Amis Bibliophiles bonjour,
Cela faisait quelques années, quatre exactement, que je n'avais pas déménagé.
Inutile de vous dire que - fol que j'étais - j'ai pendant ces quatre années amassé, entassé, devrais-je dire, une grande quantité d'ouvrages... sans jamais me poser la question de l'avenir ou de la place, ou plus trivialement, de l'écart du coût au mètre carré entre la capitale des Gaules et celle de la France.
Bref, pour le même montant mensuel, vous pouvez stocker beaucoup plus de livres à Lyon qu'à Paris. Oui mais voilà, moi je quittais Lyon pour Paris. Laissons là ces questions bassement matérielles. En effet, avant de se préoccuper de la place qui sera éventuellement disponible dans son nouveau logis, il faut déménager.
Déménager. Bou-ger les li-vres....
Il faut bien l'avouer, après le feu et l'eau, le troisième ennemi du bibliophile est le déménagement. Béhémoth, le Golem, enfin tout ce que vous voulez, la bête est de toutes façons trop forte pour vous et finira par vous submerger. Sisyphe à côté, c'est Usain Bolt dans les starting-blocks du 100 mètres.
Le déménagement, c'est l'Enfer, et les cinq fleuves qui vous séparent du salut sont autant d'étapes qu'il vous faudra surmonter si vous voulez retrouver le doux paradis de votre bibliothèque. Et le déménageur, tout breton ou cigogne soit-il, n'est pas Charon. "Mon petit bibliophile, il va falloir se débrouiller seul, inutile de compter sur l'aide ou même la compréhension des autres, tu est seul face à ton destin".
Les rives du Cocyte d'abord, là où les âmes perdues attendent leur jugement... Parce que oui, déménager, c'est mourir un peu certes, mais c'est aussi et surtout choisir. Et choisir c'est renoncer. Parce qu'il est inutile de compter sur Nénesse le déménageur pour prendre le même soin de tous vos livres... La mort dans l'âme il va falloir scinder en deux la bibliothèque... d'un côté, les livres favoris que l'on ne peut se résoudre à laisser dans un camion, de l'autre ceux qui vont voyager avec Nénesse sur les rives du Phlégéthon. C'est le premier moment difficile: prendre chaque livre en mains, le couver des yeux et le répudier temporairement, le mettre de côté sans oser lui avouer que pour un moment, c'est Nénesse le bibliophile qui va s'occuper de lui. Me pardonneront-ils un jour?
Mais ce serait trop simple, quel que soit le destin de chaque livre, il faut l'emballer. Car oui, je les ai tous emballés, souvent un par un, parfois deux par deux. Deux cent mètres de papier-bulle plus loin, on se retrouve face à deux lots, ceux qui partiront dans le camion sur les rives incertaines du Phléghéton, et les autres, ceux pour lesquels il va falloir trouver une autre solution.
Mon problème, c'est que ce déménagement ne se faisait pas en une étape, mais en trois: 1. vider la maison Lyonnaise et mettre son contenu au garde-meubles, 2. partir en vacances un mois, 3. emménager un mois plus tard dans le nouveau domicile parisien. Il n'était pas concevable de partir en vacances avec 20 caisses de livres précieux... Quelle solution trouver?
C'est là que l'on se découvre des amis bibliophiles, prêts à héberger vos livres en allant brûler chaque jour un cierge pour Saint-Christophe en espérant que votre route croisera celle d'un tracteur sur les petites départementales de Bretagne. :)
Mais je suis un ami attentif et je ne voulais pas soumettre un camarade au supplice de Tantale, ou pire lui révéler enfin que sa bibliothèque n'est que finalement digne d'une vente borgne...
Le coffre-fort à la banque? Deux contraintes: d'une part les coffre-forts qui font la taille d'une pièce sont rares, mais aussi et surtout votre banquier exige de connaître la valeur de ce qu'il protège dans ces cas-là... Difficile à dire pour moi. Et puis une banque ça se braque. C'est même le plus souvent les banquiers qui s'en chargent, d'ailleurs.
Non, la vraie solution, la plus improbable, c'est la porte jaune, la porte 1804 de votre box chez Une pièce en plus.
