lundi 13 juillet 2015

La Société des Bibliophiles lyonnais, par Edouard Pelletan

Amis Bibliophiles bonsoir,

En 1884, M. Auguste Brun, libraire expert, et M. Laurent Gazagne, commissaire-priseur, vendaient, à Lyon, la bibliothèque de feu M.Joseph Renard.

M. Joseph Renard était un bibliophile dans la meilleure acception du terme : il aimait intelligemment les livres. Sa collection comprenait des ouvrages anciens, rares et curieux, et des livres concernant la province qu'il habitait. Deux ventes furent faites : celle des ouvrages généraux eut lieu à Paris, du 21 au 30 mars 1881, et fut un désastre. Une cabale de libraires, dit-on, détermina la vileté des prix. Joseph Renard, qui nourrissait pour sa bibliothèque sentiments non exempts d'illusions, reçut un coup terrible, — dont il se fit un devoir de mourir.

Mais une revanche posthume lui était due : il l'obtint. Les 1,360 numéros de la collection lyonnaise furent mis en vente, du 24 mars au 3 avril 1884, comme il est dit au commencement de cette étude. Cette fois, de fort honorables prix furent atteints, et la plaquette de Vital de Valons : Les origines des familles consulaires de Lyon, depuis rétablissement de la Commune jusqu'en 1790 (Lyon, 1863), fut adjugée à 181 francs.

Étude pour la figure d’Édouard Pelletan » par Henri Martin 
Cette enchère fit événement. Les Origines étaient un ouvrage d'autant plus précieux que, gênant plusieurs familles de la place Bellecour, dont il démontrait la récente noblesse — noblesse de cloche ou de robe — il avait été racheté par les intéressés et détruit. L'exemplaire de la vente Renard était un des rares survivants de ce massacre.

La mémoire du bibliophile sortait donc vengée par Lyon des déboires de Paris. Elle allait recevoir une autre satisfaction.

Des amateurs qui avaient suivi les vacations, plusieurs échangèrent des observations, des idées, se communiquèrent leurs réflexions : ne pourrait- on point réimprimer pour un petit groupe d'amis, certaines raretés, ou curiosités d'un prix exorbitant ! La pensée leur vint que puisqu'il y avait des bibliophiles à Lyon, — Lyon, ville d'imprimeurs célèbres et de constante notoriété bibliophilique, — rien ne s'opposait à ce que ces bibliophiles se constituassent en Compagnie.

Et ce fut là le premier germe de la Société des Bibliophiles lyonnais.


Tout d'abord on songea à réimprimer la plaquette de Vital de Valons, mais on y renonça pour des raisons que l'on devine. Néanmoins le groupement subsista.

Une réunion préparatoire eut lieu, chez M. Léon Galle, le 27 mars 1885. 

Etaient présents : MM. Léon Galle, Humbert de Terre-basse, Dr' Humbert Mollière, Bresson et Dissard. La Société fut définitivement constituée le 21 avril 1885, sous la présidence de M. H. de Terrebasse, M. Conil étant secrétaire et M. Léon Galle, trésorier-archiviste. 

Les statuts furent approuvés dans la séance du 15 mai suivant par douze membres fondateurs : MM. Léon Galle, H. de Terrebasse, Bresson, J. Baudrier, H. Mollière, abbé Conil, Joseph Nouvellet, Dissard, Morin-Pons, comte de Charpin-Feugerolles, R. de Cazenove, Morel de Voleine.

Depuis la fondation de la Société, M. Léon Galle a dirigé toutes les publications, en a été, en quelque sorte, le maître-ouvrier, comme il en avait été le conseil. C'est, en effet, sur ses, propositions que presque toutes les publications ont été décidées.

Il est à remarquer que les Bibliophiles lyonnais, — qui sont au nombre de vingt, — forment moins une réunion de simples amateurs, qu'une société savante. En même temps qu'ils manifestent un rare souci de la typographie, ils ont aussi celui de publier des textes inédits ou rares, intéressant la région. Plusieurs d'entre eux sont même des érudits auxquels on doit des ouvrages justement estimés. Ce caractère spécial méritait d'être souligné, car c'est celui que devraient poursuivre les sociétés parisiennes, l'érudition ne pouvant, en ces matières, que compléter et affiner le goût.

