Amis Bibliophiles bonjour,
La parole est à Ugo...
"Je n'ai jamais vu une rentrée aussi triste. Drouot sans les commissionnaires, Venise sans les gondoliers...J'ai mis longtemps à y croire, d'autant que les décisions ont été prises au dernier moment, la semaine précédente. Mais voilà, ce mercredi, il faut regarder les choses en face. La page est tournée. Plus de cols rouges, plus de savoyards. Fini les Vidocq, Larate, Flash, Titine, Babou, Loulou, Château, ces surnoms transmis d'un ancien à son bis; fini les 23, 48, 54, 70, 94, ces 110 numéros brodés à l'or sur fond garance, ces vestes noires au boutons de cuivre frappés de l'antienne « au service des commissaires-priseurs ». Fini ces parlers Allobroges auxquels on ne comprend plus grand chose passé une certaine heure et un certain nombre de verres.
Je repense à Fanfan, à un an de la retraite; 40 ans de maison; je ne le reverrai plus. La soixantaine sonnée mais toujours une force de la nature. Un géant débonnaire gentil, chaleureux, toujours heureux de vivre. Je l'avais demandé pour la vente du 30 juillet; travail impeccable, lui comme les 2 autres de son équipe. Tout le monde avait assuré; l'étude, les Savoyards, le CP et même l'expert... Le Redouté avait fait son score; 30000 de plus que l'estimation haute; merci pour moi. Fanfan nous avait ramené du saucisson et de la tome qu'il produit lui-même sur son aubrac lointain (en fait c'est peut-être un adret, mais je ne suis pas fortiche en langues étrangères). Le CP et l'expert s'étaient fendu de leur Veuve Cliquot. Du coup on avait saucissonné au champagne dans le magasin de la salle 11. Le reste de l'étude nous avait rejoint. Un petit air de fête; ça se récompense ce genre de choses. Des moments que Drouot - l'ancien Drouot - était seul capable de donner.
Des technocrates dans leur bocal peuvent pondre tous les rapports du monde. Recrutement opaque, corporatisme d'un autre siècle... Beh oui, un commissionnaire commence à 07H30 du mat et termine à 21H30. Un gazier qui s'appuie ses 50 heures par semaine, ses 10 heures par jour et qui n'a absolument aucune idée de ce que peut signifier l'expression « heures supplémentaires » ça ne se recrute pas chez Manpower. Alors oui, ce genre de travailleur, faut aller le chercher en Haute-Maurienne, en Tarentaise septentrionale, en Beaufortain méridional, en Vallée de Chamonix, Chamo pour les intimes. Château, le 23, il vient de Passy-Plaine-Joux à ne pas confondre avec Passy-Plaine , ni avec Joux; faut suivre.
De fait, le Savoyard, ce sont ses pairs qui le cooptent. C'est à dire que l'ancien sur le départ propose un jeune, un pays à lui, auquel il revendra sa part dans l'association. On lui colle une veste sans col pendant 6 mois et on lui fait jouer l'écureuil dans sa cage tournante. Il en bave des ronds de chapeau, le petit jeune sans numéro; normal, il doit faire ses preuves. On ne lui reconnaît qu'une qualité, celle d'être le bis de son ancien. A lui de montrer qu'il est capable de le remplacer. Pas de place pour les bras cassés, les commandos-basket et les fumeurs d'herbe de perlinpinpin. Vient le jour du vote; ça passe ou ça casse, voté ou non. S'il est voté, il ne lui reste plus qu'à aller voir la BNP, qui à Drouot est dans ses murs, pour négocier un crédit. Crédit qui permettra de racheter la part de son ancien dont il héritera au passage du numéro et du surnom. Il en ressortira endetté jusqu'au cou mais riche d'une participation à un système mutualiste forgé par 150 ans d'histoire. Co-propriètaire du garde-meuble de Bagnolet, des camions verts lignés de rouge, du matériel estampillé UCHV et co-destinataire de petits billets glissés par des marchands reconnaissants de l'effort fourni. Ceci sur fond de mal de dos à répétition, de caprices de commissaires-priseurs stressés du compte en banque et de cuites mémorables pour faire passer. De fait il devient -devenait- l'agent actif d'une institution mille fois plus vivante que toutes celles qui existent de par le monde.
