lundi 22 décembre 2014

Les dernières productions de Paul-Emile Colin

Amis Bibliophiles bonjour,
 
En 1928, Paul-Emile Colin a 61 ans. Cette année-là paraît son dernier livre illustré ; à son habitude il a utilisé le bois gravé. Il s’agit de « Marie-Claire », de Marguerite Audoux, paru chez Fayard dans la collection populaire « Le Livre de Demain ».
En fait il ne s’agit pas de son dernier livre ; l’année suivante paraît « Les Séductions Italiennes », de Clément-Janin ; mais ce dernier est illustré d’aquarelles, une exception dans la production de Colin, fervent défenseur du bois gravé.
Après ces deux publications, Paul-Emile Colin va arrêter sa production bibliophilique, qui n’était pas bien importante : en 20 années, de 1907, année de parution des « Philippe », de Jules Renard, chez Pelletan, jusqu’en 1928, seulement 23 livres témoigneront de son talent. Encore cet ensemble comprend-il 9 livres publiés par Crès, dans la collection « Les Maîtres du Livre », dont l’ornementation est souvent assez réduite : un frontispice, quelques bandeaux.
Cette retraite sera interrompue une première fois en 1937, pour la parution du livre collectif « en Lorraine par sentiers et venelles », chez Paul Even, à Metz. Cette année-là, Colin a soixante-dix ans ; la retraite semble définitive.
Et pourtant…
Pendant la guerre, Paul-Emile Colin met en chantier tout une série de publications. Pour cette entreprise il se lance seul ; il a l’expérience de l’édition, ayant déjà publié lui-même « Chez Paul-Emile Colin, au Bourg La Reine », ses deux albums in-folio sur la Grande Guerre : « Les Routes de la Grande Guerre », en 1917, et « L’Inde en France », en 1920.

Dion Chrysostome, « Le Chasseur », Paul Emile Colin, 1943.

