mardi 16 septembre 2008

Une vente menée de mains d'expert... et une énigme

Amis Bibliophiles Bonsoir,

Vous l'avez évoqué ces derniers jours, l'expert est également l'un des acteurs du marché de la Bibliophilie. Certains sont infiniment respectables et respectés, d'autres ont tout du mauvais cheval, les derniers sont carrément à éviter. Le plus souvent, voire toujours, ils sont également libraires, ce qui donne un curieux mélange des genres, voire un conflit d'intérêt évident... Combien de lots sont en effet acquis "expert pour" pendant les vacations, sans que l'on sache réellement où ils finissent par atterir?

Un bibliophile lecteur du blog vous propose ce soir le récit d'une vente très récente à laquelle il a assisté, et qui illustre bien ce mélange des genres. Il termine son récit par une énigme, saurez-vous la décrypter.

La scène se passe dans un hôtel des ventes de province lors d'une vente cataloguée (où le catalogue ne remporta, d'ailleurs, guère de succès). Plus intéressant, mais encore fallait-il être présent, était le "hors-catalogue". Passé voir l'exposition, un ouvrage avait attiré mon attention. Un folio 16ème , peu épais, dans une couverture qui était peut-être celle d'origine (un velin à encadrements et motifs de losanges) avec une spectaculaire planche de dédicace et un contenu... très intriguant. Je pris en note le nom de l'auteur et de l'ouvrage et fis quelques recherches sur Internet. L'ouvrage était très rare, lors de ses passages en vente il avait atteint des prix... spectaculaires. Aussi le jour de la vente je n'avais guère d'espoir.

Surprise, l'expert le mit en vente à un prix de départ de 100 euros en parlant d'un ouvrage "peu banal", "malheureusement incomplet". J'intervenais, à "haute et intelligible voix" comme il se doit lors d'une vente pour lui demander ce qu'il entendait par "incomplet" (l'ouvrage était bien complet). Visiblement surpris, il bredouilla qu'il "avait une déchirure à la page de titre". Exact, mais ce n'est tout de même pas la même chose.

Mise à prix dérisoire donc, je m'attendais à de nombreux enchérisseurs mais non. J'étais seul à enchérir avec un autre acheteur dont l'honnêteté m'oblige à dire qu'il était dans un état qui lui fit perdre toute mesure (l'abus d'apéritif...) car il n'a absolument pas la clientèle pour ce genre de livre. J'oublie l'expert qui lui-même enchérissait ("pour..." on ne sait qui comme toujours) et se désolait de voir le prix monter. Il montât finalement fort peu (une vérification serrée de mon compte en banque m'obligeait à m'arrêter à 500 euros) et l'heureux acquéreur (du fond de la salle) se retrouvât fort embêté lorsqu'il reçut le livre. Un peu hébété, se demandant ce qu'il allait bien pouvoir en faire, il quittait la salle lorsque l'expert quitta son poste pour le rattraper par la manche. Sans avoir été à leurs côtés (mais l'acheteur parlant très fort) la conversation fut très courte : l'expert proposait à l'acheteur de le tirer d'embarras en lui rachetant le livre au prix d'achat (plus les frais) . Trop heureux d'accepter, l'acheteur remit donc le livre à l'expert. Livre qui, donc, n'a même pas quitté l'étude.

Ce que je retire de cet épisode :
1) Si j'étais héritier d'une bibliothèque et que je n'étais pas bibliophile, je me soucierai diablement des conditions dans lesquelles seront vendus les livres de l'aïeul.
2) C'est moins l'attitude de l'expert (par ailleurs libraire...) qui m'a désarçonné (après tout le livre était peut-être arrivé tardivement) que celle de tous les libraires présents. Visiblement, j'avais été le seul à faire l'effort de me renseigner sur les livres en vente. La simple curiosité professionnelle aurait dû tous les amener à chercher en savoir plus...!
3) Si je garde le plaisir d'avoir pu feuilleter ce livre ce qui est un privilège compte-tenu de sa rareté (je vais y revenir), je continue à m'en vouloir de n'avoir pas "poussé" davantage quitte à manger des patates pendant des mois... Pour un peu je me serai écrié comme Indiana Jones face à l'archéologue français sans scrupules : "sa place est dans un musée!" (ou dans ma bibliothèque évidemment).

