« Après le plaisir de posséder des livres, il n'en est guère de plus doux que celui d'en parler. » Charles Nodier

"On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact journalier des bibliophiles, des libraires et des livres."
Henri Beraldi, 1897.

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lundi 29 septembre 2008

Pierre Moreau, calligraphe, graveur, imprimeur.

Amis Bibliophiles Bonsoir,

Ah qu'il est doux de pouvoir se reposer sur un ami un soir de grande fatigue. Rémi vous propose ce soir un article sur Pierre Moreau,

Pierre Moreau paraît dans l’histoire typographique comme un météore : brillant, éclatant même, mais éphémère. Issu de la calligraphie, il ne viendra à la typographie qu’à la fin de sa carrière. Mais reprenons son parcours depuis le début :

Moreau est issu d’un milieu aisé. En 1626, il publie un traité de calligraphie gravé en taille-douce : Les vrais caracthères de l’écriture financière. Ce premier traité ne nous est connu que par des références, et aucun exemplaire semble avoir survécu.
À la suite de ce premier essai, Moreau publie deux autres traités calligraphiques :
– Les œuvres de Pierre Moreau, Parisien, 1627 ou 1628, un seul exemplaire (incomplet) connu.
– Original des pieces escrites et burinees par P. Moreau, 1633, deux exemplaires recensés.
Les manuels de calligraphie de Pierre Moreau ne comprennent que quelques planches, assez élégantes, d’écritures italiennes (bâtardes et rondes) ou de financière. Outre ces trois traités, Moreau publie aussi des livres de dévotion, entièrement gravés : Les Saintes prières de l’âme chrestienne (1631, 8°, 106 ff.), les Devotes prières (1634) et les Heures chrestiennes (réemploi du texte gravé des Saintes Prières).
Après ces débuts dans l’écriture manuscrite, Moreau se lance dans un projet encore plus ambitieux. Conscient que les pratiques manuscrites ont changé depuis le XVe siècle et que l’italique et le romain ne sont plus en phase avec l’écriture de l’époque, Moreau décide d’imiter les écritures cursives françaises de son temps. Il grave donc les poinçons de cinq fontes typographiques : deux rondes (moyen et petit modules) et trois bâtardes (gros, moyen et petit modules).
Ses caractères sont parmi les plus étonnants, les plus innovants et les plus beaux de l’époque. Les écritures sont superbes, bien équilibrées. Aux cinq corps de caractères sont associés un certain nombre d’ornements supplémentaires : arabesques flottantes, fleurons de traits « entortillés », grandes lettrines gravées sur cuivre.
Conscient de la valeur de sa création, Moreau se protège de la contrefaçon en obtenant un privilège du roi pour les « caractères de son invention ». Ce privilège sera respecté, et Moreau sera seul à utiliser ses nouvelles « lettres », ce qui limitera considérablement leur diffusion. Entre 1644 et 1648, date de la mort de l’imprimeur, Moreau n’aura le temps de produire que 33 impressions (dont plusieurs petites brochures). À sa mort, ses caractères tomberont dans l’oubli, et ne seront ressuscités qu’éphémèrement par Fournier dans son Manuel typographique (1764), comme représentants de la « Ronde ». Quelques uns des poinçons originaux sont conservés, aux côtés des « Grecs du Roi », dans le cabinet des poinçons de l’Imprimerie nationale.
Les photographies qui accompagnent cet article sont tirées de l’Énéide de Virgile (1648, in-4°), dernier livre imprimé par Pierre Moreau et avec ses caractères. L’édition bilingue est dédiée à Mazarin, avec une carte dépliante et un frontispice. Ce livre est un véritable bijou bibliophilique : trois artistes importants du XVIIe siècle s’y croisent. D’abord, Pierre Moreau, notre calligraphe/imprimeur de talent. Ensuite, Pierre Perrin, poète un peu oublié, mais assez talentueux, théoricien de l’opéra avant Lully et Quinault, qui donne ici la traduction du texte. Enfin, Abraham Bosse qui inaugure chaque chapitre avec une gravure en demi page. Pierre Moreau n’aura malheureusement pas le temps d’achever cette publication, et seul le premier tome, contenant les six premiers chants, paraîtra avant sa mort. Le deuxième tome ne sera publié que dix ans plus tard, en 1658, chez Loyson, avec la suite des gravures d’Abraham Bosse, mais dans une typographie en romain, Loyson n’étant pas parvenu à obtenir les caractères de Pierre Moreau.
Mon exemplaire, photographié ici, ne comporte que le tome 1 seul, auquel il manque le majestueux frontispice (il reste, maigre consolation, la page de titre et la carte dépliante). Je m’en contente, et j’espère que les photographies vous aideront à me comprendre !

PS/ Cet article est basé sur l’excellent livre d’Isabelle de Conihout, publié par la bibliothèque Mazarine : Poésie et Calligraphie imprimée à Parisau XVIIe siècle, Paris, Editions Comp’Act, 2004. L’ouvrage comprend un fac similé de la Chartreuse de Pierre Perrin, imprimée par Moreau, suivie de plusieurs études sur Pierre Moreau, ses caractères, Pierre Perrin et la calligraphie gravée. C’est un superbe ouvrage, à la fois passionnant par son contenu et élégant par sa mise en page, qui se vend pour la modique somme de 35 euros.