Il commence cette nouvelle série par un texte de l’Antiquité : « Le Chasseur, ou histoire Eubéenne », de Dion Chrysostome. L’ouvrage paraît en 1943. C’est un in-8, illustré par 57 bois gravés. Il a été tiré à 117 exemplaires, sur papier de Voiron, vendus 1000 francs, plus 16 exemplaires de tête, sur Whatmann ou Japon, vendus 5000 et 6000 francs. 1000 francs de 1943, cela donnerait plus de 200 euros maintenant, une belle somme, sans parler du prix des exemplaires de tête…
Le tirage est complété par trois exemplaires d’artiste, dont le premier comporte la totalité des bois gravés. Cette série complète des bois gravés a ensuite été séparée, une partie se retrouvant dans l’exemplaire de l’épouse de Paul-Emile Colin, Thérèse, avec cette dédicace : « à ma Thérèse chérie, cette première édition de guerre, en consolation ».
 Dédicace de « Le Chasseur », de Paul Emile Colin à son épouse Thérèse.
L’examen des bois de cet exemplaire permet de voir le travail de Colin, qui a toujours été un graveur ; ce n’est pas de la gravure d’interprétation, mais bien de la gravure originale, défendue en son temps par Pelletan. Mais ici la gravure n’est pas faite sur bois de bout ; c’est une mince planchette de bois de fil.  Certains bois ont été teintés, en blanc ou en jaune, pour leur lisibilité.
Bois gravé pour le Chasseur,  coloré en jaune
Bois gravé pour le Chasseur, coloré en blanc
Toujours en 1943, Paul Colin poursuit ses projets en éditant les « Bucoliques », de Théocrite, qu’il illustre de 72 bois gravés. Le tirage est cette fois-ci de 120 exemplaires sur vélin de Voiron, toujours au prix de 1000 francs, auxquels il faut ajouter 30 exemplaires sur vélin d’Arches, avec une suite des huit hors texte sur « japon blanc vergé très ancien mince », vendus 2000 francs ; quatre exemplaires sur Whatmann, avec deux suites, au prix de 6000 francs, et un exemplaire pour l’auteur.
Théocrite, les Bucoliques, frontispice par Paul Emile Colin.
L’ouvrage suivant paraît après une interruption plus longue ; en 1945 Colin publie « Daphnis et Chloé », avec 41 gravures sur bois. Le tirage est légèrement différent : 120 exemplaires sur vélin de Voiron, 30 exemplaires avec un dessin et une suite sur japon des hors texte, 20 exemplaires avec un dessin, une suite sur japon des hors-texte et une suite de toutes les gravures, plus un exemplaire sur japon. Petite nouveauté, Colin ajoute 12 exemplaires de présent. Ces derniers exemplaires, sur vélin de Voiron, sont diversement enrichis (dessins, suites, bois gravés).
Bois gravé et tirage correspondant
L’année suivante paraît des extraits de « l’Odyssée », illustrés de 32 bois gravés. Le tirage est toujours de 171 exemplaires : 130 exemplaires sur vélin de Voiron, 40 exemplaires sur vélin d’Arches avec suites et dessin, un exemplaire sur japon, plus 15 exemplaires de présent.
Paul Emile Colin, dessin original pour la grotte de Calypso.
Homère, l’Odyssée, hors texte de la page 13 : la grotte de Calypso.
Cette même année 1946 paraît le volume suivant. Cette fois-ci Paul Emile Colin abandonne sa chère antiquité, qu’il a si bien illustrée les années précédentes. Le texte choisi est « Sylvie » de Gérard de Nerval. Ce volume sera suivi, en 1947, par « La Mare au Diable », de George Sand.  Le tirage sera toujours de 171 exemplaires (130 sur vélin de Voiron, 40 sur vélin d’Arches, un exemplaire de tête)  plus les exemplaires de présent. Ces deux textes ne sont certes pas des classiques de l’Antiquité ; mais on voit bien ce qui a pu justifier le choix de Paul-Emile Colin…
Frontispice de « Sylvie », de Gérard de Nerval, Paul Emile Colin, 1946.
« La Mare au Diable » est le dernier travail de Paul Emile Colin. Il a maintenant 80 ans, et mourra deux années plus tard dans sa maison de Bourg-la-Reine, au côté de son épouse Thérèse.
Dans toute cette partie de sa production, concentrée sur quelques années, Paul-Emile Colin a choisi des textes correspondant à ses thèmes favoris : la nature, le travail agricole, l’homme dans son environnement, en résumé, l’âge d’or. Le traitement est moins lyrique et moins théâtral que dans les grandes réalisations faites pour pelletan, ou pour ses deux albums in-folio ; c’est une contrainte du format choisi ici, un format in-8°. Dans cette série également, il met en scène nettement plus de personnages que dans ces réalisations des années 1910, dans lesquelles la nature était souvent vide. Ici il retrouve, à une échelle plus réduite, la verve montrée dans l’illustration des « Philippe », en 1907.
Calamar

vendredi 19 décembre 2014

Miscellannées Bibliophiles de Monsieur H.: la bibliophilie c'est pour les papys, quelques nouvelles d'Aristophil alias "tu vas avoir des problèmes toi", l'argent perdu de l'investisseur lorrain...

Amis Bibliophiles bonjour,
 
La bibliophilie, c'est pour les papys!
 
Noël approche, et même si certains libraires s'épanchent sur le fait que le livre ancien ne semble pas être un cadeau prisé cette année (ce qui ne me surprend pas), d'autres au contraire rivalisent de marketing direct à grand renforts de mailing.
 
C'est l'un de ces mailings qui m'a interpellé aujourd'hui, celui envoyé par la Librairie Le Feu Follet et qui a pour titre "Pas d'idée pour Papy? Mais si...".

 
 
Il faut reconnaître que le reste du mailing propose des cadeaux pour le reste de la famille, mais à l'heure où tout le monde s'inquiète de voir le nombre de bibliophiles vieillir, voire mourir, je me demande si c'est vraiment le bon message à envoyer. Est-ce qu'un "il n'y a pas d'âge pour aimer les livres anciens", n'aurait pas été mieux?
 
Quoi de neuf chez nos amis d'Aristophil? Hélas pas de bonnes nouvelles qui viendrait nous annoncer que ce remue-ménage juridique est infondé et que tous les investisseurs vont retrouver leurs billes.
 
Au contraire, un article inquiétant dans le Républicain Lorrain dans lequel un investisseur affirme que malgré ses tentatives il ne peut récupérer ses fonds et la plus-value "promise". Ce commerçant propriétaire en indivision de nombreux documents achetés par Aristophil et mis en vente via Art Courtage, dont les archives de De Gaulle réclamées et préemptées par l'Etat.
 
