Amis Bibliophiles bonjour,
Comme je l'avait écrit il y a longtemps sur le fronton du blog, la lecture des catalogues est l'un des plaisirs les plus doux de la bibliophilie. C'est toujours un moment très apaisant, où l'on découvre des ouvrages dont on ne soupçonnait pas l'existence et où l'on croise parfois des livres exceptionnels ou uniques en leur genre.
Le catalogue de la vente Bremens-Belleville qui se tiendra à Lyon le 26 janvier propose justement un lot assez exceptionnel puisqu'on pourrait quasiment le qualifier de relique (selon le dictionnaire "restes du corps, ou objet personnel, d'un martyr ou d'un saint"), le lot 46, dont la provenance, excusez du peu, remonte à Saint François de Sales. Un Saint donc, un vrai de vrai. C'est l'expérience bibliophilique que vous pouvez vivre pour une dizaine de milliers d'euros, poser vos mains sur les siennes, ou presque. Mystique. Mythique.
Mais qui est donc ce Saint? François de Sales (1567–1622) est né au château de Sales près de Thorens-Glières (ville du duché de Savoie ; et aujourd’hui commune du département de Haute-Savoie). Issu d’une famille noble, il choisit le chemin de la foi en consacrant sa vie à Dieu, il renonça à tous ses titres de noblesse. Il devint l'un des théologiens les plus considérés au sein du christianisme. Ce grand prêcheur accéda au siège d’évêque de Genève et il fonda l’ordre religieux de la Visitation. Il exerça une influence marquante au sein de l'Église catholique mais également envers les détenteurs du pouvoir temporel que furent, entre autres, ses souverains, les ducs Charles-Emmanuel Ier et Victor-Amédée Ier de Savoie et les rois Henri IV et Louis XIII de France.
Homme d’écriture, il laissa une somme importante d’ouvrages, témoignage de sa vision de la vie. Il est considéré par l’Église catholique comme étant le saint patron des journalistes et des écrivains, et cela en raison de son usage précoce du progrès que constituait l’avènement de l'imprimerie. Ses publications imprimées comptent parmi les tout premiers journaux catholiques au monde.
Auteur, il était également lecteur et il a très probablement lu cet ouvrage, un traité de la noblesse, sujet qui devait forcément lui parler. Pour peu qu'il l'ait lu pendant son adolescence, cela pourrait presque expliquer une partie de sa vocation et de son renoncement à la noblesse.
La fiche est assez précise et détaillée:
4 6- TIRAQUEAU, André. De nobilitate, et iure primigeniorum. Lyon, Guillaume Rouillé, 1573.
In-folio, vélin rigide, dos à nerfs (reliure de l’époque)
Baudrier, IX, 343 ; Sybille von Gültlingen, X, 785.
Troisième édition, corrigée et augmentée.
Ouvrage orné d’un beau titre architectural gravé sur bois ; portrait de l’auteur au verso.
Ce traité de la noblesse est l’un des principaux ouvrages d’André Tiraqueau, en latin Andreas Tiraquellus (1488-1558), juriste et humaniste vendéen qui fréquenta, au Cénacle de Fontenay-le-Comte, Guillaume Budé, Pierre Lamy et surtout Rabelais – le Tiers livre est en grande partie inspiré de son De legibus.
Tiraqueau contribua à réorganiser les institutions juridiques françaises, à la frontière du droit commun et du droit coutumier. Théodore de Bèze, qui admirait son esprit et son savoir, le surnomma «le Varron de son siècle».
Dans une note manuscrite en latin – quatre lignes à l’encre brune tracées au-dessus de l’encadrement du titre gravé – un sieur Bouard nous apprend que l’exemplaire, provenant de la bibliothèque personnelle de l’auteur de l’Introduction à la vie dévote, lui a été offert par le frère de François de Sales, JeanFrançois (1578-1635), qui succéda à son aîné sur le siège épiscopal de Genève. Sous la signature de Bouard se trouve celle de l’un de ses héritiers, Hyacinthe Bouard ou Bovard, avocat à Annecy au début du XVIIIe siècle.
