Amis Bibliophiles bonjour,
Je vous invite aujourd'hui à découvrir un type de reliure très particulier, les reliures plein or. Très rares, caractéristiques des grands relieurs du 17ème siècle, elles furent parfois copiées par d'autres grands relieurs du 19ème pour réaliser des reliures pastiches.
Selon la terminologie de Pascal Ract-Madoux et Isabelle de Conihout (catalogue "Relieurs français du 17ème, chefs d'oeuvre du musée Condé") qui ont étudié les exemplaires du Duc d'Aumale, ces reliures sont dessinées aux petits fers, souvent filigranés. Une terminologie légèrement différente de celle que l'on peut trouver dans les "Connaissances nécessaires à un bibliophile" d'Edouard Rouveyre, pour lequel le terme de "plein or" désigne "les fers de grandes dimensions que l'on pousse par estampage d'un seul coup sur les plats des livres pour obtenir un dessin complet", les plaques donc, d'une certaine façon. Cette définition rejoint d'ailleurs celle de Bertrand (Descriptions des arts et métiers, 1776).
Le risque avec les définitions de Bertrand et Rouveyre est justement cette confusion possible avec les reliures ayant bénéficié d'une dorure à la plaque, et leur terminologie englobe à mon sens trop de possibilités, des plaques de Dubuisson à celles inombrables, utilisées par les relieurs du 19ème. Plus que dans la façon d'appliquer le fer (de façon globale ou séparée), il me semble que c'est l'emploi de petits fers qui donne tout son intérêt au terme « plein or ». La reliure plein or pouvant d'ailleurs dans certains cas être également une reliure à la fanfare.
Selon Pascal Ract-Madoux et Isabelle de Conihout ces reliures sont rares au 17ème et le plein or peut-être appliqué soit sur le plat, soit sur les doublures.
Pour mieux comprendre, voici quelques reliures plein-or, puisque des images valent toujours mieux qu'un long discours.
Ici une reliure de Luc Antoine Boyet, vendue lors de la vente Wittock (2ème partie, 8 novembre 2004):
TERENCE (Publius Terentius Afer, 185-159 av. J.-C.). Comoediae sex ex recensione Heinsiana.Leyde: Elzevier, 1635.
In-12 (120 x 65 mm). Texte imprimé en rouge et noir. Titre gravé sur cuivre Cornel. Cl. Dusend, portrait de l'auteur gravé sur bois dans le texte.
RELIURE doublée DE LUC-ANTOINE BOYET: maroquin olive janséniste, dos à nerfs orné à froid, doublure en maroquin rouge, richement ornée et dorée dite "plein or" de petits fers pointillés, couronne fermée et lion hissant, emblème au centre, tranches dorées sur marbrure, (coiffes restaurées). Musea Nostra, p. 42.
PROVENANCE: Eglise Saint-Julien à Paris (note manuscrite sur le titre) -- Françoise d'Aubigné, marquise de Maintenon (son emblème sur les doublures) -- F.Eug. du Camp (note du XVIIIe siècle sur la garde) -- Henri Beraldi (ex-libris), vente I à Paris, 29 mai-1er juin 1934, lot 75 -- John Roland Abbey (ex-libris), vente I à Londres, 21-23 juin 1965, lot 650 -- Raphaël Esmerian (ex-libris), vente II à Paris 8 décembre 1972, lot 51.
La tradition attribue les quelques volumes ornés d'un médaillon composé de fers, mêlant le "lion des Aubigné" au soleil couronné, à madame de Maintenon (voir Olivier 1837, fer 10): par exemple, le Strada de 1553 dans la vente De Bry 1996 (lot 196, pl. LII) et un recueil manuscrit de poésies dans la vente De Backer 1926 (première partie, lot 615), puis dans la vente Cortlandt Bishop 1948 (lot 128). Pascal Ract-Madoux nous a confirmé que l'on peut ranger ces reliures parmi les groupes de "reliures archaïsantes" exécutées entre 1690 et 1710 par le doreur de Boyet, identifiés par lui et Isabelle de Conihout dans le catalogue de l'exposition récente au musée Condé, Reliures françaises du XVIIe siècle (Chantilly, 2002). Cette reliure, bien que recouvrant un Térence en latin, peut donc se joindre au groupe 8 "plein or" (Conihout et Ract-Madoux, nos 42 et 43).