 
Interrogé par le journal, M. Lhéritier, qui n'est pas mis en examen et bénéficie toujours de la présomption d'innocence, affirme qu'il ne peut agir puisque tous ses comptes et autres actifs sont mis sous scellés, sauf que l'investisseur en question réclame depuis 6 mois auprès d'Aristophil, soit bien avant les perquisitions. Etrange. L'avocat de l'investisseur,  maître Alexandre Bouthier conclue que "tout ceci manque de transparence, et que le taux de rendement semble suspect". Il va saisir le Parquet de Paris. Pour ce client d'Aristophil, ce sont potentiellement 235 000 euros qui sont perdus. Espérons qu'il les retrouvera une fois les choses clarifiées.
 
Aristophil encore, actif sur les réseaux sociaux avec son groupe de soutien sur Facebook, Soutenons Aristophil, qui semble m'en vouloir, enfin j'imagine.
 
 
 
Je serais inquiet si la plupart des membres de ce groupe n'étaient pas des conseillers en patrimoine ayant vendu les produits d'Aristophil, et qui doivent être fort embarrassés lorsque leurs clients les interrogent, ou carrément des profils fantômes, comme Fabien Germain par exemple... fort actif pour soutenir Aristophil, mais qui est un faux profil.
 
Le plus inquiétant en fait, ce sont les innombrables fautes de français commises par ces amis des lettres sur leurs comptes Facebook et twitter, qui rendent leur logorrhée presque illisible, sans parler des références aux théories du complot, des médias manipulés, des journalistes véreux (c'est bien la première fois que Charlie Hebdo, Le Point, Boursorama, Libération ou UFC sont d'accord pourtant!), et, plus triste, des sorties comme celles ci-dessous, aux amalgames douteux. Mais je préfère vous laisser lire, j'ai peur de salir mes doigts en recopiant ces mots.
 
 
Vous pouvez suivre la page Facebook, mais je vous préviens, au niveau orthographe, ça pique les yeux. Cela me rappelle ces quelques lignes de Cyrano qui vont sans doute comme un gant aux zélateurs d'Aristophil sur Facebook, ce qui est cocasse quand on aime les Lettres et les Manuscrits, jusqu'à en faire un musée:
 
Si vous aviez un peu de lettres et d'esprit :
Mais d'esprit, ô le plus lamentable des êtres,
Vous n'en eûtes jamais un atome, et de lettres
Vous n'avez que les trois qui forment le mot : sot !
 
H

jeudi 18 décembre 2014

La bibliophilie, un investissement de père de famille.

Amis Bibliophiles bonsoir,
 
La négociation se poursuit, retrouvons nos époux, et le mari bibliophile, en pleine discussion
 