Un traité juridique de la noblesse et du droit d’aînesse trouvait tout naturellement sa place sur les tablettes de l’étudiant François de Sales, jeune aristocrate savoyard que son père destinait à la magistrature et qui, vers 1578, «montait» à Paris pour y étudier les «exercices de la noblesse» : rhétorique, latin, grec, hébreu, philosophie, théologie. On connaît la suite : la passion pour la théologie, le trouble causé par le débat sur les doctrines de la grâce et la prédestination, la crise mystique. C’est encore pour plaire à son père que François part étudier le droit – et la théologie – à Padoue, où il obtient en 1592 le doctorat des mains de son maître, le célèbre Guido Panciroli. L’année suivante, il est ordonné prêtre et renonce à son droit d’aînesse. La carrière juridique rêvée par Monsieur de Boisy n’est plus qu’un souvenir.
Autres provenances : Chevrey, chanoine à Chambéry, avec note manuscrite à l’encre sur une garde : «Outre la matière dont il traite et le nom de son auteur, ce livre est remarquable, surtout par ce qu’il a appartenu au grand St François de Sales, comme l’atteste l’inscription ci-contre. Il m’est agréable de le faire passer en propriété à la Bibliothèque déjà si précieuse des RR. PP. Capucins de cette ville. Chambéry 1er Mars 1842». – Bibliothèque des capucins de Chambéry (étiquette imprimée sur les premiers contre plats et deux cachets au bas du titre). – La note manuscrite en latin mentionnant deux autres ouvrages de Tiraqueau (quatre lignes à l’encre noire sur le premier contre plat) est peut-être aussi de la main de saint François de Sales.
Coins émoussés, mors supérieur fendu en tête ; quelques taches sans gravité. 8000/12000
Rare pour ne pas dire unique, j'irai peut-être le regarder d'un peu plus près à l'exposition pour vérifier si y une simple apposition de mes mains sur l'ouvrage peut au choix, soit me guérir de quelques maux, soit ressouder son mors. Dans ce dernier cas, je serai alors en bonne voie de rejoindre Sainte Wiborade, la Sainte patronne des bibliophiles.
H
PS: sinon, moi je craque pour ça, pas vous?
12 commentaires:
la marque de collection de cette très belle gravure est celle de Joseph-Guillaume Camberlyn (1783-1861), La Haye. Ventes en 1865 et 1867. Marque L514
Ouh la, les trois liens ebay ont donné un sacré coup de booster aux trois lots....
Benoît
Une petite réflexion sur les experts, incompétents ou malhonnêtes?
Si vous avez la Gazette de l'hotel Drouot de ce jour, 7 janvier 2012, vous pourrez y voir un tableau estimé 1500 euros, annoncé XIXe dans le gout XVe avec repeints, considéré comme bon par les enchérisseurs, vendu plus de 300.000 euros. Et un autre estimé 3000, même cas, mais vendu seulement 65000.
On s'éloigne de la bibliophilie mais:
- avez vous déjà vu ça dans les livres?
- malhonnêteté de l'expert qui fait racheter par quelqu'un? (ca s'est déjà, et plus d'une fois)
- incompétence?
J'ai déjà vu ça avec une notice d'un livre XVIe, vélin annoncé XIXe orné de décorations à l'encre dans le gout XVIe. Je ne l'ai pas regardé à l'expo, il était XVIe, un ami marchand me l'a signalé et a failli l'acheter. Pour le coup, c'était de l'incompétence.
Moi aussi je craquais (au passé !) pour la gravure signalée de Bruegel...
Maudit Hugues, qui l'a signalée, lui donnant ainsi encore plus de publicité... ! Et donc d'enchérisseurs ;-)
Benoît P.
