Amis Bibliophiles bonjour,
Je vous propose de découvrir aujourd'hui le portrait d'un jeune bibliophile lecteur du Blog, Yohann, qui a également le mérite de travailler à un projet destiné à faciliter nos vies de bibliophiles, et qui fera l'objet d'un "feuilleton" ici dans les mois qui viendront.
Bonjour Yohann, pourriez-vous nous parler un peu de vous et de votre bibliothèque?
Je suis ingénieur et ai travaillé pour quelques grands groupes industriels en France et à l’Etranger dans diverses fonctions de production et achats. Voici en quelques mots mon parcours de jeune bibliophile (jeune car je n’ai que 34 ans), mais issu d’une famille d’amateurs collectionnant des ouvrages depuis quatre générations.
Chaque génération a eu une spécialisation en rapport avec son travail : Médecine pour les deux premières, Architecture pour mon père. Mais, malheureusement, nous ne détenons pas ces ouvrages qui font rêver le lecteurs du blog.
Pour ma part, je suis en train de me fixer sur la littérature XVII, XVIII et les mémorialistes, mon évolution est relativement corrélée à l’évolution de mes moyens …
J’accompagnais à 16ans mon père au marche du livre parc Brassens, et mon premier achat consista en un petit dictionnaire Géographique du XVIII à 50 frcs, un mors fendu... Inaliénable comme la première pièce de 10 cts de l’Oncle Picsou.
Par la suite, toujours au parc Brassens, attiré quasi exclusivement par les ouvrages du siècle des lumières, je ne pouvais m’offrir que des séries dépareillées : Histoire de France de Velly, Histoire Ancienne de Rollin. A 18 ans, je commençais à avoir quelques séries uniformes (les histoires citées ci-dessus, quelques romans du XVIII dans de jolies reliures). Mais à 18 ans, être amateur de livres anciens, ce n’est pas cool, et c’est même strictement disqualifiant pour une histoire sentimentale.
Les études, les premières années de travail, l’arrivée des premiers enfants m’ont détourné pendant 10 ans de ma passion du livre.
Mon père continuait à compléter sa collection s’inspirant essentiellement de Millard. A partir de 2005 nous nous sommes mis à nous coordonner totalement dans nos achats en recherchant systématiquement la double validation avant toute acquisition d’envergure.
Où achetez vous vos livres.? Internet, salons, libraires?
Mon père achète encore en librairie et dans les salons auprès des libraires en qui il a confiance (qui ne s’amusent pas à monter contre lui en vente)
Pour ma part, et à une exception près cette année, je n’achète qu’en salle des ventes, mais c’est mon père qui me représente puisque je dois travailler pour financer cette passion.
La plus grande diffusion des référencements Internet nous a insensiblement amené à nous intéresser de plus en plus aux salles de ventes, et nous pouvions observer entre les années 90 et 2000 ce qui se produit généralement dans tout marché ou l’information se met a circuler: une relative stagnation des produits « moyen » mais une hausse considérable des prix de l’exceptionnel ou du très rare.
De manière anecdotique, j’invite les lecteurs à comparer le différentiel entre le prix des ouvrages les plus accessibles et les plus exceptionnels de la librairie Morgand Fatout (XIX). Le rapport maximal que j’ai pu observer est de 150. Aujourd’hui dans une même vente (de qualité tout de même) le rapport atteint souvent 1000, voire 3000/5000 lorsqu’il y a de beaux manuscrits médiévaux.
Lorsque vous comparez cela aux salaires des ingénieurs du XIX et d’aujourd’hui le constat est flagrant (au-delà des effets de mode) : le moyen est plussse accessible, le beau ne l’est plus.
[Cette petite digression, va m’amener plus tard à un sujet que je souhaiterai partager avec les lecteurs.]
Les collectionneurs chasseurs que nous sommes ont donc cherché à améliorer la qualité de la collection. Pour ma part j’ai éliminé sur ebay la quasi-totalité de ce que j’avais acquis durant l’adolescence pour suivre une ligne de conduite extrêmement simple
1 – je n’achète que des livres que je lis (comme beaucoup de bibliophile, je me suis rendu compte que je n’avais pas lu le quart des ouvrages que j’avais acheté)
2 – dans des reliures si possible impeccables.
3 - En littérature, Mémoires, ouvrages économiques, et un petit peu de Marine.
4 – de Préférence en maroquin.
Le gros défaut des livres à l’état neuf, c’est qu’ils sont souvent horriblement ennuyeux, ce qui rentre en conflit avec le point 1. Et lorsque les 4 aspects sont réunis, vous avez le choix entre l’ouvrage et la vente de votre appartement ;)
Ainsi donc, j’ai beaucoup moins de livres qu’à l’origine.