Le Figaro peut annoncer que Drouot est en baisse, Art-price pommader les enchères asiatiques, le buffet de la Biennale bruisser de considérations savantes sur l'avenir. Drouot est un lieu unique; le déversoir de ce marché qui est le grenier du monde; le marché Français de l'antiquité. Et jusqu'au jour d'aujourd'hui, et depuis un siècle et demi, la cheville ouvrière de ce lieu magique se recrutait en Savoie.
Le plus triste, c'est qu'ils sont nombreux à être encore là les (ex) commissionnaires. Ils trainent autour de Drouot. Comme les soldats d'une armée défaite aux vareuses dépouillées d'insignes et de grades, ils ont toujours leurs vestes noires, mais ils en ont décousu les cols. Attendant je ne sais quoi, peut-être un enlèvement « en ville », le bureau des transports fonctionne encore. Bien sur on les salue, mais ils en ont marre de cette commisération qu'on leur témoigne. Ils sont sonnés, KO, c'est visible. Trois pommes pourries et on jette tout le panier. 110 mecs au tapis. Les derniers d'une histoire qui faisait rêver dans les hautes montagne. Ils méritaient mieux. Pour le moins une certaine fidélité de la part de l'institution, un minimum de soutien; parce qu'ils les ont servis et bien servis ces commissaires-priseurs qui n'ont pas levé le petit doigt pour eux. La justice suit son cours parait-il. Suivez et suivez bien ma chère, vous avez une sacrée pelote à dérouler.
Allez, la page est tournée.
Désormais le bleu Chenue remplace le noir UCHV. Pour le Redouté, les Savoyards avaient sorti cravates et gants blancs. Là, on a des mecs en polo, qu'on ne verra jamais passer du Glassex sur les vitrines avant l'ouverture des salles, tout simplement parce que ce n'est pas inscrit dans leur contrat de travail. Faudra faire avec, on verra bien.
Pour moi, la chose est claire. Les Chenue Boy's ont jusqu'en décembre pour se former, parce qu'en décembre je vais vraiment avoir besoin d'eux : «succession Garnier, Garnier-frères et à divers». La correspondance du premier des anarchistes Pierre-Joseph Proudhon avec les frères Garnier ses principaux éditeurs, 90 LAS écrites de prison ou d'exil. Le Buffon en 12 volumes des Garnier, le plus beau du 19°, accompagné, cela va de soi, des dessins originaux de Traviès. Les contrats d'édition de Lamartine, Sainte-Beuve et compagnie.
Aussi, la bibliothèque d'Auguste-Pierre Garnier leur neveu et successeur. Un biblio... (je vous laisse le soin de la terminaison : phile, mane, phage ?) qui ne concevait pas un livre autrement qu'habillé de maroquin signé. Je ne me suis jamais autant servi du Flety (Dictionnaire des relieurs de 1800 à nos jours), Simier, Marius-Michel, Cretté, Canape, Aussourd, Blanchetierre, Hardy, Klein, Champs, Lortic, &c... que du beau linge.
Et coté divers, l'incunable évoqué ici avant les vacances. Un album amicorum – musicae- avec une cinquantaine de signatures accompagnant autant de portées de musique autographes dont Stravinski, Ravel, Klemperer, Saint-Saens, Gounod, Massenet and others, excusez du peu.
Beaucoup de plaisir en perspective... Mais nous aurons l'occasion d'en reparler."
Merci Ugo,
H
20 commentaires:
est-ce que Drouot avait vraiment le choix ? ils auraient pu choisir la nouvelle société fondée par les commissionnaires non mis en cause, mais on peut imaginer les réactions...
Drouot : Un monde que je ne connais pas et qui m'intimide car il appartient à des initiés. Et vous dites que les juges vont avoir une sacrée pelote à dérouler...
Le monde change. Drouot saura-t-il s'adapter ? Pierre
En ma qualité de Savoyard, sans col rouge, mais qui compte encore fréquenter Drouot, je vous dois une petite rectification: l'Aubrac n'a jamais été en Savoie.... L'adret et l'ubac, oui, sans doute ! :)
Textor
Honte à moi ! C'est bien ubac que je voulais dire ! Puisque je ne sais pas sur quel versant de sa montagne, adret ou ubac, Fanfan transforme ses cochons en saucisson.
