samedi 22 mai 2010

Portrait de relieure contemporaine: l'atelier Véronique Sala-Vidal

Amis Bibliophiles bonjour,

Je vous propose aujourd'hui de reprendre la série de portraits sur les professionnels du livre, après de nombreux libraires, voici le portrait de Véronique Sala-Vidal, relieure. C'est la première fois que le blog s'aventure ainsi sur les chemins de la reliure contemporaine mais j'ai trouvé cette conception et cette démarche artistiques très intéressantes et c'est déjà une raison suffisante pour vous faire découvrir cet univers en général méconnu des amateurs de livres anciens.
Bonjour Véronique, pourriez-vous nous parler de vous et de votre atelier?

Mon atelier a été crée le 1er avril (répertoire des métiers). D’abord situé à Meudon et Sèvres, il est désormais situé près du parc de la Vallée aux loups à Châtenay-Malabry (Voltaire y est né, Chateaubriand y a résidé…). Une ville à découvrir. En plus de mes activités de relieure, je propose également des formations à mon atelier depuis 1996.

Quelle est votre formation? 

Mes 1er pas en reliure datent de 1980 pendant mes études artistiques (Villa Arson de Nice). Elles avaient débutées en cours du soir aux « Arts A. » (Arts Appliqués) de Paris pendant mon cursus secondaire, j’avais choisi ma voie « artistique ». J’ai décidé de suivre mes études à l’Ecole d’art de Nice. C‘est André Malraux qui en reprenant le concept de formation du Bauhaus a souhaité ce projet de formation artistique à un niveau national et régional.

L'Ecole Nationale Supérieure d'Art de Nice fait partie des sept Ecoles nationales installées en région qui dépendent directement du Ministère de la Culture. Elle propose un cursus de cinq ans. Les étudiants y reçoivent une formation artistique, technique et théorique de haut niveau dont les orientations sont élaborées par les artistes et les intellectuels qui y enseignent.

Cette formation généraliste et à large vue répondait à mes attentes du moment, c’est à dire les nouvelles technologies et le multimédia naissant. Pendant cette période, je suivais l’atelier de reliure de l’école , sans avoir l’intention de pratiquer le métier de relieur dont j’ignorais, à ce moment, le potentiel artistique.

Depuis quand êtes vous passionnée par la reliure?

Cela c’est fait un peu à mon insu en suivant le fil, d’où entre autres, le motif de mon logo « la spirale ». C’est à l’atelier de Daniel Mercher et Henri Beggia (rue Visconti) que j’ai découvert la reliure dite à juste titre «d’art» et de haut niveau, qui ne s’apprend pas en école.
Par la suite, sur son conseil, j’ai suivi le module de formation technique de l’école Estienne en reliure et dorure. C’est ainsi que j’ai connu l’un des derniers spécialistes de la dorure, Alain Coutret.

Dans le même temps, étant très curieuse sur cette pratique artistique que je découvrais, j’ai pris connaissance « de tout ou presque » sur la reliure, sur le travail de quelques relieurs qui m’ont incités à poursuivre. Puis, j’ai souhaité travailler chez J. de Gonet, ce que j’ai fait, et j’ai suivi une année de cours avec S. Évrard.

La rencontre avec Carole Laporte doreur main, de ma génération, a été importante. Sa compréhension du projet du relieur et la qualité de son travail étant indispensable.

La reliure est-elle un art ?

La reliure dite « d’art », « de création », « à décor » couvre trop de choses disparates et inégales. Pour ma part je défends que la reliure l’est, pourtant le dire est suivi de peu d’effet. Le marché du livre est en partie entre les mains des libraires, mais quelle place accordent-ils aux acteurs principaux de la reliure contemporaine, c’est à dire ceux qui la font?
Des commandes de reliure de création par des bibliothèques publiques en région et en Ile-de-France, des collectionneurs, des artistes, m’incitent à le croire, voici un aperçu des commandes auxquelle j'ai pu répondre:

Les bibliothèques publiques :
- Lille, capitale européenne de la culture en 2004 pour un recueil de poème de Pierre Dhainaut avec des burins Nathalie Grall.
- Paris, la bibliothèque des Arts Décoratifs, à 7 relieurs en 2002.
- Versailles, pour un travail sur un ensemble de documents et d’autographes d’André Gide et Claude Aveline.
- Le Havre, pour des créations sur des manuscrits et tapuscrits de Raymond Queneau (Les ziaux et Bucolique).
- Dijon, pour une édition de la Treille muscate.
- Le concours national « Métier d’art en bibliothèque ». Ce projet menée sur six mois (initiative du Ministère de la Culture en partenariat avec la Fondation des banques CIC pour le livre), consistait en une équipe entre un conservateur, un relieur ou un restaurateur et a former un stagiaire. J’avais constitué l’équipe (la Bibliothèque du Havre, Cécile Huguet, stagiaire, actuellement en charge de l’atelier de restauration de la bibliothèque des Arts Décoratifs). Une valeureuse expérience de prise en compte du métier au niveau national, menée sur 6 mois et restée sans aucun équivalent à ce jour.

