Amis Bibliophiles bonjour,
Le sujet de ce billet sera consacré à une petite acquisition faite au Grand Palais. On a pu reprocher au Blog de trop mettre en exergue des livres chers (Ah bon? NDLR), j’espère démontrer qu’il se trouve des livres bon marché et intéressants.
Le livre de format in-12, en basane fauve marbrée, relié à la fin du XVIIIe siècle porte un supra-libris doré au nom de “Charles Villette” poussé le long de la charnière du plat supérieur. Le dos plat orné de faux caissons dorés porte une pièce de titre de maroquin rouge. Il faut regretter les restaurations du mors supérieur et des coiffes.
Cette reliure recouvre “De l’opinion et des moeurs ou de l’influence des lettres sur les moeurs” signée à la dédicace P.D.L.A. D.L.R., Londres et Paris chez Moureau et Nyon, 1777.
Un envoi identifie l’auteur et le dédicataire sans difficulté. Le voici: “Pierre Petiot prie Mr de Villette d’accepter ce viel enfant sans le regarder de près et d’envoyer vers la porte St Bernard ou la place Mauberq chercher le portrait de M. de Villette dans une brochure nommée essais sur l’éducation des hommes par les femmes” (sic). Le livre comporte encore deux notes manuscrites de Petiot. Au premier chapitre on trouve: “le 1er chap de l’opinion fut supprimé par le censeur”, il ne compte que 24 pages. La seconde note figure au début du chapitre II : “notes de l’abbé Louvet censeur qui se vanta dans le temps de m’avoir fait manquer mon but”.
Les initiales sont donc celles de “Petiot De L’Académie De La Rochelle”. Cette société s’était surtout rendue célèbre par ses scientifiques. Petiot est l’auteur d’au moins quatre autres opuscules dont les deux premiers concernent le mesmérisme : “lettre de M. l’abbé P.xxx de l’académie de La Rochelle, à M.xxx de la même académie sur le magnétisme animal” (1787, 7 pp.) et “autres rêveries sur le magnétisme animal, à un Académicien de Province” Bruxelles (pour Paris probablement), 1784. Ses deux dernières publications attribuées par Quérard, sacrifient à l’air du temps : “liberté de la presse” (mars 1789, 20 pp. In-8), “Réflexions sur la liberté individuelle” (1789, 26 pp. In-8). Voilà, probablement, les écrits qui furent la raison du “rapprochement” de Villette et Petiot.
Charles Michel de Villette, lui, est le fils et le légataire universel de Pierre de Villette qui éleva ses biens au titre de marquisat en 1763. Quand son fils en hérite en 1765, il est déjà criblé de dettes, fruit d’une vie dissolue. Pourvu par son père des charges de Maréchal général des logis de la cavalerie de France et de Colonel de dragons à la suite du régiment de Beauffremont, il souffre pourtant d’une réputation de poltronnerie. Il défraie la chronique par un faux duel, deux séjours en prison, une interdiction d’entrer dans Paris qui lui permet de se réfugier une première fois auprès de Voltaire en 1765 à Ferney, des fréquentations et des aventures sulfureuses avec Sophie Arnould, Mlle de Raucourd, des violences publiques sur Mlle Thévenin, ses amours des deux sexes, ses querelles avec des poètes, son train de vie.
Charles marquis de Villette publie cependant très tôt quelques essais et pièces en vers dans les gazettes. Il cultive également les qualités de graveur, dessinateur, amateur et critique d’art et de bibliophile, enrichissant ses bibliothèques du Plessis-Villette près de Pont-Sainte-Maxence et de son hôtel parisien. Réfugié une seconde fois auprès de Voltaire en 1777, il y rencontre Renée-Philiberte Rouph de Varicourt protégée désargentée du patriarche de Ferney. On célèbre le mariage de “Belle et Bonne” , (surnom affectueux donné par Voltaire) et du marquis le 12 novembre 1777. Villette aurait sur la déclaration de Voltaire ainsi “purifié” sa maison et “fait un excellent marché”. En février 1778 tout le monde gagne “le Palais-Villette” à Paris, (aujourd’hui quai Voltaire) où Voltaire meurt le 30 mai.
Charles adopte résolument les idées nouvelles. En 1789, il comparaît aux états généraux de la noblesse à Senlis. L’assemblée sous sa proposition et celle du comte de Lameth souhaite se réunir aux deux autres ordres pour rédiger un cahier commun mais le clergé refuse.
Villette fait publier et imprimer cependant “mes Cahiers”, à Senlis en 1789 dont il existe quelques variantes typographiques, les exemplaires les plus complets comptant 55 articles (42 pp.).
Pour l’occasion, son secrétaire et parfois nègre, Claude-Marie Guyetand, publie quelques pièces de circonstance (Bagatelle à Rosine, Senlis, 1789). Charles Villette abandonne ostensiblement privilèges et particule en 1790. (Ce qui nous ramène au supra-libris de ce livre). Il publie des articles dans la Chronique de Paris et réunit ses “Oeuvres”, Londres (pour Montargis) 1786 sur différents papiers végétaux ou Edimbourg et Paris, 1788 et “Lettres choisies sur les principaux événements de la Révolution” (Paris, 1792). Enfin conventionnel de l’Oise, il éprouve la fureur du temps et l’acidité de la critique. Opposé aux massacres de septembre, décrété d’accusation, il échappe à l’échafaud.
Sa réputation est attaquée depuis longtemps. Publié en 1789 les “Confessions générales des princes du sang royal, auteurs de la cabale aristocratique; item, de deux catins distinguées qui ont le plus contribué à cette infernale conspiration...” mettait en scène une catin passant contrat avec le “Marquis de Vilette... un B(ougre) décidé”. Au voisinage de 1791 sort une plaquette anonyme “Vie privée et publique du ci-derrière marquis de Villette, citoyen rétroactif”, s.l. (Paris). On ne compte plus les estampes érotiques utilisant son nom et on prête à Voltaire lui-même quelques bons mots perfides. Malade, Villette meurt néanmoins naturellement le 9 juillet 1793.
Quant au livre de Petiot, après une rapide lecture, il s’élève contre l’avis que les vertus ne se trouvent que dans les temps passés et souhaite une mode salutaire vers le beau moral, le bien-être commun, les goûts simples et naturels. Il ne désespère pas de la patrie et appelle de ses voeux une autorité des moeurs plus éclairée et moins culpabilisante. Il se félicite de l’influence des Lettres du siècle et de leurs lumières sur l’amélioration des moeurs.
Dans son envoi, Petiot, fait allusion à l’ouvrage de madame de Genlis “Essais sur l’éducation des hommes et particulièrement des princes par les femmes, pour servir de supplément aux Lettres sur l’éducation” Amsterdam et Paris, 1782.
Si on peut y lire “(qu’)une femme dans l’emploi d’un homme ne serait jamais qu’un homme médiocre plus ridicule qu’un homme efféminé” sans doute ne faut il y voir que coïncidence.
Rappelons que dans l’article IL de ses cahiers, Villette propose de “déroger à l’usage gothique, qui exclut les Femmes de nos assemblées politiques...”.
Finalement, je ne crois pas que cette dédicace soit une attaque de plus des moeurs de Villette, de sa position ou de ses fréquentations. En tous cas notre marquis n’en prit pas ombrage et serra le livre dans sa bibliothèque.