jeudi 3 mars 2016

Une escroquerie bibliophile élaborée, les faux de Harry Buxton Forman et Thomas Wise... Des originales avant les originales

Amis Bibliophiles bonjour,

Cette escroquerie montée par le libraire anglais Harry Buxton Forman et le bibliophile Thomas James Wise nous conduit à Londres à la fin du XIXe siècle.
Thomas James Wise
Harry Buxton Forman
Harry Buxton Forman était un érudit respecté, spécialiste de Shelley et Keats, et libraire. Thomas James Wise, lui, était bibliophile, connu pour sa bibliothèque d'éditions originales et faisait également un peu de courtage.

Profitant de l'engouement des bibliophiles de l'époque pour les éditions originales, les deux associés proposèrent pendant près de 15 ans des faux qui devinrent rapidement très recherchés. L'astuce était elle-même relativement élaborée: bibliophile et libraire, Wise et Buxton Forman ne pouvaient ignorer combien il est difficile de produire un faux en bibliophilie (encore que, nous l'avons déjà vu...), en particulier pour des éditions originales qui venaient de paraître. Leur idée fût donc de proposer, d'inventer des pré-originales ou des tirages inconnus, ou privés des mêmes textes, le plus souvent sous forme de plaquettes.

De fait ces textes, antérieurs aux éditions originales, devenaient encore plus rares et étaient destinées à connaître un grand succès auprès des amateurs. Ils bénéficiaient en outre de la double caution d'un grand bibliophile de l'époque, Wise, et d'un libraire et érudit réputé, Buxton Forman, connu pour ses bibliographies sur Shelley et Keats. Aussi, c'est en toute logique qu'ils débutèrent leur carrière de faussaire avec Shelley.

En novembre 1886, Edward Dowden publia une biographie de Shelley, qui contenait un nombre importants de poèmes inédits. Ce fût le déclic pour Buxton Forman et Wise qui décidèrent alors de créer une une société écran, la Philadelphia Historical Society et de publier séparément les poèmes sous le titre Poems and Sonnets, avec une date antérieure à 1886.

Les ouvrages étaient imprimés à l'aide d'un complice imprimeur, Richard Clay & Sons, et réunissaient toutes les conditions pour être crédibles, se permettant même le luxe de proposer des éditions privées, antérieures aux éditions originales, d'auteurs encore vivants.

Buxton Forman et Wise créèrent ainsi des faux d'ouvarges d'Elizabeth Barrett Browning, George Elliot, John Ruskin, Matthew Arnold, Alfred Tennyson, George Meredith, William Thackeray et de beaucoup d'autres. Les deux escrocs les commercialisaient ensuite et ceci durant plusieurs décennies, à une échelle relativement vaste, puisqu'à la vente Brayton Ives à New-York en 1915, 24 faux étaient proposés aux amateurs.


Buxton Forman décéda en 1917 sans avoir été découvert, mais Wise était encore vivant lorsque deux experts et libraires, Pollard et Carter, démontrèrent en 1934 dans leur ouvrage (An Enquiry into the Nature of Certain Nineteenth Century Pamphlets) que de nombreux ouvrages étaient faux, en utilisant notamment des analyses scientifiques mettant en évidence que les matériaux utilisés, notamment de la pulpe de bois, étaient postérieurs aux dates affichées sur les ouvrages... avant de découvrir l'imprimeur complice et de le confondre.




Naturellement, les bibliophiles étant ce qu'ils sont, les faux de Buxton Forman et Wise sont aujourd'hui très recherchés, parfois plus que les éditions originales qu'ils étaient supposés supplanter. Mission accomplie donc!

Pour l'anecdote et plus près de nous, la librairie américain Oak Knoll proposait dans son catalogue 273 quelques ouvrages autour de cette fraude à grande échelle: un pamphlet (lot 718) daté de 1875 dans lequel un propriétaire précédent, John Spoor avait ajouté que "moins de 6  copies étaient connues", que l'édition avait ensuite été détruites et qu'aucune copie n'avait été connue avant 1897. Et pour cause Buxton Forman et Wise publièrent le pamphlet daté de 1875 en... 1896. Spoor acheta en tout 50 contrefaçons des faussaires.

Autre curiosité, dans le même catalogue (lot 887), une annotation du libraire Rosenbach, qui affirme qu'il savait que Wise était un faussaire 15 ans avait que cela ne soit démontré, mais qu'il n'avait rien fait pour ne pas entacher la réputation d'un ami...

H

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