Idem pour moi concernant mon ouvrage qui n'était pas signalé et qui l'est maintenant.
En ce qui concerne les experts et les prix réalisés, je pense qu'il y a deux situations:
1. la première où l'expert sous-estime le lot pour attirer le chaland. Phénomène assez fréquent, pour ne pas dire systématique, dans le domaine du livre.
2. la seconde, où l'expert, étant humain, peut aussi faire des erreurs, d'appréciation... et tout aussi fréquemment, des erreurs dans ses descriptions.
J'ai ainsi acheté il y a 1 mois dans une vente un lot de 20 ouvrages in-4 d'Octave Uzanne pour une somme dérisoire, parce qu'ils étaient listés sous le nom d'un autre auteur!
Hugues
Cher anonyme,
Oui j'ai déjà vu quelque chose de ce genre, un livre comportant une page enluminée fort ancienne donnée comme "moderne", mais on est jamais seul sur ces bévues là et le prix s'est envolé.
Aux raisons que vous donnez il faut peut-être ajouter la prudence de l'expert et son absence de prise de risques, si, au final l'objet n'est pas "bon".
Dans le même numéro de la Gazette, pour la vente du jeudi 22 décembre, quelles qualités extraordinaires cachait donc cet exemplaire de la huitième édition originale de La Bruyère, "les caractères de Théophraste traduit du grec..." Paris, Michallet, 1694, contenant pour la première fois le discours de réception à l'Académie, in-12 en reliure d'époque en maroquin rouge et premier tirage (seules qualités évidentes), estimé 800/1000 et adjugé 27 000 , le savez vous? (On trouve en ligne quelques exemplaires...)
Lauverjat
Cher anonyme,
Certaines sous-estimations sont, semble-t-il, dues à la malhonnêteté de l'expert: ainsi telle experte de Poitiers qui sous-estimait des livres vendus aux enchères et ne leur faisait guère de publicité; ils étaient achetés par son époux dans la salle...
Elle a été poursuivie en justice (http://www.patrimoinorama.com/index2.php?option=com_content&do_pdf=1&id=3781) et, sauf erreur, condamnée - mais je n'en suis pas certain.
Elle fût en effet condamnée, j'en avais parlé sur le blog. Mais je crois que ce cas est plutôt rare.
Après il reste le cas des "expert pour" adjugé en salle des ventes....
Hugues
Cher anonyme
Les erreurs de descriptifs sont assez fréquentes, mais en général les acheteurs rectifient. La plus flagrante rencontrée dernièrement. Un livre de Verlaine présenté : Amour Edition originale Broché. Celui-ci est enrichi, en tête, sur une feuille in-4 repliée, d’un projet de frontispice pour la troisième année de “La Plume”.
Également enrichi du fac-similé, laissé volant, d’une lettre de Théodore de Bainville à Verlaine au sujet du livre “Amour”. estimation 300/500 euros, Adjudication 6500 euros hors frais.En fait la maquette n'était rien moins qu'un superbe poème manuscrit de Verlaine signé! entouré de dessins originaux.et la lettre facsimilé de Bainville un original... mais plusieurs acheteurs l'avaient vu! grrr
Daniel B.
705 euros la gravure ! c'est assez élevé, je trouve... une bonne affaire pour le vendeur, qui a eu du nez lors de la vente aux enchères.
Oui, effectivement. La vente remonte au 12 décembre 2011, Maîtres FRAISSE & JABOT (Hôtel des ventes Giraudeau, Tours). Vendue 80 euros sans les frais.
Le titre de la toile de Bruegel semble être "La Kermesse de la Saint-Georges". Le thème principal en est la danse des épées (http://laclefdesrunes.centerblog.net/6380801-La-Danse-des-epees-).
C'est vrai que je l'aurais bien vue sur mes murs, moi aussi (à 80 euros, je veux dire ...). Achetée par un marchand d'estampes outre-Rhin, probablement (là je m'avance un peu).
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