jeudi 9 juillet 2015

Les anti-relieurs, les non-relieurs et autres profanateurs de reliures sous la Révolution

Amis Bibliophiles bonsoir,

Louvet de Couvray, l'auteur des "Amours du Chevalier de Faublas", fils d'un papetier, et plus tard membre de la Convention, écrivait dès le mois de décembre à la "Chronique de Paris" pour demander que l'on convertît en dons pratiques "ces gros almanachs royaux, reliés en maroquin rouge avec le l'or anti-patriotique sur tous les bouts".

Temps troublés que ceux de la Révolution ou d'aucuns rivalisent de sentiments patriotiques, poussant l'amour de la Patrie aux confins de la bêtise. Quel bibliophile n'a pas croisé un ouvrage défiguré à cette époque? Le plus souvent, il s'agissait d'effacer les traces de l'Ancien Régime, en grattant les armes, mais dans certains cas, des tentatives furent également lancées pour récupérer l'or des reliures. Avec le recul, cela prête à sourire, et on s'interroge sur la rentabilité d'une telle opération. Il est plus probable que les instigateurs de cette méthode cherchaient plus à se légitimer par tous les moyens auprès des nouveaux maîtres.



Il y eu même des relieurs qui "ne rougirent pas de solliciter, comme une faveur, d'être employés à une telle besogne". Un certain Jolivet se vantait ainsi dans sa lettre d’être non-relieur, (ne serait-ce pas Honoré-François Jollivet qui, en 1781, avait succédé à Pierre-Antoine Lesclapart comme "marchand relieur-papetier-colleur et en meubles privilégié suivant la Cour"?), et offrit à la Convention d’enlever l’or des armoiries sur les volumes de la Bibliothèque Nationale, moyennant deux sols par volume. 

Un autre, Antoine Durand, maître depuis l’année 1765, qui avait eu les titres de Relieur des livres de la Bibliothèque du Roi et de Relieur du Clergé de France, écrivit aux « Citoyens de la Commission des Arts » nommée dans son sein par la Conventions la lettre suivante exhumée tout récemment :

« Citoyens, Comme il est question de chercher les moyens de faire disparaître tous les titres de la féodalité et qu’il s’en trouve un grand nombre à la Bibliothèque Nationale, le citoyen Durand, relieur de cette Bibliothèque depuis 28 ans, connoît parfaitement tout ce qui dépend de son art. Il a sçu dans les temps apposer des armes sur les livres. Il sçaura dans ce moment les enlever sans dégrader les ouvrages précieux renfermés dans ce célèbre monument.

Le citoyen Durand a déjà son atelier à la Bibliothèque... Il est tout prêt d’exécuter les ordres qu’on lui donnera et il est très jaloux de servir la République dans cette partie, étant attaché de père en fils depuis quatre-vingts ans comme relieur pour cette Bibliothèque. - Les citoyens gardes de la Bibliothèque Nationale peuvent attester que le citoyen Durand a la capacité et les connoissances de son état pour conserver les livres les plus précieux à la nation par la manière et les procédés qu’il se propose d’employer.

Il présente un essai qu’il prie d'examiner."

Mais la plus curieuse de ces propositions émane d’un doreur nommé Pierre Baz, et - proh pudor ! - d’un membre de l’illustre famille des Padeloup. Cette lettre, publiée pour la première fois par Léon Gruel, lui avait été communiquée aussi par Germain Bapst.

« Législateur,

Le citoyen Padeloup et le Citoyen Bazin, désirant être utile à la République, ont trouvé le moyen d'auter l’or de dessus le maroquin dont envoisie les échantillons. Comme la Bibliothèque national est imense par le nombre des livres, il propose un projet d’économie que serat plus de moitier, cette à dire 25 feuilles content actuellement que 41.l0 s., à l’époque de 1775 ses 25 feuilles ne contait que 2 l; si la Convention veut nous faire avoir l’or au même prix qu’en 1775, nous choisiront des batteurs d’or qui nous le fourniront aux prix de l’année 1775.- Comme nous avons différents frais, tant que pour otté l’or que poure l’huille,- les bland doeuf, le charbon et différente affaire relatif à l'état, nous proposons d’ entreprendre cette ouvrage à raison de 15 1. par jour.
Padeloup, relieur,
Rue de Cluny 599, Place Beaurepaire.
Pierre Bazin, doreur,
Rue des Cosse Saint-Hilaire, 5 (d’Ecosse) »

Et oui, on peut avoir le nez dans les livres sans être très fort en orthographe... 


Cette hideuse émulation abouti à l’arrêté de l’an II, portant défense, d’un côté de faire tirer des armoiries et des fleurs de lys dorénavant sur les reliures et cartonnages, et, de l’autre côté, de détruire les insignes des livres anciens.

C'était la fin des non-relieurs, ou des anti-relieurs de la période révolutionnaire.

H

1 commentaire:

  1. heureusement que cette histoire farfelue a été arrêtée assez rapidement !
    merci Hugues.

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