Amis Bibliophiles bonjour,
Décidément, les escrocs qui gravitent dans le monde du livre ancien sont aussi fantasques et originaux que les bibliophiles: certains escaladent des falaises et découvrent des passages secrets, d'autres usurpent des identités, d'autres encore espèrent quitter une bibliothèque de renom avec deux in-folios dans chaque poche, etc. En voici un nouvel exemple, avec les aventures de Raymond Scott.
2008. Un anglais élégant se présente à la bibliothèque Folger (Etats-Unis) pour faire authentifier un exemplaire de l'EO in-folio des oeuvres de Shakespeare (1623). Cet ouvrage n'est pas rarissime (on en connaît environ 200 exemplaires... mais seulement 40 complets), mais il est très recherché et est évalué à quelques millions d'euros.
La page de titre et le frontispice de l'édition de 1623
La Folger est le bon endroit pour faire authentifier l'exemplaire puisqu'elle en possède 79 autres exemplaires, et on peut penser que l'idée de Scott était de proposer son exemplaire à l'institution.
Las, l'expert de la bibliothèque remarque vite quelques notes manuscrites dans les marges de l'exemplaire, caractéristique d'un exemplaire dérobé en 1998 à la bibliothèque anglais de Durham. L'élégant anglais est aussitôt arrêté et poursuivi.
Raymond Scott prend des forces avant son procès
C'est à ce moment là que le monde va découvrir l'excentrique Raymond Scott, libraire, fils de libraire et personnage fantasque s'il en est. On découvre rapidement que s'il demeure dans une modeste maison à quelques kilomètres de la bibliothèque Durham, et vît d'une mince allocation sociale (100 euros par semaine), Raymond Scott roule en Aston Martin ou en Ferrari (Dino, l'homme a du goût), porte des costumes de luxe et voyage sans cesse à l'étranger, en particulier à Cuba.
Raymond Scott en tenue de campagne
Sur cette île, il a en effet fait la connaissance d'une danseuse de 30 ans, Heidy, qui est de 23 ans sa cadette. On comprend rapidement que celle-ci préfère profiter des largesses de ce capitaliste en goguette que de consacrer leurs rencontres à lui vanter les vertus du communisme à la Fidel.
Raymond Scott et Heidy, un amour au parfum de vélin
Cet amour au parfum de vélin coûte cher à Raymond, et l'oblige finalement à tenter de mettre en vente le Shakespeare pour subvenir aux besoins croissants de sa jeune capitaliste en herbe.
Raymond Scott arrive au tribunal, avec son assistante
Devant le tribunal où Scott arrive tour en calèche précédé d'un Scotsman, dans une limousine ou déguisé en Che Guevara (pour mieux illustrer la piste cubaine), notre élégant anglais clame, malgré l'évidence, que l'ouvrage est en fait à Cuba depuis plus d'un siècle et que c'est le régime de Fidel qui a empêché son authentification et sa vente à l'étranger. Il a rendu service à la famille de sa fiancée en se dévouant pour faire sortir l'ouvrage de l'île, le faire authentifier et le vendre. Rapidement, les preuves liées aux notes manuscrites viennent confondre Scott qui opte pour une seconde version de la thèse cubaine.
Raymond Scott ou Che Guevara dupé par les enfants de Fidel
Ce sont en fait les parents cubains de sa dulcinée qui ont dérobé le Shakespeare à la bibliothèque de Durham, au terme d'un voyage de milliers de kilomètres, avant de rejoindre leur île et, heureux hasard, que leur fille ne s'éprenne d'un anglais, libraire et habitant à proximité de la bibliothèque de Durham.
Raymond Scott arrive au tribunal bis, en tête-à-tête avec son conseiller bénédictin
Bref, l'affaire semble mal engagée, d'autant plus que les preuves s'accumulent contre Scott, dont on sait désormais qu'il a été arrêté plusieurs fois pour vol, et notamment pour vol de livres juste avant son procès. Néanmoins, il n'y a aucune preuve du vol... Les employés de la bibliothèque n'ayant rien vu, rien entendu ou presque alors que le livre était présenté dans une vitrine de verre. Pour tout dire, ils ne se sont rendus compte de la disparition de l'ouvrage que quelques jours plus tard. En effet, le voleur avait pris soin de replacer le velours qui protégeait la vitrine des lumières du soleil entre deux expositions. La consigne c'est la consigne et ils n'étaient visiblement pas gênés d'avoir laissé le livre exposé sous le velours pendant quelque temps. C'est beau la conscience professionnelle.
Scott ne sera donc condamné que pour recel et dégradation d'une oeuvre d'art (il a gratté les cachets), à une peine de 8 ans de prison (énorme, non?).
Difficile de ne pas trouver le personnage sympathique en tout cas. Moi j'aime assez.
H
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