On pourra voir par la liste des ouvrages publiés, quel sérieux a présidé à leur choix; on se rendra compte, en les parcourant, de leur valeur d'exécution. Et l'on ne manquera pas de reconnaître la haute portée de l'effort, surtout si l'on considère la modicité des ressources et l'insuffisance des débouchés. On compterait les bibliophiles qui, en dehors de la région, ont acquis ces beaux livres, lesquels ne sont pourtant point indignes de voisiner avec les éditions de leurs confrères parisiens.

Mais Lyon est la province... Les publications des Bibliophiles lyonnais apportent un nouvel argument en faveur de l'idée décentralisatrice, et eu matière d'art surtout cette idée doit être immédiatement appuyée. Que les bibliophiles parisiens consentent à regarder au-delà des fortifications : ils constateront, d'abord, qu'ils ne sont pas toujours imités, ce qui réjouira leur indépendance, ensuite, qu'il existe une production provinciale du plus vif intérêt. Si, par surcroît, ils éprouvaient le besoin d'adjoindre à leurs livres quelques-uns de ceux qui auront vu le jour sur d'autres rives que celles de la Seine, il se pourrait qu'ils n'aient point fait une mauvaise spéculation et, ce qui nous touche davantage, ils  auront donné un exemple de solidarité, dont les conséquences seront des plus heureuses pour la bibliophilie.

Car il en est d'elle comme des moyens de transports : plus on les multiplie, plus s'accroît le nombre des voyageurs. Une société qui se fonde, de beaux livres qui se publient déterminent la vocation chez nombre de gens qui ne se la soupçonnaient pas. Et quelle joie plus grande pour un bibliophile que de créer des bibliophiles autour de lui.

STATUTS DE LA SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES LYONNAIS.

I
Il est établi, à Lyon, une réunion d'amis des livres, sous le nom de SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES LYONNAIS.

II
Le nombre des Membres composant la Société ne pourra
dépasser vingt.

III
La Société est administrée par un bureau composé de : un Président, un Secrétaire, un Trésorier-Archiviste, nommés tous les trois ans, à la majorité des suffrages des Membres votants, par la voie du scrutin secret. Ils sont réelligibles

IV
Chaque Membre a le droit de présenter des candidats aux places vacantes. Il sera procédé, en temps utile, à l'élection, par la voie du scrutin secret, au moyen d'un bulletin portant le nom du candidat et la mention oui ou non, mis sous enveloppe close.
Il sera permis de voter par correspondance, en adressant le bulletin sous enveloppe à un Membre de la Société. A l'appel de leur nom ou de celui de la personne qu'ils représentent, les Sociétaires déposeront le bulletin clos dans l'urne. Il sera procédé, séance tenante, par le Bureau, au dépouillement du scrutin et à la proclamation du résultat.
Nul candidat ne sera admis, s'il ne réunit les suffrages favorables des trois quarts des Membres composant la Société.
Le Secrétaire préviendra chaque Membre, par lettre, du jour de l'élection, en indiquant les noms des divers candidats.
Chaque Membre est astreint à une cotisation de 50 francs, payables entre les mains du Trésorier.

VI
On se réunira au domicile des Sociétaires, indifféremment.
Une Assemblée générale aura lieu au mois de février, chaque année.
Les séances ordinaires se tiendront, à des époques indéterminées, suivant les besoins de la Société et selon l'avis du Bureau.
La date, le lieu et l'objet seront indiqués dans une lettre de convocation adressée à chaque Membre.

VII
Le but de la Société est de publier les manuscrits et de réimprimer les livres rares intéressant la région.

VIII
L'initiative d'une publication peut être prise par la Société, par un de ses Membres, ou par une personne étrangère.
Si l'initiative est prise par la Société, elle choisira un éditeur ad hoc , chargé de préparer et de surveiller la publication; si elle est prise par un Membre, ou une personne étrangère, ces derniers seront, de plein droit, leur propre éditeur.

