bibliophile d'une autre époque.

Du Bibliomane de Brandt, à celui de Bury jusqu'aux jeunes bibliophiles du début du XXIe, la figure du bibliophile et les manières de pratiquer la bibliophilie ont constamment évolué au fil des siècles: rôle social de la bibliothèque au XVIIe, fonction politique de celle-ci au XVIIIe, apparition des grandes bibliothèques privées et de la bibliographie et des premiers livres "pour" bibliophiles (Baisers et autres Fermiers Généraux), grande braderie révolutionnaire, spoliations, destructions, émigration des bibliothèques, ventes borgnes, puis bibliophilie flamboyante du XIXe avec l'apparition des sociétés de bibliophiles, le livre comme objet au tournant du siècle, etc.

Mais finalement, à quel moment valait-il mieux être bibliophile? Qu'en pensez-vous?

J'ai une grande tendresse pour le XIXe, qui à mon sens opère (avec brutalité certes), le passage de l'Ancien Régime bibliophile, très corseté, à l'époque moderne, plus ouverte, plus multiple. Il fait également, dans le même temps, la synthèse des époques passées et nous a projeté dans l'époque actuelle, qui en respecte encore plus ou moins les grandes lignes.

Naturellement, tout ceci est très subjectif: jusqu'au XVIIIe, c'est le texte qui semble avoir la part belle, même si juste avant la Révolution Française, de nombreux signes, notamment dans le travail des relieurs et des imprimeurs pourraient montrer qu'au delà du texte, l'objet livre prend de l'importance.

Forcément, les années qui secouent la France à la révolution font naître de nombreux fantasmes dans l'esprit du bibliophile quand il rêve aux opportunités d'achat qui se présentèrent. Pour ceux qui ne furent pas spoliés, j'imagine cette période comme une sorte d'hallali ("mode de chasse ancestral qui consiste à poursuivre un animal sauvage avec une meute de chiens, jusqu'à sa prise éventuelle. Elle se distingue de la chasse à tir car seuls les chiens chassent, grâce à leur odorat et leur instinct naturel de prédateur."): confiscations, saisies et ventes d'ouvrages des bibliothèques des émigrés ou des bibliothèques séculaires du clergé, livres échangés sous le manteau, trafic, et même vraies-fausses ventes à l'encan.

Abbé Grégoire
Dans son Premier rapport sur le vandalisme, l'Abbé Grégoire cite ainsi ces ventes dans lesquelles "la plupart des hommes choisis pour être commissaires, sont des marchands, des fripiers, qui étant par état plus capables d'apprécier les objets rares présentés aux enchères, s'assurent des bénéfices exorbitants. Pour mieux réussir, on dépareille des livres (...), et des frippons concertés savent réunir ces pièces séparées qu'ils ont acquises à bon marché. Lorsqu'ils redoutent la probité ou la concurrence de gens instruits, ils offrent de l'argent pour les engager à se retirer des ventes. on en cite une où ils assommèrent un enchérisseur". Rien de nouveau ou presque me direz-vous!

En tant que bibliophile, on ne peut que rêver de ce festin de loups, des opportunités incroyables que cela pouvait présenter pour un acheteur aviser... et des fortunes de libraires qui ont pu se construire sur les cendres de la monarchie. 

Je possède un ouvrage ayant appartenu au baron Jérôme Pichon, dans lequel il a ajouté une note manuscrite qui confirme les paroles de Grégoire: "Ce présent exemplaire est celui des Carmes Déchaussés de Paris et ensuite de la bibliothèque du chapitre de Paris. Il fut vendu à la livre en 1811 avec toute une voiture de vieux livres à un épicier de la rue des Marmousets nommé Neveu qui le revendit à la livre aussi à un amateur inconnu."


Tout est dit, la bibliothèque du chapitre de Paris, une vente au poids, une voiture de vieux livres (on s'étrangle en imaginant le lot!), un épicier et un inconnu... 

Cette période post-révolutionnaire, ce Far West est un moment assez unique de l'histoire bibliophilique de notre pays. Je pense parfois que c'est cet afflux de livres sur le marché qui a permis les Nodier et autres Brunet: il fallait protéger, répertorier, bibliographier... et dans le même mouvement les possibilités d'acheter (à bas prix, ou des livres oubliés depuis des siècles dans des bibliothèques, voire les deux) semblaient immenses.