Et un autre exemple, toujours de Boyet (source : http://cyclopaedia.org/1667/boyet.html) :
En passant et pour le plaisir des yeux, un sujet connexe: les gardes papier entièrement dorées: la reliure n'est pas plein or, mais doublée de maroquin et la présence de gardes de papier entièrement dorées. L'ensemble est luxueux et l'effet doit être saisissant quand on ouvre l'ouvrage. Magnifique. Cela tombe bien, si cela vous tente, l'ouvrage sera mis aux enchères à Saint-Ouen sur Iton le 18 octobre:
n° 289 - HORACE. Quinti Horatii Flacci Opera.. Londres, John Pine, 1... HORACE. Quinti Horatii Flacci Opera.. Londres, John Pine, 1733-1737, 2 tomes en un vol. in-8, maroquin olive, dos à nerfs ornés, pièces de titre fauves, large encadrement de double filet et guirlande dorés sur les plats avec pointes dhermine et demi- guirlandes en écoinçon, armes au centre, tranches dorées, contreplats doublés en maroquin rouge avec bordure de maroquin olive, dans les deux cas ornés de guirlandes dorées, gardes de papier doré (Padeloup le Jeune). Magnifique édition, entièrement g ravée sur cuivre, imprimée sur grand papier avec une abondante iconographie dont 8 planches. Exemplaire de premier tirage. Somptueux et précieux exemplaire en maroquin doublé, aux armes de Philippe-Laurent de Joubert, président de la Cour des Comptes.Est: 4000/4500€
H
14 commentaires:
Beau billet, Hugues. Bravo !!!
Concernant le HORACE. Quinti Horatii Flacci Opera.. Londres, John Pine, 1733-1737. N° 289 de la vente aux encheres qui aura lieu le 18 octobre à Saint-Ouen sur le site d'enchères "Iton"...
Coincidence, il passe à la vente Garnier un exemplaire de cet Horace, celui de l'écrivain Paul Adam.
A plus d'un siècle d'écart voici 2 exemples de haute bibliophilie qu'il est amusant de comparer. Je reconnais cependant que celui de Saint-Ouen-sur-Iton est bien le plus précieux.
Voici la fiche de l'ouvrage dans la vente du 9 décembre.
A noter que cet Horace a fait l'objet d'une description dans l'équivalent british de "En français dans le texte" : "Printing and the Mind of Man, Exhibition of Fine Printing, British Museum".
HORACE.
Quinti Horatii Flacci Opera.
Londres, Iohannes Pine, 1733-1737.
2 volumes in-octavo, 225 x 145, plein maroquin bleu-nuit, dos à nerfs et à caissons très richement ornés et dorés, titres et tomaisons dorés, date en pied, triple filet doré en encadrement des plats, large dentelle intérieure, doubles gardes dominotées, tranches dorées.
Reliure signée PETIT successeur de SIMIER.
2 frontispices et une très riche illustration d'ornements, vignettes et culs-de-lampe. Exemplaire de 1er tirage l'erreur "Post Est" dans la médaille de César en page 108 du tome II, corrigée en "Potest" dans le second tirage. Rothschild 1547; Cohen-de Ricci 497-98; Dibdin II.
Exemplaire très pur, en exceptionnelle condition. De la bibliothèque de l'écrivain Paul ADAM avec son ex-libris en cachet humide.
« John Pine (1690-1756) may well have been the pupil of Bernard Picart, the great French engraver at Amsterdam: he was the best English engraver in the first half of the [eighteenth] century. His edition of Horace is engraved throughout, text as well as ornament, though it is said that the text was first set in type and an impression transferred to the plate before it was engraved. The results are a unity between decoration and text which at times suggests Didot's Horace of 1799; a contrast between thick and thin strokes in the letters which naturally follows from the engraving process but which foreshadows the type design of Baskerville, Bodoni, and Didot; and the wide "leading" between the lines of the text which did so much to give their pages a brilliant effect".
Printing and the Mind of Man, Exhibition of Fine Printing, British Museum 1963, no.105.
"the most elegant of English eighteenth century books in which text and illustrations alike are entirely engraved".
Ray, The Illustrator and the Book in England from 1790 to 1914, p.3.
Est. 800/1000 €.
Si Horace a pu vanter les avantages de la médiocrité Aurea mediocritas , son précepte ne semble pas avoir été suivi pour l'occasion...