Hop, les livres les plus précieux sont mis en caisse, conduits en voiture de Lyon à Paris et entreposés dans un box de deux mètres sur un, protégé par une porte d'un manque d'épaisseur effrayant et un cadenas tout aussi mince. Le tout est assuré pour 500 euros. :)
L'endroit est sec, plutôt sain, et croyez-moi peu de risque que vos ouvrages soient insolés au 3ème sous-sol. Nous sommes le 31 juillet, il faut refermer la porte, vérifier huit fois le cadenas, brouiller la combinaison encore une fois, vérifier qu'en la brouillant une fois de trop on a pas réaligné les chiffres... Et tourner le dos, partir en vacances. Une partie des livres dans un garde-meubles de Villeurbanne, l'autre dans un box anonyme d'un Une pièce en plus de la banlieue parisienne. Le grand frisson.
On a beau pendant le mois qui suit se baigner dans les eaux turquoises de la Bretagne comme si c'était celles du Léthé, la mémoire ne s'efface pas, le souvenir subsiste. Et puis, dans le pire des cas, il nous restera les livres les moins beaux et un billet de 500 euros... Haut les coeurs.
Trois semaines plus tard c'est le grand retour, on découvre le nouveau logis. Evidemment Nénesse est là à l'aube, et il dépose les caisses de livres dans ce qui sera la nouvelle bibliothèque: 62 cartons; attendre que les meubles soient montés et commencer le déballage; haïr les livres un instant pour leur poids, les ranger, enfin remplir les rayonnages comme on peut. Parfois il manque un tome, on panique jusqu'à ouvrir un autre carton trois jours plus tard...
Trois autres semaines s'écoulent... Inutile d'espérer rapatrier les plus précieux avant d'avoir fait un minimum de place, car voyez-vous, impossible de faire entrer une caisse de plus dans la pièce... Trois semaines de plus derrière la porte 1804.
Et puis un jour on se décide, on retourne sur place, on ouvre le cadenas en frissonnant: ils sont là. La joie de les revoir est timide. C'est que 40 autres caisses se dressent devant vous, nouveau Béhémoth qu'il faudra tâcher de d'apprivoiser. Dos et épaules s'affaissent sous le choc. Le Styx est devant vous, le fleuve de la haine mortelle, celle que l'on éprouve face aux caisses à vider, jour après jour, soir après soir, dans le désordre. Il manque une caisse, c'est la panique! Non elle est là! Il manque un tome... non il est là...
Encore une fois, dérouler ce qui reste des 200m de papier-bulles, ranger chaque ouvrage sans se poser de question, on verra plus tard. La joie de les tenir à nouveau dans ses mains est fugace, le temps presse, il faut faire place... Mais c'est l'Achéron, le retour n'est plus possible. Ca va prendre du temps: après le déballage, il y aura le triage, puis le rangement, c'est à dire changer 17 fois d'avis.
On peste d'avoir entassé tant de documentation, on se demande où l'on va trouver la place qui manque, quelle autre pièce coloniser discrètement... Inévitablement, il va falloir se séparer de certains des ouvrages, une autre sélection va s'imposer, dans la douleur forcément.
Un jour peut-être, tout sera comme avant.
Amis bibliophiles, le déménagement c'est l'Enfer. J'ai presque terminé, toutes les caisses sont vidées, les livres sont entassés de façon anarchique, on verra bien plus tard. Il en manque un seul, mais quel manque!
Enfin, je vais peut-être le retrouver demain.
Déménager une bibliothèque, c'est l'Enfer.
H
4 commentaires:
Il serait quand même plus simple de mettre les enfants en pension pour faire de la place aux livres ;-))
L'idéal serait, éventuellement, de louer une boutique pour stocker vos livres... Pierre
je compatis... "il va falloir se séparer de certains des ouvrages"... pas les maroquins rouges, tout de même ?
Le salut et le paradis dans la collection de minuscules, l'enfer pour l'amateur d' Atlas et livres de fêtes.
Vu ta prédilection pour le maroquin, c'est un juste retour des choses que ta collection "te rendes chèvre" as tu déjà essayé de déplacer un troupeau de belles biquettes, pas simple, je vais quand à moi mettre une petite clochette différente autour de chaque livre, cela m'évitera de les perdre.;))
Daniel B.
Oui ce fut pour nous aussi l'enfer il y a trois ans mais quel plaisir de retrouver nos petites merveilles... et d'en profiter pour faire une grand nettoyage...
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