Chaque bibliophile cache un carnassier, un prédateur et cette période excite fatalement mon appétit. Elle lance le siècle également. 

Pour résumer, j'aurais aimé avoir 40 ans en 1800, 45 en 1850, 50 en 1880, pour m'éteindre doucement en lisant Vandérem dans les années 1930... La bibliophilie conserve.

Et vous, quelle époque faste auriez-vous aimer vivre en tant que bibliophile?

H

10 commentaires:

  1. ah, en voilà une question qu'elle est bonne ! mais personnellement je ne trouve pas que l'époque actuelle soit si terne par rapport à ces moments troublés (et dangereux pour certains d'entre eux...)
    Aujourd'hui on dispose de bien plus de facilités qu'il y a seulement 15 ans, on est mieux informés, on a bien plus d'opportunités... on fait la fine bouche, mais c'est un réflexe de gros mangeur, pas d'affamé.
    On voit des hiérarchies bousculées, c'est vrai, mais est-ce que ce n'était pas aussi le cas précédemment ?

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  2. J'ai eu 40 cette année, et comme il est dit au dessus, question bibliophilie, on est très bien aujourd'hui, et eBay a bousculé beaucoup de choses pour qui veut se constituer une bibliothèque.

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  3. N'étant ni carnassier ni prédateur je ne me repaîs pas sur les ruines d'époques troublées; que donnera la vente Bergé si ce n'est des prix "exotiques" tout comme celle de Villepin? En 1850, il nous manquait le dadaïsme, le surréalisme, le lettrisme, le nouveau roman, &c., certains illustrateurs des meilleurs (Dali?, Picasso?, Magritte? Rochegrosse? &c.), des livres d'artistes sublimes, PAB, des relieurs novateurs (qu'on aime ou pas), Apollinaire, Aragon, Louÿs, Simon, Lely &c. et les sublimes éditions brochées sur des papiers d'anthologie, des reliures d'artistes à tomber ...
    "Hier c'était mieux" ... litanie de toujours.

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  4. En 1800 vpus auriez eu l esprit de 1800

    Il est probable que vous ne vous seriez pas préoccupé de bibliophilie.

    Vu votre profil, je parie que vous auriez eu un bon poste de colonel, et que vous auriez plutot acquis quelques bonnes terres plutot que des livres.
    Non ?
    ;-)
    Jlp

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  5. Si les êtres humains avaient tous et toujours l'esprit de leur époque nous serions encore à l'âge de pierre.

    N.

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  6. ... en tous les cas, j'aurais aimé vivre au 18ème ou 19ème car je suis certain que chez les bibliophiles on savait répondre au maître de maison en mettant un peu plus les formes que certains :-)
    Xavier

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  7. Bonjour,

    à bien des époques, car chacune a ses bonheurs. Donc j'aurais aimé vivre ma vie de bibliophile à la Renaissance à condition d'être François 1er ou Grolier, à la fin du siècle sous les traits de Jacques Auguste de Thou, au XVIIIe dans les habits du duc de La Vallière ou au XIXe dans ceux du duc d'Aumale...Les premières années du XIXe furent sans doute une période faste pour se constituer une bibliothèque...et envahir sa maison de livres à sauver sans plus savoir où donner de la tête. Grosse indigestion probable.

    Lauverjat

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  8. Finalement le XXIe est pas mal, l'imprimerie en Europe ayant à peine plus de 5 siècles, et son développement ayant été exponentiel, notre choix c'est grandement élargi, ne boudons pas cette chance. Imaginez la frustration de l'homme du XVe qui ne pouvait acheter que du livre neuf ;)

    Daniel B.

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  9. Merci Xavier :)
    Monsieur Daniel B. toujours aussi spirituel! :)
    Hugues

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  10. Évidemment, être bibliophile après un grand drame national [ peste, Terreur, Commune, guerre, grippe espagnole, Occupation ] élargit l'offre et permet de faire de belles acquisitions d'ouvrages anciens... Mais à quel prix !

    Les périodes de paix sont généralement plus propices à la création et c'est alors l'élargissement de la demande qui permet le développement d'un commerce du livre luxueux. C'est pourquoi l'entre deux-guerres me semble avoir été une période faste pour la bibliophilie. Pierre

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