Cher Pierre.
C'est le jeu d'infâmes marchands dans mon genre de vous faire croire cela; alors ne vous laissez surtout pas intimider.
Bonsoir, très bel article, Merci de voir un peu de réconfort pour nous les savoyards! même si je ne suis pas cols rouge, mais juste le fils du dénommé fanfan.
Encore Merci
Vous me touchez beaucoup. Toutes mes amitiés à Fanfan et salut à vous. Ugo
Bonsoir Ugo Merci de remettre les choses a leur place en parlant des savoyards et de leur travail pour les CP depuis tant d'annees.Ces garçons dont le courage est inegalable ne comptant pas leurs heures au detriment parfois de leur vie de famille mais pour le bon fonctionnement d'un metier qui est pour eux une passion.Amities Anne so
Bonjour et un énorme merci pour cette page de vérité! Car oui il faut leur reconnaitre tous ces mérites et bien d'autres. Il est plus facile de les arroser de crasses que de mérite pour tous les services rendus maintes et maintes fois aux commissaires priseurs et tous les autres d'ailleurs! J'apprécie votre expression des pommes pourries car oui on ne détruit pas 150 ans d'histoire et un système unique pour quelques trognons !! Drouot n'est plus ce que nous avons connu et au nom de tous ces cols rouges détruits et endettes jusqu'au cou ainsi que toutes les femmes et famille je voudrai dire merci et leur assurée qu'un jour leur honneur sera défendu! Bravo! Aujourd'hui plus que jamais les savoyards ont besoin de gens du milieu comme vous pour les soutenir et afin que jamais personne n'oubli qui ils étaient vraiment. La Femme du 6
merci Ugo, enfin une voix humaine dans cette jungle !! merci de reconnaitre les qualités un peu vite oubliées de ces gars qui ont donné une grande partie de leur vie à l'"institution" dont ils étaient fiers et comme vous le dites si bien ce n'est pas parcequ'il y a un ver dans la pomme ou plutôt dans le saucisson qu'il faut vider la cave; un peu de discernement , messieurs les décideurs, s'il vous plait;quant à moi je leur dis ma confiance et leur souhaite courage(mais ça je sais qu'il en ont)
Même si je ne suis que le frère d'un col rouge (qui se reconnaitra s'il lit ce post), je ne peux constater qu'un gachis et un bien triste anniversaire, ou certains auront bien du mal à s'en remettre! pourquoi tous à la même enseigne?
je suis le fils d un ancien ,j ai habité a bagnolet et de voir cette famille mourire me rend triste courage aux jeunes qui reste sur le tapis
Merci pour cet article qui m'a fait venir les larmes aux yeux, enfin une personne qui ne dénigre pas nos savoyards, ils ont bien du mal à s'habituer à leurs nouuveaux horaires, combien de temps vont ils mettre pour se dire qu'ils n'existent plus en temps que Commissionnaires "les cols rouges". Une vie de 20 ans qui se brise, 10 mois de pleurs, de rages et de desespoir que j'ai subit avec mon savoyard.Merci encore de tout mon coeur CARINE
Un grand merci pour votre magnifique article qui non content d'être écrit avec brio, leur rend au moins un peu hommage. Je ne suis ni fille, ni femme de commissionnaire, mais je connais bien Drouot et ses rouages. Oui on les jette aujourd'hui en pâture aux lions après les avoir souvent traités comme des chiens. Mes enfants ont aujourd'hui dépassé l'âge que j'avais quand je suis arrivée par hasard à Drouot. Ils travaillent dans des magasins, où certes les articles à 1 € sont listés et bipés, mais le directeur est présent sur le terrain, arrive et part le dernier. Quel honorable commissaire priseur peut en dire autant de son entreprise ? Depuis plus de trois décennies j'entends les mêmes histoires, tout le monde était au courant, mais personne n'a jamais rien dit ! Pourquoi ? Les CP étaient-ils aveugles, muets, pas assez courageux ou vigilants ou coupables des mêmes maux ? Je m'étonne d'autre part de ne jamais avoir lu dans la montagne d'articles de presse parus depuis décembre dernier une seule ligne sur les revenus (déclarés ou non)ou le niveau de vie des autres intervenants de la profession : les clercs, les crieurs....et les commissaires-priseurs eux-mêmes ?
