Amis Bibliophiles bonjour,
Je suis très heureux de vous présenter le nouvel ouvrage de Rémi Jimenes. Rémi est à la fois l'un des plus jeunes lecteurs de bibliophilie.com et du Blog du Bibliophile, mais aussi l'un des premiers!
J'avais déjà eu l'occasion de présenter le premier ouvrage de Rémi (Les caractères de civilité, Atelier Pessousseaux Editeur, dans la collection Histoire de l'écriture typographique), qui était déjà très réussi.
Cette fois-ci, Rémi nous présente "Charlotte Guillard, une femme imprimeur à la Renaissance", avec une préface de Roger Chartier, dans la collection Renaissance, aux Presse Universitaires de Rennes / Presses Universitaires François Rabelais.
Je vais vous le dire très simplement: cet ouvrage est l'un des plus beaux et des plus intéressants ouvrages de bibliophilie que j'ai eux entre les mains: 304 pages, sur papier glacé, abondamment illustrées, couverture rigide, 21 x 28 cm. Disponible au prix de 34 euros.
Je suis certain que vous connaissez le Soleil d'or, mais connaissez-vous Charlotte Guillard?
Typographe brillante, veuve tour à tour des imprimeurs Berthold Rembolt et Claude Chevallon, Charlotte Guillard administre en maîtresse femme l'atelier du Soleil d'or à Paris pendant 20 ans (1537-1557).
Cette figure exceptionnelle de la Renaissance française permet à l'entreprise de s'accaparer le marché de l'édition juridique et des Pères de l'Église. Associant dans un même projet intellectuel théologiens conservateurs et lettrés épris de nouveautés, sa production témoigne de la vivacité des débats qui agitent les milieux intellectuels et humanistes au siècle des Réformes.
J'ai voulu demander à Rémi de nous présenter lui-même son ouvrage.
Bonjour Rémi, qui est Charlotte Guillard ?
C’est une femme imprimeur du XVIe siècle. Née vers 1485, elle est issue d'un milieu de marchands et de petits juristes manceaux, et c'est par son mariage avec l'imprimeur parisien Berthold Rembolt, vers 1507, qu'elle est entrée en librairie. Après la mort de Rembolt en 1519, elle épouse le libraire Claude Chevallon, qui meurt à son tour en 1537. À partir de cette date, Charlotte Guillard prend la direction de l'atelier du Soleil d'Or qu'elle administrera pendant près de vingt ans, jusqu'en 1557. Sous sa direction, son entreprise est devenue l'une des imprimeries les plus puissantes de Paris, dominant notamment le marché des livres de droit et des œuvres des Pères de l’Église.
Elle a d'ailleurs exercé une influence déterminante sur l'imprimerie parisienne en facilitant l'entrée dans la carrière de ses neveux et nièces, parmi lesquels figurent les libraires Pierre Haultin, Jacques Bogard, Sébastien Nivelle, Martin Le Jeune, Guillaume Desboys, Jean Ruelle ou encore Guillaume Guillard.
Cela lui vaut une certaine réputation ?
Oui. Son nom est aujourd'hui relativement célèbre chez les libraires, les bibliophiles et les bibliothécaires car sa production fut assez abondante : elle a donné près de 200 publications, dont un grand nombre de magistrales éditions en plusieurs tomes in-folio. Comme figure féminine, Charlotte Guillard a d'ailleurs très tôt attiré l'attention des historiens et, aujourd'hui, elle est régulièrement citée dans le cadre de travaux portant sur l'histoire des femmes et les études de genre. On l’y décrit généralement comme une business woman intrépide et talentueuse, incarnant une forme d’émancipation féminine avant l'heure.
Mais, en dépit de cette relative célébrité, Charlotte Guillard demeure mal connue. Les hommages qui lui ont été rendus depuis près de 500 ans sont finalement restés très superficiels : la plupart des historiens se sont contentés d'en dresser un portrait un peu caricatural. J'ai donc tâché de donner un peu de relief à ce portrait pour dépasser le simple cliché, en étudiant en profondeur sa carrière, en m'intéressant à son activité, à ses réseaux de collaboration, à son entourage familial et professionnel.
Qu'est ce qui fait de Charlotte Guillard une figure à part de l'histoire de l'imprimerie ?
Plusieurs choses. D'abord, le caractère exceptionnellement long de sa carrière. Depuis le Moyen Âge, les femmes libraires n'étaient pas rares, mais seules les veuves avaient le droit d'exercer en leur nom la profession de leur défunt mari. Cela les condamnait à mener des carrières relativement courtes puisqu'elles étaient elles-mêmes souvent âgées au moment de leur veuvage. Bien qu'elle ait été mariée deux fois, Charlotte Guillard a pu conduire une carrière personnelle longue de deux décennies. C'est exceptionnel !