Mais parfois à l’occasion d’un vente de province, on peut tomber sur de belles occasions, j’ai acquis récemment ce petit Boileau 1722, invendu. L’auteur n’est plus étudié car ayant écrit sur une actualité passée.
Au Havre je trouvais récemment un exemplaire de l’administration des finances de Necker (2eme ed 1785) dont j’ai la certitude qu’il n’a jamais été lu en 230 ans (présence de crin aux nerfs, aucune plissures aux charnières avant que je ne les ai ouvertes). Etrange expérience, j’ai le sentiment de lire un message arrivant au destinataire avec 200 ans de retard, un peu comme si vous étiez à 100 années lumières de la Terre et qu’aujourd’hui vous perceviez les premières émissions grandes ondes de Marconi. D’ailleurs c’est l’effet que me font les ouvrages anciens : des portes sur le passé, sur une époque que j’étudie avec passion, de préférence à l’aide de documents anciens.
J’éprouve une réelle préférence pour les Ouvrages du XVIII, les cuirs et les décorations n’ont pas ce côté mécaniquement parfait du XIX ou XX, on y ressent le travail de l’artisan, et les imperfections en font l’âme ainsi que la quasi unicité de chaque reliure.
A mon avis la recherche Bibliophilique peut aussi être une forme d’expression de sa vanité. Aligner les plats aux armes des princes de France n’est ce pas chercher inconsciemment une forme de filiation entre ces personnage célèbres et ce que nous sommes ?
Alors on ose quelques petites folies, lorsque la compétition n’est pas trop dure en salle de vente. (Longuement négocié avec ma moitié ;-) ).
Henault 4eme ed, armes de la comtesse de Provence
Quel est le ou les livres qui vous font rêver? Et les livres que vous possédez déjà et qui vous sont particulièrement chers?
Ma dernière acquisition m’est toujours la plus chère. Sinon les ouvrages qui me font rêver sont souvent l’association d’une provenance et d’un thème. (ceci dit , je ne sais pas s’ils existent à chaque fois )
1- Le petit abrégé de Marine d’Ozanne en 50 gravures aux armes de Choiseul
2 – l’édition originale des contes Perrault ( mais ca j’ai laissé tombé quand j’ai vu qu’il n’y a plus que 3 exemplaires déclarés et que la seconde édition faisait environ 140k€ chez Christies !!)
3 – Les Fables de La Fontaine de Oudry dans une belle reliure.
4 – Le Molière avec les dessins de Boucher (je connaissais le propriétaire d’un exemplaire en Maroquin Rouge aux armes, et qui souhaitait le vendre suite à succession, et j’en ai crevé de dépit de ne pas être raisonnablement en capacité financière de l’acquérir directement).
5 – La dîme de Vauban aux armes de… La Vrillière, why not, ce serait une beau contraste ?
6 – L’édition de 1778 des Maximes de La RocheFoucauld en Beau Maroquin – et là n’hesitez pas à me contacter ;-)
En guise de conclusion...
J’observe auprès de mes amis, qu’avec l’age, ceux-ci sont de plus en plus disposés à apprécier les vieux ouvrages, aujourd’hui je me lance sur le temps libre avec 2 autres amis Ingénieurs et amateurs de livres dans la création d’un site Internet dont l’objet est de référencer toutes les ventes aux enchères de livres ainsi que tous les résultats de ventes de livres en France, le tout appuyé sur un moteur de recherche spécialement développé pour le livre (un outil analysant à la volée les catalogues .pdf et pouvant tout reclasser par auteur / édition / reliure / état / armoiries / EO etc...) une deuxième cercle nous soutiendrait auprès de plusieurs réseaux d'entrepreneurs et média web si nous parvenons à réaliser quelque chose de bien.
Je pense que l’occasion d’autres post me permettra de développer cet aspect, technique, juridique. (compliqué ca..)
Yohann
H
Super... Et bienvenue... Nous avons des choses à nous dire, et des projets en commun...
RépondreSupprimerUne entrevue intéressante et bien présentée. Merci Yohann d'avoir partagé votre passion, modérée par la raison!
RépondreSupprimerPierre Bouillon
Merci Yohann pour votre exposé très structuré. C'est rare d'avoir des idées aussi claires sur ses goûts bibliophiliques et sur une stratégie d'acquisition. J'ai tatonné plus longtemps avant de savoir ce que j'aimais vraiment.
RépondreSupprimerTextor
PS Je croyais que la 5ème ed du Henault était un seul tome in-4. En tous cas c'est comme cela que se présente le mien. Mais je m'embrouille peut-être... il est un peu tard.
Ravi de lire à nouveau des portraits de bibliophiles Hugues !
RépondreSupprimerun portrait un peu mécanique peut-être de Yohann ?