 
"- Mon tendre époux… Mon doux, mon tendre, mon merveilleux époux, j’ai une grande nouvelle à t’annoncer…
- Vous m’inquiétez.
- Ah, bon… Et si j’étais enceinte ?
- Vous n’y pensez pas ?
- Non je n’y pense pas… à moins de remonter aux vacances d’été.
- Je vous rappelle ma chère que l’été dernier, nous n’avons pas pu partir ensemble.
- Je sais ce que je dis.
- Que voulez-vous dire ?
- Qu’importe.
- Mais non, pas qu’importe.
- Perds cette habitude de toujours me contredire. Écoute plutôt.
- Je suis assis.
- J’ai gagné au loto.
- Nous avons gagné au loto ?
- Ecoute mieux : Je, Je-Je-Je - je ai - j’ai  gagné au Loto.
- Mais puisque nous faisons ticket commun.
- Oui monsieur, mais ce sont mes chiffres à moi qui ont gagné.
- C’est injuste.
- C’est la loi du nombre.
- Rappelez-vous nos promesses. Aujourd'hui plus qu'hier, moins que demain… et de toujours jouer l’un pour l’autre.
- Je ne savais pas ce qui m’attendait.
- Mais de quoi parlez-vous ?
- De gérer le pactole.
- Une bibliothèque digne de ce nom me suffirait.
- C’est bien ce que je craignais.
- Et que craignez-vous ? Nous sommes riches ma mie ! Riches ! Riches ! Riches ! Riiiiiiches !!! Enfin, le sommes-nous ?
- Oui, sans plus, Il s’agit de faire fructifier.
- Comptez sur moi, ma douce et tendre.
- Mais de quoi parles-tu ?
- De compter sur moi, ma sucrerie.
- De compter sur toi ?
- Mais comme toujours ma judicieuse. Et plus encore depuis l’instant précis ou mon savoir roule carrosse. Si je vous disais les occasions manquées à force de ne pas être riche... C’est ter-mi-né ! Entendez-vous ce joyeux trépidement ? C’est une gigue, mon entrechat ; ma connaissance qui gambille, une Visa Gold à chaque bras. Fini chopins et grasses révises ; si l’on achète aux enchères, ce sera à sec et contre moi !
- N’y compte pas.
- Je vous parle de livres, ma corne d’abondance, de livres et encore de livres ! Prenez mon cheval, gardez votre royaume, mais donnez-moi un livre. Car avec un seul livre, des royaumes, j’en bâtirai cent ; je vous en offrirai mille.
- Et moi Je te parle de bonifier nos avoirs...
- Justement mon Crésus, nous allons conjuguer l’avoir et le savoir. Avoir et Savoir  vous comprenez ? Nous allons thésauriser le génie humain ; humer ses encres, palper ses en-têtes, mirer ses filigranes et grâce à cette communion intime, l’inscrire à notre capital.
- D’assurer notre position sociale…
- Mais en danseuse qu’on va se le grimper, le Who’s Who ! Nous allons devenir des riches comme on en fait plus. Et nos terres à nous, ce seront des livres, des livres à perte de vue, jusqu’aux confins de l’horizon, jusqu’au delà de la courbure de la terre… et nos châteaux, des rayonnages s’élançant vers les étoiles. Ad Astra…
- Ad abruptum, vers les précipices.
- Mais non, ma montagne russe, rien ne coutera rien à personne. Ni à vous, ni à moi. Vous n’imaginez pas…
- Je n’imagine que trop.
- J’ai tout prévu. Deux bibliothèques, l’une finançant l’autre. Miscellanées de la collection M***. Un catalogue épais comme une muraille. Avec une préface, oui… une préface. D’un académicien, ce serait le moins. Imaginez…
- Non merci.
- Une stupéfiante culbute, ma bien-chanceuse ; l’ISF en triple saut tirebouchonné et vrillé. Je vais vous le surmultiplier votre Loto… Attendez-vous à des pluies de francs suisses, de roubles, de yuans. Ah oui, des averses de yuans entrecoupés de dollars de Hong-Kong. On va prendre l’argent dans les coffres de l’Empire céleste ; là ou il se trouve, là où ils n’arrivent plus à le compter. On va, je m’y engage, leur coller du Lamartine au prix du Qian-Long. On va les essorer, vous dis-je, les tondre, les plumer, les ratiboiser. Fini le Louis Vuitton, mon rouleau de printemps, on passe au Marius-Michel.
- Je m’attendais un peu à cela.
- Et moi, à pas moins de vous… Qu’avez-vous envisagé pour ma petite trésorerie ?
- Je l’ai doublée.
- Doublée ? Mais ce n’est rien !
- Ca me parait beaucoup au rythme ou tu entasses.
- Autant dire moins que rien.
- Tout de même ce n’est pas rien.
- Mais rien c’est comme zéro, on peut le doubler tant qu’on veut, ce sera toujours rien.
- Justement ce n’est pas tout.
- Une caisse noire ? Des fonds spéciaux ?
- Vu qu’après-tout, tu es mon mari…
- Le après-tout me sied très bien.
- … je suis condamnée à une certaine forme d’attachement, même quand il s’agit de tes livres.
- Je ne vous suis pas.