Je suis un peu surpris de ces estimations : Que veulent-elles dire ? Que ces ouvrages valent respectivement 4000 et 800 € et que celui qui surenchérit, ne faisant pas confiance au jugement de l'expert, doit être pris pour une personne niaise ? Pierre
@Pierre
Peut-être les estimations veulent-elles dire... que la vérité est ailleurs (mais ne me le faîtes pas fredonner...)
;-)
Olivier
Pour éclairer (?!) la lanterne de Pierre : le Terence de la vente Wittock s'était vendu 5000 euros à son estimation basse (5000-7000).
Ce type de décor "plein or" semble le fait du seul doreur de Luc-Antoine Boyet, il y a-t-il des exceptions?
Lauverjat
Cher Pierre et Olivier (part one).
Quant à mon travail d'expert, il va de soi que la vérité est ailleurs...
Cependant permettez-moi d'attirer votre attention sur l'extrême différence entre un ouvrage dans une reliure d'époque et son équivalent dans une reliure de conservation du XIX° (cf. à ce sujet l'excellent post de Laurverjat: http://bibliophilie.blogspot.com/2010/06/les-differents-styles-de-reliure-la.html ).
Vous avez deux ouvrages tout aussi parfaits l'un que l'autre, tous les deux en premier tirage, tous les deux issus d'ateliers de relieurs prestigieux. Mais....
Si le premier ouvrage est en plein maroquin d'époque; qui plus est olive, le vert étant plus prisé que le rouge car plus rare; qui plus est décoré, outre ses grandes dentelles, de petits fers spéciaux comme des hermines et des guirlandes angulaires; qui plus est doublé de maroquin garance, lui même frappé de dentelles et de fers spéciaux, avec des chasses qui reprennent en encadrement le vert des plats; qui plus est aux armes d'un prestigieux bibliophile contemporain de l'ouvrage; qui plus est attribuable à l'un des Padeloup; qui plus est extraordinairement singulier du fait de ses gardes recouvertes d'une dilution d'or fin... il va de soi que le second ouvrage en plein maroquin du XIX°, même en état tout aussi parfait; même d'une provenance fameuse comme celle de Paul Adam; même portant la signature de Petit successeur de Simier, fait pale figure au regard du premier.
Vous avez d'un coté un ouvrage de haute bibliophilie qui séduira tout bibliophilie raffiné; de l'autre un exemplaire à se pâmer, destiné au cercle très restreint des bibliophiles ayant suffisamment de moyens pour satisfaire leurs caprices et cela, malgré les caprices concurrents de leurs pairs (en clair, si l'un est une histoire d'argent, l'autre est une histoire de fortune).
Cher Pierre et Olivier(part two).
Personne ne vous prend pour un niais, mon cher Pierre.
Vous avez 2 experts très différents mais leurs estimations sont parallèles. J'attends 1500/1800 pour mon exemplaire et je suppose que l'expert de Saint-Ouen espère 6000/7000 pour le sien (prix adjugés cad sans les frais).
Pourquoi ne pas les avoir mis directement ces prix ? Comprenez bien que le travail de l'expert n'est pas de dire le prix du marché, ce serait dangereux et beaucoup trop lui demander. Mais (du moins à mon sens), de replacer un ouvrage dans une échelle de valeurs. Je ne suis pas dans les bottes d'un libraire qui voudrait signifier, en mettant un prix de furieux sur un livre, qu'il a le plus merveilleux exemplaire du monde. Mes bottes à moi sont celles d'un relayeur qui garantit une adéquation entre un ouvrage et sa fiche et qui, humblement, organise sa description pour signaler l'intérêt d'un ouvrage.
Comprenez aussi que l'expert est lié par des éléments totalement indépendants de toute considérations bibliophiliques. Je ne sais pas pour la vente de Saint-Ouen, mais la vente Garnier est une succession. C'est à dire que j'ai un notaire comme interlocuteur et derrière ce notaire plusieurs héritiers qui n'ont pas pu se mettre d'accord sur un partage. Il faut donc vendre pour répartir l'argent et non les meubles. Ayez cela en tête et mettez-le en vis-à-vis de cette contrainte que m'impose la loi Française : LA FOURCHETTE BASSE DE L'ESTIMATION NE PEUT ÊTRE INFÉRIEURE AU PRIX DE RÉSERVE. C'est d'ailleurs pour cette raison que la publication des résultats est obligatoire. Vous pourrez comprendre que les experts préférèrent des estimations basses sans pour autant qu'elles soient ridicules; pour la bonne et simple raison qu'il s'agit, qu'il y a obligation devrais-je dire, de vendre... puisqu'il ne s'agit pas d'une vente « montée ».