Des commandes de collectionneurs :
- Pour des dessins originaux de Mœbius, des bandes dessinées de collection. - Des éditions à tirages limités ; de Alfred Jarry avec gravure de Reinhoud, de Charles Juliet avec Dorny, par exemples.
- Des autographes de J-Louis Curtis, Jean-Paul Sartre (Carnet de 1924) etc.
- Des éditions originales ; de « Ubu roi », de « l’Album primo avrilesque » de Alphonse Allais, etc.

Des artistes qui me confient leurs tirages de têtes, leurs hors commerce :
Jacques Clauzel, Michel Sicard pour des livres pensés et faits en binôme avec Andrée Chedid, Michel Butor, Salah Stétié, Fernando Arrabal, Eugène Guillevic, Anne Salager, Irina Liebmann, Pierre Toreille, Pierre Alechinsky, entre autres.

Des collections publiques ou privées qui trouvent pertinent de confronter le livre d’artiste avec la reliure de création, si les éditeurs ne prennent pas en charge le coût de la reliure de création, eux le font par des acquisitions :
- Riom, reliure monumentale pour un livre d’artiste unique sur papier de Chine en rouleau de 7 mètres, calligraphié par Pierre Lafoucrière, etc.

Que ressentez-vous quand vous vous occupez d'un livre ? Comment travaillez-vous ?

Une responsabilité et un enjeu. Comment faire corps avec l’œuvre préexistante et autonome? Mais aussi faire plaisir tout simplement au client.

Dans mon travail de relieur je dois être en phase avec le contenu, quel que soit sa nature (littéraire, poétique, historique, scientifique, musical, visuel, graphique, etc.) d’où son importance. Que dit-il et comment, c’est le sens qui prime, pas de message ici, la personnalité de l’auteur est aussi importante, son approche de son époque, mais aussi la personnalité et les critères du collectionneur sont également intéressants.
J’utilise l’ordinateur comme un outil indispensable à mon métier. Ma démarche est l’épure, voir le minimalisme, non le jansénisme trop spécifique à une époque. La technique apporte sa part de la réponse, elle est là pour se faire oublier, non une fin en soi. D’où ma différentiation d’avec des styles « déjà vu », ce qui a été fait est-il encore à faire ?

La reliure et son contenu est une affaire de vases communicants. Je conçois la reliure comme une mise en scène du contenu qui doit mériter sa reliure. Chacun de mes décors est différent.

Au départ d’un projet de décor il y des idées écrites autant que dessinées. J’ai constitué un journal de bord sur papier et tout support faits d’écrits, d’anecdotes, de dessins, de collages, par nécessité et pour garder mes propres repères.

Faites vous uniquement de la reliure, ou également de la dorure et de la restauration? Avez-vous une période de prédilection? Restaurez vous les livres anciens?

Le relieur est restaurateur. Je remets en état, si nécessaire, les documents endommagés, avant de faire un décor. S’il le faut, j’ai recours à un sous-traitant pour les traitements de surfaces qui respectent des critères de pérennité et l’intégrité du document. Faire du décor représente un temps incompressible et nécessite un espace.

En revanche, je ne restaure pas les reliures.

Que vous préférez dans la reliure?

Trouver parmi mes idées « la bonne », la mettre en forme par le dessin ou l’ordinateur. Lire l’ouvrage sur lequel je travaille. L’usage de la couleur, essentielle et récurrente dans mon travail. La réaction des matériaux façonnés et ce que l’on peut en faire. Lorsque le décor est engagé définitivement et commence à prendre tournure.

Quelle serait la reliure de vos rêves, et vos matériaux favoris?

