Amis Bibliophiles Bonsoir,
Je vous présente ce soir un bien drôle de couple de bibliophiles: elle a les talents culinaires nécessaires pour être restauratrice, mais préfèrerait être relieure, alors que lui de son côté, pourtant peu versé dans ce genre de cuisine, pourrait être qualifié d'excellent restaurateur (du coin).
Enfin bref, Eric se propose de vous expliquer, en images, comment restaurer le coin d'une reliure ancienne. Un beau travail (je rappelle de plus qu'Eric est un "amateur" et non un professionnel de la reliure), qui me laisse pantois, et émerveillé. Je suis incapable de me lancer dans ce genre d'exploit!
Eric, à toi la parole: je vous propose aujourd'hui un article sur la conservation et la restauration des livres anciens, en commençant par le moins difficile et le plus gratifiant : la restauration des coins.
En préambule :
J’ai commencé à vouloir restaurer les livres anciens, lorsque bibliophile amateur, j’ai acheté à bon prix des ouvrages en mauvais état. Quelle mauvaise idée !
Sans même compter les couteuses années d’apprentissage et le matériel nécessaire, l’opération est rarement rentable. Le temps nécessaire pour restaurer un livre est très important. Patience, minutie, reprise du travail lorsque celui-ci n’est pas satisfaisant sont les données indispensables d’une restauration réussie.
Avant d’envisager une restauration, je vous conseille donc d’envisager sérieusement la vente de votre ouvrage en état plus ou moins médiocre, et le rachat du même livre en bon état. Un tour rapide sur www.vialibri.net vous permettra en effet de découvrir que votre précieux ouvrage n’est, souvent, pas si rare que cela.
Autre point important : souvent un simple entretien suffit à rendre un livre très acceptable visuellement. Mieux vaut de bonnes mesures de conservation plutôt qu’une mauvaise (et parfois aussi une bonne) restauration.
Etape 0 :
Entretien du livre. Permet de protéger le livre lors des étapes de restauration
- Si nécessaire (et possible), nettoyage du livre au savon Brecknell. Cette opération parfois critiquée nécessite d’être réalisée avec précaution. Les risques principaux sont d’abîmer les dorures, de laisser des traces de savon et de foncer le cuir.
o Matériel nécessaire : Eponge naturelle, savon Brecknell
§ Mouiller l’éponge pour la ramollir
§ Essorer l’éponge au maximum (l’eau fonce le cuir !)
§ Mettre du savon sur l’éponge en quantité raisonnable et nettoyer le livre (attention, la vigueur du nettoyage dépendra fortement de l’état du livre et des dorures en particulier) sur les plats, le dos et les coupes
§ Rincer l’éponge et l’essorer au maximum
§ Enlever le reste de savon du livre
- Encollage à la Klucel G è cette opération permet à la cire de rester à fleur et d’avoir un effet visuel prolongé. Je n’effectue pas cette étape lorsque le cuir est trop desséché.
o Matériel nécessaire : Pinceau, Klucel G, Chiffon, sèche-cheveux
§ La Klucel G se présente sous forme de poudre et doit être diluée avec de l’alcool pur (>98%) (en effet, l’eau mouille et tache le cuir). La texture doit être un peu plus liquide que du sirop d’érable.
§ Appliquer la Klucel sur un plat avec un pinceau.
§ Masser avec la main bien à plat
§ Enlever le surplus avec le chiffon
§ Sécher au sèche-cheveux
§ Répéter l’opération sur le dos et l’autre plat
- Application d’une cire de conservation è Il y deux cires en circulation : la cire 213 de la BNF et la cire British Museum. D’aucuns critiquent la cire BNF. Celle-ci est en effet très liquide et à tendance à foncer les cuirs. Ceci dit, cet effet s’estompe avec le temps. Pour ma part, je trouve que la cire British Museum est trop grasse et ne pénètre pas suffisamment le cuir. Au final, j’utilise essentiellement la BNF, sauf pour les veaux blonds et les basanes « duveteuses ».
o Matériel : De la cire, un chiffon doux
§ Appliquer la cire sur l’ensemble du cuir. Ne pas mettre trop de cire (pour éviter de laisser des traces avec la BNF, ou d’avoir un livre collant avec la British Museum)
- Epoussetage des tranches
o Matériel : chiffon doux
§ Passer très délicatement le chiffon sur les tranches. Ne pas chercher un résultat parfait, cela n’est pas possible. Si l’on frotte trop fort, le risque est d’incruster la crasse dans la tranche, se qui sera pire que de ne rien faire
Et voilà. Le résultat est souvent saisissant et satisfera la plupart d’entre nous.