- J’ai investi dans tes rêves, mon ami. Imagine le plus grand cadeau que je puisse te faire…
- Ne vous dérangez pas pour moi.
- Et si tu me devais le fleuron de ta bibliothèque ?
- Ne me dites pas que vous avez acheté des livres.
- C’est pourtant ce que j’ai fait.
- Nom d’un chien !
- M’en crois-tu incapable ?
- ça doit être beau.
- D’ailleurs il ne s’agit pas de livres…
- Juste un seul ? Vous me rassurez. Apres tout, si on est riches, vous pouvez bien vous en payer un de temps à autre.
- … mais d’un rouleau, un bout de rouleau plus exactement.
- Un bout ? Mais qu’avez-vous fait du reste ?
- Un rouleau couvert d’une fine écriture …
- Les manuscrits de la mer morte… Vous ne les avez pas payés trop cher ?
- Quinze-pour-cent de nos gains
- C’est inouï, ils en sortent 10 par jour à Barbes… Et combien nous reste-t-il maintenant que nous sommes quinze-pour-cent plus pauvres ?
- 5 enveloppes.
- Mais de quoi parlez-vous à la fin ?
- Aux gagnants du premier rang, la Française Des Jeux offre plusieurs options. La première est de tout prendre d’un coup.
- et de partir sans demander son reste, ce que j’aurais fait en courant.
- Ou de n’en prendre qu’une partie et de bénéficier d’avantages spéciaux
- Mais bon sang, qu’est-ce qu’on a besoin d’avantages spéciaux ? On les a tous puisqu’on est riches !
- 5 enveloppes représentant chacune, quinze-pour-cent de nos gains.
Ils vous ont payé en liquide ? Surtout n’y touchez pas !
- Mais laisse-moi finir !
- Vous ne comprenez donc pas ? C’est de l’argent de ministre. Y’a rien de pire ! Dépensez-en 1 fifrelin et la brigade financière débarque dans l’instant. Vous voulez savoir à quoi il lui sert votre ticket gagnant, au ministre ? A faire des choix républicains. Démissionnerais-je…, démissionnerais-je pas ? Fini tout ça, il peut viser la présidence. Et vous savez comment il nous appelle ? Ses pigeons blanchisseurs qu’il nous appelle le ministre.
- Ne sois pas vulgaire
- Et quand vous serez fatiguée d’en tresser des guirlandes, il ne vous restera qu’à le bruler; même aux étrennes du facteur ça ne passera pas. Une tirelire pleine à ras-bord d’argent inutile, de l’argent qui ne sert rien… faut le faire ! Je me suis toujours demandé ce que voulait dire la chanson Riche et con à la fois… Ça me semblait contradictoire. Ben voila, maintenant je sais.
- Jeune et con à la fois…
- Pardon ?
- Je dis que dans la chanson de Brel, les paroles c’est jeune et non pas riche.
- Mais qu’est-ce qu’on en a à foutre, nom-de-dieu ?!?
- J’appelle ma mère !
- Allons, allons, ma bienveillante, ne me tourmentez pas plus que nécessaire. Je voulais juste attirer votre attention sur le fait que je n’y comprends rien.
- Le contraire m’aurait surpris.
- Qu’est-ce que c’est que ces enveloppes ? Et quid des 25% restant ?
- Au moins tu sais compter. Ils ont été mis à disposition sur un compte courant ; le mien en l’occurrence.
- Je croyais que mon agence était la plus proche.
- Tu n’es jamais content.
- Et ces enveloppes ?
- Des enveloppes à thème proposant un panel d’investissements diversifiés.
- Un panel ?
- Un panier.
- Je vois le genre.
- Il y en a une pour notre fils : Rayonnement technologique français.
- Français ? Vous rigolez ???
- Pas le moins du monde.
- Vous en avez fait l’acheteur historique d’une escadrille de Rafale.
- Tu me prends vraiment pour une cruche, j’ai choisi l’Airbus.
- C’est européen.
- Une pour notre fille.
- Je ne vous demande pas ce que c’est.
- Une pour moi.
- Ne me dites surtout rien.
- Une commune à chacun de nous. J’ai choisi une maison.
- Excellente idée, j’en connais une à visiter.
- Quand je dis j’ai choisi, je veux dire que c’est fait.
- je pensais avoir mon mot à dire.
- N’y pense plus.
- Mais vous m’avez prévu une bibliothèque ?
- Oui, une grande pièce.
- Une grande pièce, mais c’est tout petit.
- Ca suffira.
- Pas du tout !!! On va nous prendre pour des non-imposables. Il y a des convenances à respecter. Une grande pièce, ca fait pauvre.
- Justement c’est de convenances dont je te parle. Je veux que ma fille arrête de brandir ostensiblement sa tablette quand elle ramène des amies à la maison
- Elle m’a juré que c’était une liseuse.
- Et tu l’as crue ?
- C’est parfois surprenant comme elle vous imite.
- Écoute-moi bien… Je veux que la bibliothèque de cette maison soit un lieu ouvert, lumineux, aéré. Surtout a-é-ré... Je veux pouvoir la faire visiter autrement qu’avec un sourire d’excuse et en ouvrant toutes les fenêtres.