Je suis compréhensive avec ce qui est fait dans le talent, sans restriction de genre, et je ne sais ce que serait cette reliure. Quelques exemples néanmoins :

Des écrits autographes de personnalités qui ont en commun d’avoir dérangés et fait faire des avancées dans leur(s) spécialité(s), je ne peux en citer un plus qu’un autre - une édition contemporaine en tirage limité de « Through the looking glass» de L. Carroll, vu chez un libraire de Saint-Germain – des écrits ou éditions d’artistes des avant-gardes du XXe siècle - des originaux dessins ou textes de Henri Michaux – des autographes de Marguerite Duras, Jean-Marie Le Clézio de scientifiques (des astronomes en particuliers, comme Jean-Pierre Luminet parce qu’il aime le livre) – des coffrages pour des documents rarissimes comme des écrits tibetains de la religion Bon (d’avant le bouddhisme), plus proches de nous des manuscrits anciens - des incunables (.)

Avez-vous des matériaux favoris ?

La peau certes, celles qui ont des couleurs, les matériaux moins nobles, ordinaires détournés et retravaillés et tous ceux que je n’ai pas encore travaillés. Tout dépend en fait du contenu, du collectionneur qui fera confiance au relieur pour valoriser le bien en fonction de critères de sa collection.
Il y a au moins deux points de vue divergents sur le bien fondé d’associer le contemporain à l’ancien. La pertinence est justement dans la rencontre entre les époques comme c’est le cas en architecture.

Etes vous également bibliophile? Si oui, quels sont les livres qui vous intéressent et où achetez vous vos livres? Internet, salons, libraires?

J’ai toujours acheté des livres selon mes rencontres avec eux sans considération pour leur valeur marchande. C’est en pratiquant la reliure et en contact de libraires que j’ai pris en compte cet aspect du livre dit ancien. J’achète maintenant plutôt des livres d’artistes, lorsque je le peux. J’aimerais faire une collection sur le thème de la couleur.

Vous savez que les lecteurs du blog aiment les histoires, auriez-vous une anecdote à nous raconter concernant la reliure, ou autre chose qui touche à la bibliophilie?

Alors que j’étais étudiante, j’ai trouvé chez un revendeur de St Michel mon premier livre de bibliophilie, sans le savoir, «Peintures, gravures et dessins d’Alfred Jarry » une édition originale du Collège de pataphysique.

Evoquons pour finir les aspects pratiques... au cas où l'un des lecteurs du blog souhaitait vous confier un livre...
C'est assez simple, on peut venir me rendre visite à mon atelier sur rendez-vous et je me déplace en Ile-de-France dans un rayon de 10 à 15 klm autour de Paris. Il est indispensable que je vois le document, de préférence de visu ou par envoi de photographies (avec toutes mentions utiles, les mesures, le nombre, etc.). 
Pour chaque demande je fais un devis et j’indique un délai.

Vous êtes à Paris, ce qui n'est pas le cas de tous les lecteurs du blog, comment procédez-vous avec un client en général?

Le 1er contact se fait par téléphone ou par email, si la personne me connaît elle me fait remettre son bien (transporteur, colis postal, autre). Les personnes viennent me voir lorsqu’elles passent sur Paris

…Projets ?

Ils sont indispensables, ma priorité est mon travail de relieur. J’ai plusieurs projets dont la création d’un site. On trouve sur le web quelques liens sur mon travail et des évènements antérieurs.

Merci Véronique,

H

Atelier Sala-Vidal
Créateur - Relieur
01 82 00 69 08

3 commentaires:

  1. Certaines de vos reliures m'ont l'air très intéressantes. Si je passe près de Chatenay Malabry, je ferais bien un petit détour pour mieux voir.

    Juste une remarque sur l'art ou l'artisanat de la reliure. C'est le même débat quand dans bien d'autres domaines (peinture, sculpture, etc.). C'est d'abord de l'artisanat, et l'artisan est un artiste s'il crée, s'il apporte sa touche personnelle (et dans ce cas je fais passer l'artiste avant l'artisan). C'est-à-dire, l'oeil avertit peut reconnaître une touche personnelle, une spécificité. En tout cas, c'est comme ça que je le ressens (c'est le bon terme je crois, car c'est aussi une affaire de sensibilité)

    Wall, qui apprécie beaucoup les artistes relieurs.

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  2. Ferruccio Berdolen23 mai 2010 à 09:53

    Je voudrais demander à Véronique Sala-Vidal si aujourd'hui il est possible de vivre en exercent le travail de relieure et s'il existe encore une clientèle suffisamment vaste.

    Merci

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  3. Bravo, vous savez dompter les corps d'ouvrages, vous excellez dans votre discipline.

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