Restauration des coins :
- Etape 1 : Renforcement des cartons (ou comment passer d’un coin en chou fleur à un coin restructuré)
§ Matériel : Marteau, tas à battre, pinceau dur, tylose
§ Battage au marteau pour redresser les coins abimés (attention, à ne surtout pas faire si le coin n’est pas abimé (avec manque de cuir), sinon, sous la pression, le cuir du coin va exploser.
§ Appliquer de la tylose avec le pinceau sur le carton
§ Pincer avec les doigts et sécher au sèche-cheveux
§ Le résultat correspond à la première photo
- Etape 2 : Restauration du carton è Si nécessaire ; mais en fait, cela l’est très souvent.
§ Matériel : Buvard, Elasta N, pinceau, Marteau + tas à battre, Cutter, plaque de coupe, macule, plioir, scalpel
§ Positionner et coller sur le carton du plat, une attelle de papier buvard
· Déchirer une bande de papier buvard en faisant une grande frange (pour ne pas faire de surépaisseur) et suivant « en gros » le contour de la restauration.
· Coller le buvard sur le carton (pas le cuir, le carton)
· Appliquer avec le plioir
§ Positionner, par couches successives, du papier buvard (des morceaux déchirés à la main, surtout pas aux ciseaux) le long du coin
· Il est parfois nécessaire d’appuyer légèrement sur le carton pour ne pas laisser de trou
§ Une fois l’épaisseur du carton atteinte, positionner une deuxième attelle sur le contre plat, coller, appliquer au plioir
§ Battre au marteau
§ Laisser sécher puis couper
§ Réaliser les finitions :
· Arrondir les angles. Le coin restauré doit prolonger exactement le carton ancien
§ Battage au marteau
· On ne doit pas sentir de démarcation entre le cuir et le buvard. Si c’est le cas : combler avec du buvard. Ne comptez pas sur les étapes suivantes pour rattraper un travail mal fait maintenant
· Elagage du cuir, réalisation des béquets
o Le biseau doit être très fin pour obtenir par la suite une bonne incrustation
§ Etape 3 : choix du cuir
· On restaure du veau et de la basane avec du veau. Du maroquin avec de la chèvre sans grain
· Couleur : prendre une couleur proche (en ayant conscience que le cuir foncera ensuite) du cuir originel
§ Etape 4 : préparer la pièce de cuir de comblage
· Matériel : feuille de polyester, feutre permanent, ciseaux, cuir, couteau et pierre à parer
· On délimite la partie à restaurer, on rajoute 5 mm coté plat et coupe et 1 cm + épaisseur des plats pour faire les remplis
· On découpe une pièce de cuir correspondante
· On pare le cuir
o Pas de secret :
§ un couteau bien affuté
§ une coupe de biais
§ des heures d’entraînement
o Sur les bords : le plus fin possible (comme pour une mosaïque) et un peu plus épais au centre
· On cire le cuir : le cuir étant très fin, il fonce. Il faut donc mettre très peu de cire (ici la British Museum est préférable) et on appuie peu.
o La cire protège des projections de colle
o La teinte obtenue permet d’avoir un fond proche de celui du cuir ancien
§ Etape 5 : Positionner le cuir
· Matériel : scalpel, 2 plioirs, Elasta N, paire de ciseaux
· On met de la colle (Elasta N) sur le cuir neuf
· On positionne le cuir neuf sur le plat
· On applique au plioir
· On met de la colle sur le dessus du cuir neuf
· On applique le cuir ancien sur le cuir neuf au plioir
· Battage au marteau pour assurer une bonne incrustation
· Confection des coins
o On découpe l’angle droit du cuir neuf, à une demi épaisseur de carton pour les livres 16° et à un peu plus d’une épaisseur de carton pour les livre 17°.
o Livre 16° : on rabat l’angle puis les remplis
o Livre 17° : on confectionne l’angle en positionnant le rempli de tête puis en faisant un petit triangle sur le rempli de gouttière
§ Etape 6 : estompage de la restauration (dépends fortement de la nature du cuir)
· On reprend les filets à froids.
· On vieillit le cuir neuf en tapotant au pinceau. Pour obtenir la granulosité de mon vieux cuir, j’ai collé un peu de poussière. Voilà le résultat
· Je ne l’ai pas fait ici, mais pour obtenir un meilleur résultat, j’aurais dû effectuer une reprise de teinte pour retrouver le fond un peu orangé de mon cuir ancien.
Et voilà. En relisant mon article, déjà trop long, je m’aperçois qu’il manque encore plein d’informations. Difficile de décrire des gestes !
En attendant un prochain article sur la restauration des mors ou des coiffes, comme vous préférez, ceux qui s’intéressent à la restauration de livres peuvent me contacter à restauration@z1k.com
Eric.
Merci!
Hugues