- Pas question d’y laisser entrer n’importe qui
- Je te parle de nos proches
- C’est bien ce que je dis.
- D’ailleurs ta bibliothèque sera bien plus grande que tu ne le crois
- J’aurais des annexes, une réserve… un enfer peut-être ?
- Tu seras dans les musées.
- Forcement puisque je suis riche. Et vous savez comment ca va se passer ? En beaux et bons livres qu’il m’offrira de payer, le fisc. Offrir : le mot est juste… Mes livres ! A leurs prix à eux ! Tous complices, mon aveuglée ; le conservateur, le percepteur, le douanier. Ils s’acoquinent dans des séminaires pour mieux me dépouiller, des synodes, des conclaves … Et les soirs de Sabbat, ils chevauchent des balais ensemble. La seule chose qu’ils me laisseront, ce sont les yeux pour pleurer.
- Tu échapperas à l’impôt.
- Et comment ? Il faudrait un miracle et le seul serait qu’ils m’oublient.
- Le miracle de l’enveloppe mauve.
- Mauve ?
- Celle qui t’est destinée : Rayonnement culturel français.
- Et la FDJ a trouvé à investir là-dedans ?
- Parfaitement
- Ah, ils sont trop forts ! Vous avez-vu leur dernier jeu consistant à piquer une figurine avec des épingles ?
- Non.
- Ca marche par paire. Par exemple si vous trouvez la même somme dans les yeux, vous gagnez. Mais ce n’est pas ce qui rapporte le plus.
- Ah oui ?
- Ne me dites pas qu’ils ont épongé mes quinze-pour-cent ?
- Je t’ai acheté la Joconde
- La Joconde ? Mais elle n’est pas à vendre !
- une Joconde pour bibliophile.
- Je serais curieux de voir ce que vous vous êtes laissée refiler.
- Tu te rappelles ces affiches dans le métro ?
- Vous voulez parler de l’expo sur le Marquis de Sade ? Je suis comme vous, je préfère ne pas y aller.
- Nous irons désormais ;  et plutôt deux fois qu’une.
- Sans moi, si vous voulez bien. D’ailleurs je crois qu'elle est bientôt terminée.
- Nous avons le temps, c’est nous les propriétaires.
- De l’expo ?
- Du rouleau.
- Encore ce rouleau ? C’est une obsession !
- Le rouleau qui était sur l’affiche.
- Le rouleau des 120 journées de Sodome ?
- Exactement.
- Vous vous êtes fait rouler.
- Penses-tu !
- Mais enfin c’est notre histoire, mon oublieuse, notre culture qui illumine la planète ; Malraux cité dans les pagodes, Hugo récité dans les izbas. Ca ne s’achète pas, ca ne se vend pas ! C’est à tout le monde, à vous, à moi, à eux, à chacun des enfants de France. C’est au peuple, ma carmagnole, ça nous appartient depuis toujours. Comprenez bien, vous n’en serez jamais plus propriétaire que vous ne l’êtes déjà.
- C’est pourtant à toi.
- Alors montrez-le-moi.
- Tu n’en détiens qu’une partie, douze-pour-cent exactement
- Mes quinze-pour cent sont dans ces douze-pour-cent ?
- Yes, sir !
- Et ces douze-pour-cent sont où ?
- Je te l’ai dit : dans un musée.
- Dans un musée ? Mais vous êtes complètement inconsciente ! Ils ne savent pas ce que c’est que l’argent dans un musée ; on leur interdit d’y toucher. Quand ils sont tout petits, on raconte aux conservateurs que l’argent c’est une bête féroce qui mange les mains des enfants. Vous voulez qu’ils fassent comment sans les mains, pour nous le polir le retour sur investissement ? Par la force du regard ? Même un ministre n’y arriverait pas.
- Au moins les musées sont honnêtes.
- Vous rêvez, mon abusée, Ils vont faire comme les manouches, garder la marchandise et l’argent. Les deux à la fois.  Vous savez en quoi ils vont les transformer nos quinze-pour cent ? En frais de fonctionnement ; on va leur payer l’EDF.
- C’est un musée privé.
- Une exploitation familiale ?
- Pas du tout. C’est un musée ayant pignon sur rue avec des bibliothécaires, des experts et un pool de conseillers financiers.
- Des conseillers financiers dans un musée ? Vous délirez.
- Si je te dis qu’il est consacré à ce que tu fais passer avant moi, je délire encore ?
- Mais enfin, mon absolue…
- Et du friendly, mon ami, du VIP bienveillant, long comme le bras. Entraine-toi à les appeler par leurs prénoms.
- Tout de même, qu’est-ce qu’ils vont en faire de mes quinze-pour-cent ?
- Huit-pour-cent par an
- Huit ? Ils se sont carrément foutus de votre gueule.
- Sur cinq ans.
- Vous me rassurez, dans cinq ans on se casse avec ce qu’ils auront bien voulu nous laisser. S’ils nous en ont laissé.
- On restera ! Modèle économique à l’appui.
- Mais quel foutu modèle économique peuvent-ils bien appliquer à des livres anciens ???
- Ne sois pas grossier."

