Amis Bibliophiles bonjour,
Sur le stand de la librairie Cambon, au milieu de belles pièces (beaux cartonnages romantiques, reliures mosaïquées, éditions originales recherchées) se trouvait un petit ouvrage, sans prétention.
Il ne montrait que son dos de maroquin beige, sans ornement : seulement l’auteur (Anatole France), le titre (poésies), et l’année (1896). Aucune dorure superflue, pas plus d’ailleurs sur les plats.
Une fois ouvert, tout de même, une riche dentelle intérieure encadre les contre-plats de tabis rouge, de même que les gardes.
Ah, tout de même ! dans la dentelle se cache la signature du relieur : R.P. Raparlier.
Voyons voir… les Poésies, Anatole France, 1896 : c’est l’édition définitive, en partie originale, publiée par Lemerre à tout petit nombre (pour les grands papiers) : 25 Hollande, 15 chine, 5 japon.
Raparlier, c’est le relieur préféré d’Anatole France, dont il évoque déjà le nom (en fait, celui de son père) dans « le livre du Bibliophile », en 1876, signé par Lemerre.
Cet exemplaire est truffé. Un précédent propriétaire a laissé la fiche descriptive, avec son numéro d’inventaire. L’écriture est belle, et rappelle quelque chose…
Une carte au chiffre AC a été rajoutée. Il s’agit d’une lettre assez émouvante : «pourquoi te plais-tu donc à me faire souffrire (sic) ainsi ?» «je suis désespérée». Qui a pu écrire cette lettre, et quel rapport avec le livre ?
Un peu plus loin se trouve un ex-libris : un bouquet de fleurs, avec les initiales LAC. On retrouve le AC de la carte. Sans doute pas une coïncidence !
Allons plus loin : cet exemplaire est sur chine. Quel est son numéro ? ah ! il n’est pas numéroté ! il porte la mention « exemplaire de l’auteur » et la signature de Lemerre.
Exemplaire de l’auteur ! Mais alors, regardons mieux la fiche descriptive : eh oui, on reconnaît bien l’écriture d’Anatole France !
Mais alors, si c’est son exemplaire, les initiales LAC doivent désigner Léontine Arman de Caillavet ! Et la carte au chiffre de AC est une lettre de Mme Arman de Caillavet à Anatole France !
Petit Rappel historique : Léontine Lippmann (née en 1844) se marie en 1868 avec Albert Arman, qui se fait appeler Arman de Caillavet, du nom de sa mère. Comme de nombreux autres à cette époque, il tient beaucoup à cette fausse particule, au point de demander à changer de nom. Le Conseil d’Etat l’autorise seulement à s’appeler Arman-Caillavet, mais ce n’est pas important : le nom avec particule est passé dans l’usage courant.
Mme Arman (ou Mme de Caillavet comme on finira par l’appeler) tient salon dans son hôtel particulier, 12 avenue Hoche. Anatole France, avec qui elle entretient une liaison passionnée, voire orageuse (ce qu’illustre bien la petite carte présente dans ce livre), est toujours présent.
Mme de Caillavet exercera une grande influence sur Anatole France. Elle prend une grande part dans plusieurs œuvres importantes, dont principalement « Le Lys Rouge », qui transpose leur histoire commune. Jules Renard, dans son journal, en donne un autre exemple : Pour l’adaptation à la scène de « Crainquebille », elle suggère une fin différente, adoptée par Anatole France.
Léontine Arman de Caillavet meurt en 1910. Elle laisse un fils, Gaston Arman de Caillavet, écrivain, proche d’Anatole France (ils collaborent sur l’adaptation du Lys Rouge à la scène), qui mourra en 1914. La fille de Gaston et de son épouse Jeanne Pouquet, Simone, épousera en secondes noces André Maurois.
Le salon de Mme de Caillavet est fort fréquenté, et reçoit notamment un jeune homme qui n’a encore rien écrit, et qui est fasciné par Anatole France, au point d’oser lui demander cette même année 1896 une préface pour son premier ouvrage, «Les Plaisirs et les Jours» (en fait c’est Léontine qui se charge de cette demande…). Ce jeune homme, fidèle de ce salon, ami proche de la famille, saura s’en souvenir pour son grand oeuvre. On retrouve de nombreux traits d’Anatole France dans Bergotte ; Mme Verdurin, Saint-Loup, Gilberte, doivent beaucoup à la famille Caillavet.