Alors de quel livre s'agit-il ?
Je ne résiste pas au plaisir de poser la question suivante aux champions que vous êtes...
- Je suis un ouvrage dont le privilège date de 1584 mais qui ne fût édité qu'en 1587
- Je n'ai connu que deux éditions en français
- Les deux sont rares.
- Ma planche dédicatoire est considérée comme un chez d'œuvre de la xylographie française
- Je suis entièrement gravé (ce qui explique probablement le décalage entre mon privilège et mon édition)
- On ne compte qu'une dizaine d'exemplaires en bibliothèques publiques et chez quelques collectionneurs fortunés
- Même composite j'atteins plus de 1000 euros en vente publique.
- Lors de mon dernier passage en vente publique complet (dans une reliure 19ème, quelques accrocs mais une provenance probable qui fera plaisir à Bertrand) j'ai atteint la somme de 22000 euros...
Alors je suis, je suis...?

H

16 commentaires:

  1. Tableaux accomplis de tous les arts libéraux, contenan brièvement et clairement par singulière méthode de doctrine, une générale et sommaire partition des dicts arts, amassez et reduicts en ordre... Par Christophe de Savigny.

    In-folio. EO de 1587. Exemplaire en parchemin blanc XIXe avec accrocs adjugé 22.000 euros chez Bergé à Paris en 2005.

    Les libraires qui ont assisté à la vente sont des ânes. Mais le monde est peuplé d'âne. Et j'en suis moi-même souvent un...

    Dommage que vous ayiez renoncé. Sans doute l'auriez-vous eu pour guère plus... à moins que...

    Avez-vous songé que l'acheteur du fond de la salle pouvait tout bonnement être un complice de l'expert-libraire ?? Pas joli tout ça.

    Amitiés, B.

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  2. Bon... et bien inutile pour les autres de chercher, puisque Bertrand a donné la réponse en commentaires.
    C'est néanmoins Martin qui a répondu le plus rapidement, par email.
    Bravo à eux.
    H

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  3. C'était les Tableaux accomplis ? Cette histoire est tout à fait extraordinaire. Une nouvelle énigme maintenant pour deviner le lieu de la vente ?

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  4. Je rentre à l'instant d'un dîner d'anciens du Lycée...Pas trop bu pour pouvoir dire qu'effectivement Bertrand a tout dit...sauf qu'il a omis (volontairement, car c'est un garçon bien élevé) de rappeler comment les experts en livres anciens étaient recrutés: ce qui donnerait toutes explications quant au déroulement de la vente.Pour l'adjudication ratée, c'est la faute au banquier !...Dommage quand même...l'occasion était rare e elle-même.

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  5. "rappeler comment les experts en livres anciens étaient recrutés"

    J'aimerais le savoir Jean-Paul...

    Amitiés, Bertrand

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  6. Deux manières :
    - soit par auto-proclamation (comme pour les agents immobiliers, aucun diplôme n'est nécessaire pour être expert en livres anciens)
    - soit par nomination sur dossier par la Cour d'Appel (ici, je sais de quoi il s'agit...du moins pour la Marne...mais je pense que c'est la même chose dans tout l'hexagone)

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  7. Que je vous rassure ou vous inquiète, pas d'acheteur masqué. Une extraordinaire démonstration d'incompétence et... un porte-feuilles trop maigre.
    Je m'en veux tous les jours...

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  8. cette histoire ne m'étonne guère. J'ai acheté mes plus beaux livres il y a 3 ans lors de la succession d'une vente dont "l'expert" n'avait mis en avant que les livres anciens quand parmi les livres les plus chers se trouvaient plusieurs livres de ma caisse, que j'ai achetée une bouchée de pain devant une bonne dizaine de libraires, qui se sont limités à la liste fournie.


    Plus récemment, c'est encore un lot que j'ai acheté devant plusieurs libraires qui n'avaient vu que le Ramuz sur Japon quand les autres livres étaient aussi intéressant. Je le sais pour en avoir discuté avec un des libraires présents qui était étonné.

    Ma (courte) expérience me montre que les les libraires sont souvent fainéants et se limitent aux listes et catalogues fournies. C'est peut-être là que, nous, bibliophiles, pouvons nous démarquer.