IX
Toute demande en autorisation de publier un ouvrage, sous le patronage de la Société, sera remise à un rapporteur choisi par elle.
Les conclusions de ce dernier entendues en séance, les Membres seront appelés à délibérer sur l'opportunité de la publication qui leur est présentée. L'autorisation de publier sera votée au scrutin secret et devra obtenir l'approbation des trois quarts des Membres votants,

X
Si la publication donne lieu à un travail personnel, l'auteur devra soumettre son manuscrit au rapporteur, qui produira , en séance, ses conclusions et ses observations. Les Membres présents voteront à la majorité, l'acceptation du travail, l'acceptation avec corrections, ou le refus.

XI
L'éditeur et le Trésorier, d'accord avec l'imprimeur, produiront en séance le devis des frais d'impression et divers, qui devront être adoptés à la majorité des Membres présents.

XII
L'éditeur devra surveiller l'impression et corriger les épreuves.
Le bon à tirer ne sera donné qu'avec l'approbation de la Société, ou d'un Membre délégué à cet effet.

XIII
Il sera tiré un nombre restreint d'exemplaires numérotés, ornés de la marque de la Société, apposée sur le titre ou toute autre place honorable et apparente. Chaque exemplaire portera le nom du Sociétaire auquel il est destiné.

XIV
Un exemplaire sera remis à chacun des membres, par les soins du Trésorier-Archiviste, qui devra se conformer à l'ordre établi par le tableau de roulement (art. X\ 11).
L'éditeur étranger aura droit à l'exemplaire dont le numéro suivra ceux attribués au\ Membres titulaires.
Les exemplaires ex-dono prendront la suite.
Il sera placé, dans la réserve, un certain nombre d'exemplaires qui pourront être acquis, par les Membres postérieurement élus, au prix fixé par la Société.
Le reste sera vendu, conformément au prix établi, au profit de la Société.

XV
L'éditeur et l'auteur auront le droit de faire tirer, à part et à leurs frais, un nombre d'exemplaires déterminé par la Société. Ces exemplaires ne porteront point la marque de la Société et ne seront point numérotés. Il est interdit de les mettre en vente.

XVI
Les bois, gravures, lettres ornées, copies, etc., établis aux frais de la Société, seront confiés aux soins du Trésorier-Archiviste, ils seront numérotés et catalogués sur un registre spécial indiquant leur nombre, prix, état et provenance. Ils pourront être prêtés à l'éditeur, sur son reçu et sous sa responsabilité. Ce dernier devra les retirer de l'imprimerie et les remettre en la garde du Trésorier-Archiviste, qui en donnera décharge.

XVII
Le Trésorier-Archiviste tiendra des registres où seront inscrits :
1° Les noms des Membres fondateurs, par ordre alphabétique;
2° Les noms des Membres élus, suivant l'ordre de réception;
3° Les adresses des Membres, tant h la ville qu'à la campagne;
4° Les titres et numéros des exemplaires délivrés à chaque
Membre, de façon à établir un roulement équitable pour la distribution des exemplaires numérotés;
5° Les titres et numéros des exemplaires délivrés aux libraires;
6° Les titres et numéros des exemplaires délivrés ex dono ;
7° Les titres et numéros des exemplaires mis à la réserve;
8° Le nombre des exemplaires tirés, leur prix de revient, leur prix de vente;
9° Les procès-verbaux des séances, rédigés par le Secrétaire.

XVIll
Le Trésorier-Archiviste établira, chaque année, le bilan de la Société, qui devra être approuvé par l'Assemblée générale.

XIX
En cas de dissolution de la Société, l'actif cl le passif seront également partagés entre les Membres.

XX
Le Bureau pourra provoquer la radiation d'un Membre de la Société. Elle sera votée en séance au scrutin secret, à la majorité des votants. Le vote par correspondance est autorisé.

XXI

Le décès, la démission et la radiation de l'un des Membres de la Société, comporteront l'extinction de tout droit et prérogative. 

Edouard Pelletan
in Almanach du Bibliophile

1 commentaire:

  1. L'almanach ! une mine ! (principalement sur Pelletan et ses éditions, certes, mais tout de même...) on y trouve un recensement de toutes (?) les sociétés de bibliophiles de l'époque, entre autres choses.

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