Amis Bibliophiles bonsoir,
En 1884, M. Auguste Brun, libraire expert, et M. Laurent
Gazagne, commissaire-priseur, vendaient, à Lyon, la bibliothèque de feu M.Joseph Renard.
M. Joseph Renard était un bibliophile dans la meilleure
acception du terme : il aimait intelligemment les livres. Sa collection
comprenait des ouvrages anciens, rares et curieux, et des livres concernant la
province qu'il habitait. Deux ventes furent faites : celle des ouvrages
généraux eut lieu à Paris, du 21 au 30 mars 1881, et fut un désastre. Une
cabale de libraires, dit-on, détermina la vileté des prix. Joseph Renard, qui
nourrissait pour sa bibliothèque sentiments non exempts d'illusions, reçut un
coup terrible, — dont il se fit un devoir de mourir.
Mais une revanche posthume lui était due : il l'obtint. Les
1,360 numéros de la collection lyonnaise furent mis en vente, du 24 mars au 3
avril 1884, comme il est dit au commencement de cette étude. Cette fois, de
fort honorables prix furent atteints, et la plaquette de Vital de Valons : Les
origines des familles consulaires de Lyon, depuis rétablissement de la Commune
jusqu'en 1790 (Lyon, 1863), fut adjugée à 181 francs.
Cette enchère fit événement. Les Origines étaient un ouvrage
d'autant plus précieux que, gênant plusieurs familles de la place Bellecour,
dont il démontrait la récente noblesse — noblesse de cloche ou de robe — il
avait été racheté par les intéressés et détruit. L'exemplaire de la vente
Renard était un des rares survivants de ce massacre.
La mémoire du bibliophile sortait donc vengée par Lyon des
déboires de Paris. Elle allait recevoir une autre satisfaction.
Des amateurs qui avaient suivi les vacations, plusieurs
échangèrent des observations, des idées, se communiquèrent leurs réflexions :
ne pourrait- on point réimprimer pour un petit groupe d'amis, certaines
raretés, ou curiosités d'un prix exorbitant ! La pensée leur vint que
puisqu'il y avait des bibliophiles à Lyon, — Lyon, ville d'imprimeurs célèbres
et de constante notoriété bibliophilique, — rien ne s'opposait à ce que ces
bibliophiles se constituassent en Compagnie.
Et ce fut là le premier germe de la Société des Bibliophiles
lyonnais.
Tout d'abord on songea à réimprimer la plaquette de Vital de
Valons, mais on y renonça pour des raisons que l'on devine. Néanmoins le
groupement subsista.
Une réunion préparatoire eut lieu, chez M. Léon Galle, le 27
mars 1885.
Etaient présents : MM. Léon Galle, Humbert de Terre-basse, Dr'
Humbert Mollière, Bresson et Dissard. La Société fut définitivement constituée
le 21 avril 1885, sous la présidence de M. H. de Terrebasse, M. Conil étant
secrétaire et M. Léon Galle, trésorier-archiviste.
Les statuts furent approuvés
dans la séance du 15 mai suivant par douze membres fondateurs : MM. Léon Galle,
H. de Terrebasse, Bresson, J. Baudrier, H. Mollière, abbé Conil, Joseph
Nouvellet, Dissard, Morin-Pons, comte de Charpin-Feugerolles, R. de Cazenove,
Morel de Voleine.
Depuis la fondation de la Société, M. Léon Galle a dirigé
toutes les publications, en a été, en quelque sorte, le maître-ouvrier, comme
il en avait été le conseil. C'est, en effet, sur ses, propositions que presque
toutes les publications ont été décidées.
Il est à remarquer que les Bibliophiles lyonnais, — qui sont
au nombre de vingt, — forment moins une réunion de simples amateurs, qu'une
société savante. En même temps qu'ils manifestent un rare souci de la
typographie, ils ont aussi celui de publier des textes inédits ou rares, intéressant
la région. Plusieurs d'entre eux sont même des érudits auxquels on doit des
ouvrages justement estimés. Ce caractère spécial méritait d'être souligné, car
c'est celui que devraient poursuivre les sociétés parisiennes, l'érudition ne
pouvant, en ces matières, que compléter et affiner le goût.