    Wall

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  9. Cher Wall,

    Ce n'est guère de la fainéantise mais veuillez comprendre que pour une vente à laquelle vous assistez à combien vont assister les libraires? 1 pour 10 ? 1 pour 20 ? Sans doute plus.

    En moyenne je reçois une petite dizaine de catalogues papier et internet...par jour (France et international)!
    Avec donc l'impossibilité physique d'être présent partout, et donc d'être très limité en temps et en énergie.

    Donc ce n'est pas être fainéant (juste moins curieux mais c'est sans doute pire) que de se contenter des listes, même si on fait encore de bonnes affaires dans les hors-catalogues et les cartons.
    A ce propos les experts mettent de plus en plus de "drouille" dans les cartons et les "chopins" (bonjour Hugues) se raréfient: cf les catalogues de vente où des lots autrefois en cartons sont listés (avec même des incomplets).

    J'aimerai également vous rappeler que les cartons ne présentent aucune garantie de retour. Parlez-en à mes collègues qui ont acheté les "cartons" de la dernière vente Béres pour des sommes astronomiques (jusqu'à 150.000€ au marteau) et qui ont eu la surprise d'y avoir des incomplets!
    Donc une perte financière si vous achetez des cartons avec des incomplets...
    D’où la moindre envie de se plonger dans les cartons…

    POUR LES LYONNAIS : vente non cataloguée demain 18/09 avec livres depuis le 16eme siècle…

    Pour Bertrand: l'acceptation en tant qu'expert en livres anciens (non affilié à un syndicats d'experts) se fait après 10 ans d'activités professionnelles...

    Cordialement,
    Vincent P.

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  10. "l'acceptation en tant qu'expert en livres anciens (non affilié à un syndicats d'experts) se fait après 10 ans d'activités professionnelles"

    Merci de la précision, je n'en savais rien, l'expertise pour au-truie ne m'intéressant guère.

    B.

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  11. Côté expert, c'est plus compliqué que vous l'indiquez...
    Il y a deux sortes d'experts :
    L'expert (lié à un syndicat)
    et l'expert juridique (lié à une cour d'appel : depuis quelques mois, il faut un diplôme d'expert juridique pour les nouveaux experts en livres !! le même diplôme que pour les assureurs ou que sais-je). Le recrutement est sensé se faire sérieusement (dossier etc..)
    Côté syndicat, rien à voir : pour le livre ancien il y a au moins 3 syndicats, marchant par cooptation. 2 seulement demande 10 ans d'activité, le troisième non.
    Par Cooptation, on entend un mixte entre évaluation des compétences et copinage, bien sûr
    être expert dans un syndicat ne veut pas dire grand chose en réalité... c'est plus histoire de faire sérieux... Ce qui n'empêche pas que ces "experts" sont pour la plupart assez compétents...

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  12. Pas compliqué du tout, cher "Anonyme" !
    Vous ne faites que répéter ce que j'ai dit : "expert lié à un syndicat" (=expert auto-proclamé, 10 ans ou autre d'exercice, ça ne garantit rien de plus ) et "expert lié une cour d'Appel" (= expert nommé sur dossier, sur des critères très aléatoires...).

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  13. Jean-Paul,

    Dans quel cas êtes vous amenés à officier en tant qu'expert judiciaire (je ne parle pas de la procédure - ordonnance de référé, etc mais de la cause) et dans quel cas êtes-vous amené à officier en tant qu'expert syndical ?

    Pour ce qui est de la rubrique de l'expert judiciaire, on trouvera l'expert du livre ancien dans la rubrique B 3-5 (antiquité-arts-bibliophilie-tableaux).

    Un expert judiciaire rodé aux procédures mais "hyperléger" en bibliophilie peut s'entourer d'un sapiteur compétent pour répondre aux missions données par le juge.

    Voila! Pas compliqué mais quand-même... :)
    Cordialement.Pierre

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  14. Non, pas compliqué...Je le suis pour un expert auprès de la cour d'appel..."l'expert de l'expert", comme disait un ami commissaire-priseur.

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  15. Sur le rôle de l'expert, un expert en livres qui suit le blog depuis quelque temps (sans le dire, le coquin! Sourire) m'a contacté et vous donnera son point de vue prochainement dans un article.
    Hugues

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