Merci Rémi,

H

14 commentaires:

Anonyme a dit…

Splendide ! Et tout cela sans utiliser Latex et Metafont.

Eric

Pierre a dit…

Rémi,
Votre ouvrage (même incomplet de son frontispice) est admirable en ce qu'il associe une typographie élégante et de très (très) jolies gravures. Je réalise à lire vos articles qu'un bon bibliophile devrait pouvoir aussi juger de la qualité d'une traduction latine pour apprécier complètement un ouvrage ancien (comme un vieux vin doit pouvoir s'apprécier sur de nombreux critères).
J'envie mes enfants qui ont eu la chance de pouvoir étudier cette langue même si au final certains ont boudé son enseignement...
Je vois que votre bibliothèque s'enrichit d'ouvrages rares. Bravo !
Cordialement. Pierre

Anonyme a dit…

C'est superbe...
Olivier

Anonyme a dit…

Moreau a-t-il composé un livre de physique? Je suis preneur! Encore une journée où j'ai appris quelque chose; merci Rémi.
Bernard

Gonzalo a dit…

> Moreau a-t-il composé un livre de physique?

J'ai bien peur que non! Mais rien ne vous empêche d'ouvrir votre collection! :o)



A ceux qui sont intéressés, je répèterai mon conseil: achetez le livre d'Isabelle de Conihout! Il est formidable!

Benoît a dit…

Bonjour chers amis érudits,

je sais que suis hors sujet, j'ai SVP besoin d'un coup de mail : j'ai trouvé des catalogues de "PiBy", et n'arrive pas à les dater, même imprécisément. Quelqu'un aurait-il une piste ? Des dates approximatives (années) me suffiraient. Cela me ferait très plaisir, je vous remercie d'avance. il s'agit des catalogues numéro 42 (supplément), 46 (Livres sur les Beaux Arts), 47, le sublime 52 sur les illustrés modernes avec la couverture en couleur par Henri Laurens et des ill. en couleur et N&B, enfin le 56 et le 61 (intiulé "Littérature Française"), ce dernier un peu différent, à l'apparence beaucoup plus moderne... (couverture sur fond blanc, papier cartonné glacé).
Merci d'avance si quelqu'un peut me donner quelques indications, même imprécises.
Et encore bravo pour le blog, que je lis avec passion à chaque nouvel article. Grâce à vous tous, et à vos commentaires, j'apprends peu à peu...
Cordialement
Benoît

Bergamote a dit…

C'est magnifique.

Qu'est-ce qu'une écriture (ou une fonte) "bâtarde" ?

Gonzalo a dit…

La "fonte" désigne l'ensemble des caractères fondus et utilisés pour l'impression.

Le terme de bâtarde désigne une calligraphie issue des écritures de chancellerie italienne du XVIe siècle. C'est l'une des lointaines dérivées de notre "italique" (la "cancelaresca" italienne.

Le terme de bâtarde est également utilisé pour désigner une écriture gothique française du XVIe siècle, intermédiaire entre la gothique de forme (anguleuse, chaque lettre étant bien séparée des autres) et les gothiques cursives manuscrites (qui deviendront, typographiquement, les "caractères de civilité" gravés par Granjon en 1557).

Anonyme a dit…

Bonjour,

J'ai une petite question hors sujet. J'ai acheté un livre de "Mélanges archéologiques", c'est-à-dire une reliure toilée petit in-4 qui rassemble 22 fascicules de différents formats, dates et auteurs comptant entre 5 et 50 pages chacun. J'aimerais les ôter de leur reliure pour pouvoir les conserver séparément et en relier certains à d'autres livres. Toutefois, j'ai l'impression que les dos des fascicules ont été collés les uns aux autres. Comment les séparer ? L'appel au professionnel est-il indispensable ?

Merci d'avance !

martin a dit…

Pour Benoît, sans garanties, voici quelques dates données par la WLB, Stuttgart (trouvées dans la ZDB - Zeitschriftendatenbank): 40.[1947] - 41.[1948]; 48.[1950] - 49.[1951]; 51.[1952] - 52.[1952]; 54.[1953] - 55.[1953]; 57.[1957]; 59.[1958] - 61.[1965]; 64.[1971] - 65.1974; 67.[1975] - 69.1977

Benoît a dit…

Mille mercis Martin ! Je creuse un peu ça et je confirme ; mais a priori tes dates semblent vraisemblables... J'ai un peu cherché sur le web et ai trouvé beaucoup d'infos contradictoires, y compris de la part de sources sérieuses...Je vais m'y coller et proposer une chronologie, elle pourra peut être servir à d'autre...
A bientôt !

Anonyme a dit…

Quelle est la raison avouable ou non pour laquelle les catalogues, très souvent, ne sont pas datés ?

Raphael

PS : merci Gonzalo pour votre topo.

Anonyme a dit…

Pour Kristian: si vous vous posez la question de savoir comment faire pour débrocher votre livre, alors je vous recommande d'aller voir un professionnel. Pourquoi pas Fédora qui a fait son portrait sur le Blog.

Eric

Anonyme a dit…

Je vous remercie Eric !

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