On pourra voir par la liste des ouvrages publiés, quel
sérieux a présidé à leur choix; on se rendra compte, en les parcourant, de leur
valeur d'exécution. Et l'on ne manquera pas de reconnaître la haute portée de l'effort,
surtout si l'on considère la modicité des ressources et l'insuffisance des débouchés.
On compterait les bibliophiles qui, en dehors de la région, ont acquis ces
beaux livres, lesquels ne sont pourtant point indignes de voisiner avec les
éditions de leurs confrères parisiens.
Mais Lyon est la province... Les publications des
Bibliophiles lyonnais apportent un nouvel argument en faveur de l'idée
décentralisatrice, et eu matière d'art surtout cette idée doit être immédiatement
appuyée. Que les bibliophiles parisiens consentent à regarder au-delà des
fortifications : ils constateront, d'abord, qu'ils ne sont pas toujours imités,
ce qui réjouira leur indépendance, ensuite, qu'il existe une production provinciale
du plus vif intérêt. Si, par surcroît, ils éprouvaient le besoin d'adjoindre à
leurs livres quelques-uns de ceux qui auront vu le jour sur d'autres rives que celles
de la Seine, il se pourrait qu'ils n'aient point fait une mauvaise spéculation
et, ce qui nous touche davantage, ils auront
donné un exemple de solidarité, dont les conséquences seront des plus heureuses
pour la bibliophilie.
Car il en est d'elle comme des moyens de transports : plus
on les multiplie, plus s'accroît le nombre des voyageurs. Une société qui
se fonde, de beaux livres qui se publient déterminent la vocation chez nombre
de gens qui ne se la soupçonnaient pas. Et quelle joie plus grande pour un
bibliophile que de créer des bibliophiles autour de lui.
STATUTS DE LA SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES LYONNAIS.
I
Il est établi, à Lyon, une réunion d'amis des livres, sous
le nom de SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES LYONNAIS.
II
Le nombre des Membres composant la Société ne pourra
dépasser vingt.
III
La Société est administrée par un bureau composé de : un Président,
un Secrétaire, un Trésorier-Archiviste, nommés tous les trois ans, à la majorité
des suffrages des Membres votants, par la voie du scrutin secret. Ils sont
réelligibles
IV
Chaque Membre a le droit de présenter des candidats aux
places vacantes. Il sera procédé, en temps utile, à l'élection, par la voie du
scrutin secret, au moyen d'un bulletin portant le nom du candidat et la mention
oui ou non, mis sous enveloppe close.
Il sera permis de voter par correspondance, en adressant le bulletin
sous enveloppe à un Membre de la Société. A l'appel de leur nom ou de celui de
la personne qu'ils représentent, les Sociétaires déposeront le bulletin clos
dans l'urne. Il sera procédé, séance tenante, par le Bureau, au dépouillement
du scrutin et à la proclamation du résultat.
Nul candidat ne sera admis, s'il ne réunit les suffrages
favorables des trois quarts des Membres composant la Société.
Le Secrétaire préviendra chaque Membre, par lettre, du jour de
l'élection, en indiquant les noms des divers candidats.
Chaque Membre est astreint à une cotisation de 50 francs, payables
entre les mains du Trésorier.
VI
On se réunira au domicile des Sociétaires, indifféremment.
Une Assemblée générale aura lieu au mois de février, chaque année.
Les séances ordinaires se tiendront, à des époques indéterminées,
suivant les besoins de la Société et selon l'avis du Bureau.
La date, le lieu et l'objet seront indiqués dans une lettre
de convocation adressée à chaque Membre.
VII
Le but de la Société est de publier les manuscrits et de
réimprimer les livres rares intéressant la région.
VIII
L'initiative d'une publication peut être prise par la
Société, par un de ses Membres, ou par une personne étrangère.
Si l'initiative est prise par la Société, elle choisira un
éditeur ad hoc , chargé de préparer et de surveiller la publication; si elle est
prise par un Membre, ou une personne étrangère, ces derniers seront, de plein
droit, leur propre éditeur.