A suivre…
 

lundi 15 décembre 2014

Renaud de Beaune ou laa quête des éphémères* en 1588-1589 (* éphémère: petite publication, autrement appelé occasionnel)

Amis Bibliophiles bonjour,
 
Le bénin lecteur connaît certainement l’archevêque de Bourges, Renaud de Beaune.
 
 
Armes de Renaud de Beaune qui a écartelé les armes de son père Guillaume et de sa mère Bonne Cotereau, écartelé au 1 et 4, de gueules à un chevron d’argent accompagné de 3 besants posés 2 et 1, au 2 et 3 d’argent à 3 lézards de sinople posés 2,1.
 
(Qu’on ne se méprenne pas, je ne viens pas ici faire de l’ombre à l’inestimable libraire de Tarascon qui s’emploie régulièrement, avec talent, à remettre à l’honneur des livres ou des auteurs édifiants et que je salue bien amicalement).
 Souvenez-vous :
Renaud de Beaune convainquit Henri IV que Paris vaut bien une messe (selon la légende) et reçut l’abjuration du roi à Saint-Denis le 25 juillet 1593.
 
Abjuration de Henri IV, évêque de Bourges en bas
 
Auparavant et depuis 1581, il était archevêque de Bourges. Doté, selon Pierre Bayle, d’une mémoire considérable et de grandes facultés d’éloquence, il nous a laissé nombre de plaquettes imprimées de ses discours aux éditions multiples : Oraison funèbre de la très-chrestienne , très illustre, très-constante, Marie royne d’Ecosse, morte pour la foy, le 18 febvrier, 1587 par la cruauté des Anglois heretiques, ennemys de Dieu”, 1588 ; Sermon funèbre prononcé aux obsèques de feu reverendissime et illustriss[ime] René Card. De Birague Chancellier de France le 6 décembre 1583. Paris, Gilles Beys ; Oraison funèbre faicte et prononcee....au service de Anne de Thou, femme de Philippe Hurault, vicomte de Cheverny 26 octobre 1584, Paris, Mamert Patisson, Oraison funèbre faicte aux obsèques de la Royne, mère du Roy, 1589, Pierre L'Huillier, Jamet Mettayer, ainsi que des ouvrages religieux : Decreta Concillii provincialis patriarchalis provinciae aquitanicae Biturigibus celebrati Mense, Anno Domini M.D. CXXXIIII” Paris Federicum Morellum 1586 ; Les C.L. Pseaumes de David latins & François, traduits par Mre Renaud de Beaune Archevesque de Bourges. Éditions 1587, 1595, 1612, 1613, 1639…
 

 
En 1588, aux États Généraux convoqués à Blois par le roi Henri III, il préside le clergé. Cette charge lui fait obligation de répondre au discours d’ouverture du roi.
La harangue faicte par le roy Henri troisième de France et de Pologne à l’ouverture des Trois Estats generaux de son royaume, en sa ville de Bloys, le seizième jour d’octobre 1588” à Paris, jouxte la copie imprimée par Philippe Morel, Jamet Mettayer & Pierre L’Huillier, 1588, in-12, 104 pages.
 