Courage aux collets rouges et leurs familles, et que la Justice détricote la pelote......mais alors jusqu'au dernier brin de laine.
Bonjour c'est en pleur que j'ecris ce message.C'est avec beaucoup de mal que j'ai rangé les vestes de mon mari(impossible de les jeter!!) Esperant tant qu'on les redemande. Je n'ai pas le plaisir de vous connaitre mais je tenais à vous remercier pour votre courage et votre gentillesse. Bonne chance a à tous les collègues et leur famille de mon mari. Catherine femme du 34
Bonjour, bravo pour votre article mais permettez moi de ne pas être du tout d'accord. Après le couplet poétique et plein de nostalgie sur la tome de chèvre partagée en commun, il serait bon d'aller plus loin, au fond des choses, et de voir l'enrichissement frauduleux de ces commissionaires, le laisser aller général fruit de la permissivité de la direction de Drouot qui a accepté, toléré, et peut-être même encouragé cette corruption, les vols commis pendant des dizaines d'années, les stocks collectés durant des années fruit de leurs petites rapines, les 700 000 euros que certains pouvaient "se faire" à l'année, la morgue avec laquelle certains d'entre-eux pouvaient traiter le petit brocanteur ou le client moyen de Drouot, autant de choses qui n'étaient pas tolérables dans une démocratie moderne. Ils n'assuraient aucun service de proximité, pouvaient parfois casser les objets lorsqu'ils devaient être manutentionnés, se comportaient en seigneur sans le moindre égard pour qui que ce soit. Il était temps de mettre un bon coup de pied dans la fourmilière et de mettre un terme à ses abus constatés. Je ne me fais aucune illusion sur ceux qui les ont remplacés, mais je me dis que cela ne pourra pas aller plus mal. Cette compagnie poussiéreuse, fruit d'un autre temps, vivant sur des avantages d'un autre temps, s'est elle-même tirée une balle dans le pied... Le seul regret que j'ai c'est pour les commmissionaires qui étaient réellement "honnêtes" mais d'après ce que j'ai pu lire dans la presse nationale, il n'y en avait pas beaucoup...Alors...Alors l'histoire s'est achevée.
bravo néanmoins pour votre blog....
Un amoureux de Drouot.
Cette tribune exprime l'avis d'Ugo, un invité du blog, qui fait part de sa vision de l'affaire.
Ce n'est pas ma vision, pas tout à fait.
Hugues
et maintenant, 2 années plus tard, est-ce que les choses ont changé ? (c'est une vraie question, je ne fréquente pas du tout Drouot...)
Je cite -->les 700 000 euros que certains pouvaient "se faire" à l'année <--
Monsieur, si les commissionnaires détournaient de tels montants pouvez-vous m'expliquer la raison pour laquelle certains travaillaient depuis plusieurs années,
avec maux de dos, horaires disproportionnés et j'en passe...
Je vous rappel cependant un chiffre concret!
Plus de 300 employés pour remplacer 110 Savoyards.
Les chiffres parlent d'eux même... Arrêtons 2mn de prendre encore une fois les commissionnaires pour des lampistes...
La justice a ruiné 110 vies de famille, de travailleurs hors pair...
Je remercie tout particulièrement Ugo pour cet article,
qui doit toucher chacun de ces 110 familles.
Je trouve cette phrase étonnante et révélatrice "la justice a ruiné 110 vie de famille" soit, si la richesse de ces vies de famille était en grande partie liée au vol ce n'est que justice...certains col rouge se prenaient sans doute pour des robins des bois, en volant aux riches pour redistribuer à leurs familles plus pauvre. Cet article ancien sans polémique semble intéressant, le comble c'est que les cols rouges revendaient où ? à Drouot, ils ont peut être payés chers en rapport aux Commissaires priseurs peu regardant. http://www.lejournaldesarts.fr/jda/archives/docs_article/81238/tout-sur-l-affaire-des---cols-rouges---.php
Enregistrer un commentaire