Amis Bibliophiles bonjour,
Dans un catalogue de bibliothèque, la mention « ex-libris du Comte de Caumont » peut apparaître, comme par exemple ici :
Rien que de classique, l’ouvrage a semble-t-il appartenu à une bibliothèque de château, peut-être bien d’un membre de la famille bien connue de Caumont-La Force, illustre maison s’il en est, peut-être un cousin d’un duc de la Force.
Et pourtant cet ex-libris est assez étonnant :
Etiquette de Caumont, sur Boileau, Oeuvres, 1789.
Il ressemble assez à l’étiquette d’un relieur, avec son adresse : Numéro 1 Frith Street, Soho Square.
En fait, ce Comte de Caumont est un faux ami : ce n’est pas le propriétaire de l’ouvrage, mais bien son relieur.
Auguste-Marie de Caumont, né à Aumale le 29 octobre 1743, est issu de la petite noblesse de cette province, et n’a aucun rapport avec l’illustre famille homonyme (ni d’ailleurs avec la famille d’où sera issu Arcisse de Caumont). Son père est militaire ; il suivra cette voie, assez difficile pour qui n’est pas fortuné : une aide de Louis XV pour soutenir son rang de capitaine viendra la faciliter.
Il suivra une carrière plus brillante que celle de son père, et la Révolution le trouve « Lieutenant de roi » pour le château et la ville de Dieppe. Assez peu favorable aux nouvelles idées, il émigre en 1791, et arrive en 1796 à Londres.
Il faut trouver des ressources ; les métiers possibles sont larges, et Mr de Caumont choisit de s’établir relieur ; aidé en cela sans doute par une pratique amateur précédente ; et aussi par le parrainage du vicomte Fitzwilliam, qui lui commandera de nombreux travaux.
Il s’établit tout d’abord au 3 Poland Street (et non Portland Street comme on le lit parfois), de 1797 à 1800, puis au 39 Gerrard Street de 1800 à 1803, puis enfin au 1 Frith Street, jusqu’en 1814. Toutes ces adresses sont situées dans le quartier de Soho.
Son atelier est assez important : il emploiera jusqu’à cinq ouvriers, certains très qualifiés, et notamment deux relieurs connus, L. Cordeval, et Christian Kalthoeber (de 1807 à 1814), sous-traitant à l’occasion à Herring.
De ce fait, il est probable qu’il n’ait pas relié lui-même la plupart les ouvrages qu’on lui confiait… certains doutent même qu’il en ait relié un seul. Quoi qu’il en soit, son atelier était réputé, et le Comte de Caumont (qui tenait à ce titre, comme on le voit à son étiquette) avait su se créer une clientèle parmi la noblesse britannique.
Les émigrés français lui confient également des livres, comme par exemple Cléry, qui lui fait relier 150 exemplaires de son Journal, destinés à être offerts aux souverains d’Europe.
L’abbé Delille, émigré à Londres, lui fait relier les Jardins ; le Comte de Caumont réalise sans doute une reliure un peu trop riche par rapport à la commande, et lui réclame 24 francs, que Delille est bien en peine de payer.
Du coup il place ces vers dans son poème La Pitié, qu’il lit à Caumont :
Que dis-je ? ce poème, où je peins vos misères,
Doit le jour à des mains noblement mercenaires ;
De son vêtement d’or un Caumont l’embellit,
Et de son luxe heureux mon art s’enorgueillit.
Caumont, alors, prend l’ouvrage, le relie somptueusement, et ne fait payer aucune des deux reliures.
L’anecdote est révélatrice, même si elle n’est pas forcément exacte. Toujours est-il que Caumont a effectivement relié les Jardins à de nombreuses reprises.
Fig 3. recueil de poésies et de portraits, vers 1800, in4, maroquin –
Vente Sothebys le 12 juin 2012 - Cummins
On retrouve ses reliures dans de nombreuses bibliothèques aristocratiques, et maintenant dans les grandes bibliothèques publiques, même si elles ne sont pas toujours identifiées.
Fig 4. Légende : Andreossi, Mémoires sur le lac Menzaleh et sur la vallée des lacs de Natron, Paris, exemplaire de George III, maroquin.
La plupart du temps sa marque se présente sous forme d’une étiquette de couleur (rose, rose foncé, jaune, vert, ou blanc), plus rarement d’une inscription au dos du volume. Mais de nombreuses reliures, notées dans son livre de compte et clairement identifiées, ne sont pas signées.
Fig 5. Virgile, Bucoliques, Didot, 1806, maroquin beige,
doublures de maroquin noir, Bodleian Library, Oxford.
Il n’a apparemment pas de style particulièrement reconnaissable ; travaillant le veau, le maroquin ou le vélin, produisant des reliures simples, jusqu’aux plus luxueuses.
Fig 6. Lady Sophia Burrelle, Poems, London 1793, vélin crème, British Library.
Le plus souvent les plats sont décorés, d’encadrements de frises ou de filets dorés. Les dos présentent des nerfs peu marqués, soulignés de filets ; les caissons sont très ornés. Sur certaines reliures on reconnaît une rosace, emblématique de Kalthoeber.
Fig 7. Boileau, Oeuvres, Didot l’Aîné, 1789, détail d’un caisson.
Ses reliures se retrouvent dans de nombreuses collections publiques britanniques, à commencer par la Fitzwilliam Library, à Cambridge (plus de 150 références !), à la British Library bien sûr, à la Boddleian Library. Quelques-unes sont conservées en France, à la BNF notamment.
Le 21 avril 1814 il accompagne le Comte de Provence qui rentre en France. Il sera récompensé de sa fidélité par de nombreux témoignages : promu lieutenant-général, et grand-croix de l’ordre de Saint-Louis. Il se retirera peu après dans son château du Bois Clieu à Derchigny où il mourra en 1839, à l’âge de 90 ans.
Fig 8. Château de Bois Clieu à Derchigny.
Calamar