J'espère Pierre et Olivier, sinon vous avoir convaincu, du moins vous avoir fait partager mon point de vue qui est qu'il existe un monde entre ces deux exemplaires. Mais si vous persistez à croire que l'on vous prend pour des idiots, il vous restera toujours la possibilité d'acheter cet ouvrage chez un libraire. Disons 15000 pour l'un et 3000 pour l'autre.
Bonjour,
Pierre, c'est votre commentaire qui me surprend un peu... Fréquentez-vous les salles ? Oui, la "vérité est ailleurs", mais il faut bien une base. Sinon on commence toutes les ventes à 1 Euro... C'est aussi un moyen pour le vendeur de placer une réserve qui ne dit pas son nom... Ca me paraît normal... Bref, bonne journée, bonne semaine, les ventes battent leur plein (plus de quinze ventes de livres dans la gazette cette semaine, et elles n'y sont pas toutes !!!
Le premier qui dit la vérité,
Il doit être exécuté ;-))
(Je fredonne pour l'occasion). Moi, en achat immédiat, je me laisserais tenté... A la place de "Estimation", on pourrait, peut-être, pour paraitre moins hypocrite écrire : "Première enchère" ? Pierre
éclairantes les explications d'Ugo.
Merci de ces détails qui révèlent les rouages d'une estimation.
Merci Hugo pour ces explications.
J'aurais du écrire novice à la place de niais car le terme est péjoratif ! (sauf pour mon cas) et Benoit a raison d'être surpris car je n'ai aucune expérience dans les salles des ventes. Ceci explique cela : Je m'informe.
J'arrive à faire le métier de libraire d'ouvrages anciens sans passer par cette manne et je le regrette mais je suis loin des grandes villes... C'est pourquoi je pose des questions qui peuvent paraitre naïves mais qui s'affirment être néanmoins de bon sens ! Benoit proposait le terme de prix de réserve qui éclaire aussi le propos. Pierre
Bah je plaisantais juste, j'avais bien noté les différences entre les exemplaires.
En l'occurrence les estimations me semblaient justes ce qui n'est pas toujours le cas.
Si certains tueraient pour un bon mot je n'ai pas l'intention de trépasser pour un mauvais.
En tout cas tout cela me met en appétit...
Olivier
PS : @Ugo si vous vous souvenez duy livre manuscrit j'ai joué les Johan et Pirlouit 2.0 j'ai eu quelques infos (?) d'une société d'histoire locale. Hugues a la lettre que j'ai reçu.
Oui bel article sur des reliures qui ne sont pas celles de Monsieur Tout le Monde, comme on dirait dans les Tontons flingueurs...
Et Merci à Ugo pour lever un peu le voile sur le mystère des estimations...
Pourquoi tant de ventes en ce moment ? Il faut lever le bras à Vannes tout en étant au téléphone à Paris, cela devient épuisant !! ;)
Mais mon espoir que l'abondance d'offre pourrait faire baisser les prix est déçu jusq'à présent ...
Textor
Ugo, tu me remets à ma place à chaque fois que "places un com'", comme disent les jeunes. Tu déchires. Tu as l'enthousiasme, la candeur futée (la seule qui bouge les montagnes), l'érudition, le style, la gouaille quand il faut, le culot, la passion, et un très grand savoir. Continue à placer des coms', brother, tu me plais ;-) (et blague à part, c'est aux côtés de gens comme toi, Hugues, le B. Rhemus, Textor, Bertrand, etc., qu'un grand débutant comme moi peut se former un peu. Alors merci... A tout le monde en passant, et avant tout à Hugues, qui a permis par un boulot j'imagine pas toujours marrant, que tout ce savoir soit échangé, partagé... Bonne soirée à tous.
Un Benoît de bonne humeur qui revient chez lui avec des livres dont il va vous parler bientôt. Pour le moment, je vais me faire un petit moment... Ouvrir les cartons, et contempler ce que j'ai vu très vite, en me contentant d'annoncer "ah oui ça m'intéresse... 500 Euros le tout... c'est d'accord". Un plaisir de bibliophile, que je sais pouvoir partager avec peu, mais avec beaucoup "ici".
C'est sympa tout ça ...
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