Dans l'imprimerie parisienne du XVIe siècle, seule sa consœur Yolande Bonhomme, veuve de Thielman Kerver, semble avoir eu une activité plus longue.
Par ailleurs, l'atelier au sein duquel elle évolue n'est pas une imprimerie anodine. Le Soleil d'Or, , fondé par Ulrich Gering en 1473, est la plus ancienne imprimerie du Royaume. En en prenant la direction, Charlotte Guillard hérite donc d'une tradition longue de plus d'un demi-siècle.
Sur le fond, son catalogue est remarquablement intéressant. Comme je l'ai dit, Charlotte Guillard se positionne sur le créneau des livres de droit savant et des œuvres des pères de l’Église.
Il s'agit là de deux terrains décisifs sur le plan intellectuel et idéologique dans les années 1530-1550, au moment où se développe l'humanisme et la réforme catholique. Pour conduire cette politique, Charlotte Guillard a donc collaboré aussi bien avec les docteurs de la Faculté de théologie, réputés réactionnaires, qu’avec les plus célèbres humanistes de son époque : Jacques Toussain (l'un des deux Lecteurs royaux nommés par François Ier pour l'enseignement du grec), Guillaume Postel, Antoine Mizault, Jean Du Tillet, Jacques de Vintimille, Clément Marot, etc. J'ai tenté de comprendre cette apparente contradiction, en identifiant les critères qui présidaient à la définition de sa politique éditoriale, pour montrer qu'en réalité, les théologiens avec lesquels elle collaborait, loin d'être d'obscurs « sorbonnagres », partageaient avec les humanistes le goût de l'histoire et de la philologie et la volonté de réformer l’Église de l'intérieur.
Sur le plan typographique, enfin, sa production témoigne d'une remarquable modernité : il suffira ici de dire que Charlotte Guillard a été l'une des premières patronnes du jeune Claude Garamond.
Votre ouvrage présente donc sa vie et sa carrière ?
Oui, il s'agit d'une monographie centrée sur l'activité de Charlotte Guillard. Je me suis donc intéressé à ses origines, à ses pratiques commerciales et à ses réseaux de collaboration. Mais outre cette étude, l'ouvrage comprend également une liste détaillée des documents d'archives relatifs à Charlotte Guillard et à son entourage et surtout une bibliographie de sa production sous la forme d'un short-title catalogue donnant la collation précise de chaque volume concerné. J'ai tâché d'en faire un instrument de travail utile aux bibliophiles et aux libraires. Et l’éditeur s’est chargé d’en faire un beau livre !
Comment est né ce projet?
Ce livre est issu d'une thèse de doctorat, soutenue en 2014 à l'Université de Tours. Mais cette recherche remonte en réalité à mon entrée en master, en 2006. C'est Jean-Paul Veyssière, libraire spécialiste des éditions grecques du XVIe siècle, qui m'a parlé pour la première fois de Charlotte Guillard, à l'occasion d'une présentation de livres anciens au Centre d'études supérieures de la Renaissance. Je cherchais alors un sujet de mémoire. Jean-Paul me montra le Lexicon graecolatinum de Jacques Toussain publié en 1552 par Charlotte Guillard et, avec des étincelles dans les yeux, me conseilla de m'intéresser à cette femme. Le conseil était bon ! Beaucoup plus tard, je me suis aperçu que « Jean Paul Veyssière » avait pour anagramme « Je n'y ai pas rêvé seul » ! Il était donc naturel que je dédie cet ouvrage au libraire qui l'avait inspiré.
Merci Rémi.
J'ai en grande partie parcouru l'ouvrage, et j'ai prévu de m'y plonger pendant mes congés de fin d'année: l'ouvrage est très réussi, abondamment illustré, et le texte captivera les bibliophiles: vous y croiserez des figures bien connues, les grand humanistes du XVIe siècle (et même un sympathique libraire du XXIe sicèle, la Réforme, une partie très intéressante sur les "gens du livre" de l'époque, mais c'est également une plongée captivante dans le Paris de l'époque. Le tout se lit très simplement, entre roman biographique et ouvrage de référence.
Une magnifique réussite!
H
Vous pouvez accéder au bon de commande ci-dessous, ou le commander à https://pufr-editions.fr/produit/charlotte-guillard/