IX
Toute demande en autorisation de publier un ouvrage, sous le
patronage de la Société, sera remise à un rapporteur choisi par elle.
Les conclusions de ce dernier entendues en séance, les
Membres seront appelés à délibérer sur l'opportunité de la publication qui leur
est présentée. L'autorisation de publier sera votée au scrutin secret et devra
obtenir l'approbation des trois quarts des Membres votants,
X
Si la publication donne lieu à un travail personnel,
l'auteur devra soumettre son manuscrit au rapporteur, qui produira , en séance,
ses conclusions et ses observations. Les Membres présents voteront à la
majorité, l'acceptation du travail, l'acceptation avec corrections, ou le
refus.
XI
L'éditeur et le Trésorier, d'accord avec l'imprimeur, produiront
en séance le devis des frais d'impression et divers, qui devront être adoptés à
la majorité des Membres présents.
XII
L'éditeur devra surveiller l'impression et corriger les
épreuves.
Le bon à tirer ne sera donné qu'avec l'approbation de la
Société, ou d'un Membre délégué à cet effet.
XIII
Il sera tiré un nombre restreint d'exemplaires numérotés, ornés
de la marque de la Société, apposée sur le titre ou toute autre place honorable
et apparente. Chaque exemplaire portera le nom du Sociétaire auquel il est
destiné.
XIV
Un exemplaire sera remis à chacun des membres, par les soins
du Trésorier-Archiviste, qui devra se conformer à l'ordre établi par le tableau
de roulement (art. X\ 11).
L'éditeur étranger aura droit à l'exemplaire dont le numéro suivra
ceux attribués au\ Membres titulaires.
Les exemplaires ex-dono prendront la suite.
Il sera placé, dans la réserve, un certain nombre d'exemplaires
qui pourront être acquis, par les Membres postérieurement élus, au prix fixé
par la Société.
Le reste sera vendu, conformément au prix établi, au profit de
la Société.
XV
L'éditeur et l'auteur auront le droit de faire tirer, à part
et à leurs frais, un nombre d'exemplaires déterminé par la Société. Ces
exemplaires ne porteront point la marque de la Société et ne seront point
numérotés. Il est interdit de les mettre en vente.
XVI
Les bois, gravures, lettres ornées, copies, etc., établis
aux frais de la Société, seront confiés aux soins du Trésorier-Archiviste, ils
seront numérotés et catalogués sur un registre spécial indiquant leur nombre,
prix, état et provenance. Ils pourront être prêtés à l'éditeur, sur son reçu et
sous sa responsabilité. Ce dernier devra les retirer de l'imprimerie et les
remettre en la garde du Trésorier-Archiviste, qui en donnera décharge.
XVII
Le Trésorier-Archiviste tiendra des registres où seront
inscrits :
1° Les noms des Membres fondateurs, par ordre alphabétique;
2° Les noms des Membres élus, suivant l'ordre de réception;
3° Les adresses des Membres, tant h la ville qu'à la
campagne;
4° Les titres et numéros des exemplaires délivrés à chaque
Membre, de façon à établir un roulement équitable pour la
distribution des exemplaires numérotés;
5° Les titres et numéros des exemplaires délivrés aux
libraires;
6° Les titres et numéros des exemplaires délivrés ex dono ;
7° Les titres et numéros des exemplaires mis à la réserve;
8° Le nombre des exemplaires tirés, leur prix de revient,
leur prix de vente;
9° Les procès-verbaux des séances, rédigés par le
Secrétaire.
XVIll
Le Trésorier-Archiviste établira, chaque année, le bilan de
la Société, qui devra être approuvé par l'Assemblée générale.
XIX
En cas de dissolution de la Société, l'actif cl le passif
seront également partagés entre les Membres.
XX
Le Bureau pourra provoquer la radiation d'un Membre de la Société.
Elle sera votée en séance au scrutin secret, à la majorité des votants. Le vote
par correspondance est autorisé.
XXI
Le décès, la démission et la radiation de l'un des Membres de
la Société, comporteront l'extinction de tout droit et prérogative.
Edouard Pelletan
in Almanach du Bibliophile