Debout sur la chaise, Jeanne Pouquet, belle-fille de Léontine Arman. A ses pieds, un futur auteur connu. |
Ces ouvrages, avec ceux de sa belle-fille Jeanne Arman de Caillavet (Jeanne Pouquet) seront dispersés à Drouot, les 1er et 2 juin 1932.
Les poésies, exemplaire de l’auteur, figure dans le catalogue, sous le numéro 72. Voici sa description :
La fiche descriptive d’Anatole France, bien que volante, est toujours dans l’ouvrage ! mais entretemps celui-ci s’est enrichi de la carte, qui bien évidemment a été acquise à une autre occasion.
Le lot a été adjugé 530 francs, auxquels il faut ajouter 14% de frais de vente : 600 francs de 1932, ce qui donnerait aujourd’hui 375 euros.
Le lot suivant du catalogue de 1932, le numéro 73, est ainsi décrit :
Il a été adjugé 500 francs, ce qui donnerait 350 euros.
A noter au passage qu’il est décrit comme petit in-12, et le précédent in-16, alors qu’il s’agit du même tirage ! d’ailleurs les deux indications ne sont pas plus exactes l’une que l’autre ; il s’agit d’un format in-4°, mais les dimensions correspondent à un format in-12.
Ce livre remarquable par sa dédicace peut être suivi depuis cette vente. En effet, Vandérem parle de cet exemplaire dans « Gens de qualité ». Il est passé dans les bibliothèques successives de Jacques Dennery (1984, lot 87) puis du Colonel Sicklès (vente IX, 1991, lot 3641). On le retrouve en 1999 chez Piasa, vente du 28 avril, lot 496, adjugé 7500 francs (soit 1450 euros aujourd’hui).
D’autres ouvrages du catalogue de 1932 peuvent être également suivis.
Voici notamment le numéro 34 : Les noces Corinthiennes. Cet exemplaire possède une très belle reliure de Raparlier, dans laquelle une miniature du XVIIe siècle a été insérée. Il a fait partie de la collection Hayoit, et figure à sa vente sous le numéro 407. Il est récemment repassé en vente, chez Briest-Poulain-Tajan, le 16 octobre 2013, sous le numéro 33. Vendu 4000 francs en 1932, puis estimé 1500 euros en 1995, il a été adjugé 3000 euros (avec les frais) l’an dernier.
Hayoit avait un second ouvrage provenant de cette vente : La Rôtisserie de la Reine Pédauque, lot numéro 417, exemplaire numéro 1 sur japon, relié par Raparlier, estimé 1500 euros. Cet exemplaire figurait à la vente de 1932 sous le numéro 58 ; il avait été adjugé 7600 francs. Il contient également sa fiche descriptive de la main d’Anatole France, et un fragment autographe de l’épitaphe de Jérôme Coignard. Cet exemplaire avait fait partie de la collection Simonson (vente de 1946, numéro 379).
Le numéro 112 de la vente de 1932, «Histoire de Dona Maria d’Avalos et du Duc d’Andria», revêtu d’une reliure très décorative de Carayon, avait été adjugé 1400 francs à l’époque.
Il est repassé en vente chez Binoche et Gicquello le 9 novembre 2012 (lot 55) où il a obtenu 2200 euros. Comme plusieurs autres exemplaires de cet ensemble, il a fait partie de la bibliothèque de Léontine, puis de sa belle-fille Jeanne. Ces livres, qui n’avaient pas d’autographe originellement, ont alors été dédicacés par Anatole France à Jeanne Pouquet.
Calamar
Il est repassé en vente chez Binoche et Gicquello le 9 novembre 2012 (lot 55) où il a obtenu 2200 euros. Comme plusieurs autres exemplaires de cet ensemble, il a fait partie de la bibliothèque de Léontine, puis de sa belle-fille Jeanne. Ces livres, qui n’avaient pas d’autographe originellement, ont alors été dédicacés par Anatole France à Jeanne Pouquet.
Calamar