 
 
On trouve sous cette pagination avec une page de titre séparée les Actes de la seconde séance des Estats generaux de France tenus à Bloys le mardy 18 du mois d’octobre 1588 et la brève exhortation faite aux estats de ce royaume par monsieur l’archevêque de Bourges par commendement du Roy sur le serment solennel presté par sa majesté le mardi XVIIIe jour d’octobre à l’assemblée des estats. Et encore la Requeste prononcée par Monsieur de Bourges aux trois estats assemblés au chasteau de Blois le jour de Ste Catherine 25 novembre 1588 et enfin la brève requeste faicte au Roy par Monseigneur l’archevêque de Bourges.
L’éditeur nous explique en préambule qu’il livre au lecteur les discours avant la fin des États.
 
En effet, un discours désavoué par Renaud de Beaune et parfois attribué à Jean de Caumont était déjà paru, rapidement, pendant la tenue des Etats : La harangue et proposition faicte au Roy sur l’union de toute la noblesse Catholique de France présentée au Roy. Par Monsieur de Mande Archevesque de Bourges” André le Coq, 1588, in-12, 22 pages.
 
 
Renaud de Beaune avait été évêque de Mende en 1568. Ce texte paraît aussi chez Jehan Morin à Paris.
 
Le désaveu de cette pièce se trouve en avertissement de la Briefve Exhortation faicte aux Estats de ce royaume, par Monsieur l’Archevesque de Bourges, par commandement du Roy, sur le serment solennel presté par sa Majesté: & par luy requis de ses subietcts, pour l’entretenement de l’Edict d’Union, le mardi xviii d’octobre, 1588 après l’ouverture des Estats” A Lyon, Benoist Rigaud, sd [1588] in-12 14 pp.,
Ici en édition séparée.
 
Elle répond au discours du roi appelant à l’union des catholiques
 
 
Renaud de Beaune ne s’en tient pas là :
La harangue faicte par Monsieur l’Archevesque de Bourges, eslu & député par l’assemblée du Clergé vers le Roy, contenant la misère & calamité de son pauvre peuple. Prononcé à Blois devant sa Majesté, le vingt-cinquièsme Novembre, 1588.” à Troyes Jean Moreau, in-12 20 pp., L’édition collective ci-dessus porte un titre un peu différent (Requeste prononcée par Monsieur de Bourges…).
Ce texte se retrouve aussi sous le titre : La Harangue sur la diminution des tailles au soulagement du pauvre peuple, prononcée en l'assemblée des trois Estats, le 25 novembre 1588, par monsieur l'archevesque de Bourges 1588, Paris M. Jouïn.
 
 
 
Puis, en décembre : Première remontrance faicte au Roy par M l’Archevêque de Bourges , au nom des Estats, pour le soulagement & descharges du peuple, de ce qui est accreu des tailles & impositions depuis les derniers Estats de Bloys, le samedi III Décembre 1588, A Bloys pour Jamet Mettayer, P. L’Huillier, 17 pages
Ce discours porte aussi le titre de seconde requeste faicte au roi
 
Henri III fait assassiner le duc de Guise le 23 décembre et son frère le Cardinal le 24.
Sa mère, Catherine de Médicis meurt le 5 janvier 1589.
 
Assassinat du cardinal de Guise, Le martyre des deux frères, 1589.
 
Renaud de Beaune intervient encore une fois :
Déclamation ou harangue faicte aux Estats tenus à Bloys. Par Monsieur l’Archevesque de Bourges, Patriarche, Primat d’Aquitaine, Président en l’Estat Ecclesiastique ausdicts Etats, le dimanche XV jour de janvier 1589" A Lyon par Jean Pillehotte 1589, in-12 69 pp
 
 
 
Les États se clôturent le lendemain seize janvier 1589, dans un climat menaçant d’effervescence de la Ligue, sur un échec complet.
 
 
Que faut-il retenir de tout cela me direz-vous ? Sans doute l’édition de ces discours, petites plaquettes vite composées et de peu de pages, demandant peu de matériel typographique était- elle lucrative pour les imprimeurs et libraires (Mettayer, L’Huillier,...) attachés à la cours à Paris, Tours et Blois. À Lyon, à Troyes, à Paris d’autres imprimeurs s’emparent des opuscules de leurs confrères et multiplient les éditions.
 
Voici l’occasion pour le bibliophile de vérifier éditions et rééditions, plagiats et copies non autorisées, fausses attributions, impressions collectives et impressions partagées. Plus d’un motif pour explorer les bibliothèques, dépouiller les catalogues et consulter les bibliographies. Le rêve, non ?
 
Lauverjat