Léo
Bonjour Léo,
RépondreSupprimerYohann est ingénieur, il a les qualités de ses défauts, et vice et versa... :)
Hugues
Bienvenue au club, Yohann! "je n’achète que des livres que je lis": bravo. Il y a infiniment plus de satisfaction dans la lecture que dans la contemplation d'une reliure.
RépondreSupprimerBernard
Beau portrait d'un bibliophile exigeant et raisonnable.
RépondreSupprimerIl est évident que si l'argent du ménage n'était pas bêtement gaspillé en équipements électroménagers plus ou moins utiles (lave vaisselle à condensation rotative – robot aspirateur de poils de chien – micro onde à effet roentgen négatif – four à vitro induction multidirectionnelle) beaucoup de bibliophiles pourraient transformer quelques uns de leurs rêves en maroquins d'époque…
Je dois féliciter le père de Yohann pour l'avoir initié à l'amour des beaux livres sans l'avoir dégoûté de sa passion ;-)) Pierre
ah oui, bravo ! et merci de faire mentir l'équation études scientifiques = âne en littérature et autres axiomes de la même farine.
RépondreSupprimerBravo pour cet autoportrait!
RépondreSupprimerÇa manquait les portraits et pas besoin d'avoir une culture scientifique pour établir le rapport entre lecteurs assidus du blog et portraits...
On voit bien le cheminement (un brin désabusé?) : n'acheter que des ouvrages bien reliés vs. les ouvrages mythiques inaccessibles. J'avoue ne pas avoir fait totalement mon deuil des bouts de rêve. Soit: j'ai des ouvrages (pas tous) qui sont loin d'être parfaits mais que je ne ferai qu'entrevoir s'ils l'étaient...
C'est ça ou gagner au loto...
On a hâte de voir cet algorithme sur les résultats de vente à l'œuvre. Cela va compliquer la vie des experts, mais bon... D'ailleurs l'expert rentrera-t-il dans l'équation, ainsi que le lieu de vente?
Olivier
Avec un tel logiciel, il ne me resterait plus qu'à retourner à mes premières amours robotico-industrieuses!... Heureusement, il nous restera encore les bibliothèques en direct et les hors catalogues, sinon les négociations avec les clients deviendraient encore plus compliquées pour les libraires !...Une vente à laquelle j'ai assisté très récemment m'inspire un paramètre de pondération pour votre logiciel. Que faire des 80 % de livres qui ont été ravalés avec de prétendus adjudications à la table de l'expert ? Certains livres qui repassent dans la même salle pour la "x" ème fois, adjugés, à des valeurs bidons, différentes, sans jamais atteindre leur prix de réserve ? mais apparaissant en résultat ? Bon courage...C'est une belle idée, qui me fait un peu froid, ce doit être la neige! J'ai vécu la transition de la gestion industrielle technique et humaine, à la pure gestion financière et ai préféré quitter ce domaine ! J’espère que la bibliophilie ne se résumera pas à l'avenir à de beaux tableurs et quelques camemberts ! et la passion, et la poésie et le plaisir du livre inconnu...le livre qui est le plus précieux pour vous,"inaliénable" si je vous ai bien suivi est votre premier dictionnaire de géographie, voila qui me fait grand plaisir, ou serait il dans vos tableaux de valeurs... Bien cordialement et amicalement.
RépondreSupprimerDaniel B.
Je profite du message de Daniel pour demander des éclaircissements juridiques (non-anodins): 1) est-il vrai qu'un expert n'a pas le droit d'acheter pour son propre compte?; 2) est-il vrai qu'un objet non vendu à son prix de mise aux enchères peut-être acheté à ce prix auprès du commissaire priseur même après la vente?
RépondreSupprimerJ'ai la réponse à au moins deux de ces deux questions mais n'ayant fait que du droit public je voulais être sûr de ce que je sais ;-)
Olivier
Un début de réponse,
RépondreSupprimerC'est vrai dans l'usage et la plupart des experts respectent cette déontologie et n'achètent pas de livres lorsqu'ils sont en charge de l'expertise de la vente. Je ne sais pas si il y a une clause juridique ? Sur le deuxième point si en fin de vente et avant la clôture de la vente on demande de repasser un lot ou il n'y a pas eu d'enchère, c'est légale mais le lot doit être présenté à nouveau aux enchères. Si il n'est pas mis aux enchères,...je ne suis pas juriste mais je crois que cela devient du gré à gré et sort du cadre légal de la vente aux enchères. Il y a des bloggeurs plus qualifiés qui pourront nous certifier cela...
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RépondreSupprimerbonsoir Olivier,
RépondreSupprimerEn Espagne l'acheteur peut acheter un invendu à son prix de mise aux enchères et même éventuellement faire une offre inférieure à ce prix. Cela m'est arrivé parfois et je crois que c'est assez courant.
Francis