« Après le plaisir de posséder des livres, il n'en est guère de plus doux que celui d'en parler. » Charles Nodier

"On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact journalier des bibliophiles, des libraires et des livres."
Henri Beraldi, 1897.

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lundi 8 décembre 2014

Retour de marché: Ibra, Didon, Végèce... scène de ménage chez le bibliophile

Amis Bibliophiles bonjour,

Souvenez-nous, notre héros rentre du marché Brassens, un joli XVIe sous le bras, Des bains & antiques exercitations de Du Choul.
 
 
"- Mon bibliofilou, que ramènes-tu de ton marché ?
- Pas grand'chose, mon adorée ; vous savez bien que plus le temps passe et plus il s’appauvrit. Une misère absolue... On n'y trouve pour ainsi dire rien. Cependant je vous ai dégoté un mignon Almanach des Demoiselles en belle reliure romantique ; vous serez ravie...- Mon chéri-chéri, je te l'ai pourtant répété cent fois : je ne collectionne pas les almanachs... Comment te le dire ? Dois-je le chanter ? Dois-je glisser des petits mémos sous ton oreiller ?
- Ma bien-aimée...
- D'ailleurs je ne pense pas avoir jamais collectionné quoi que ce soit de ma vie, rien de rien, rien-du-tout-du-tout ; ni sacs à main, ni Louboutins et certainement pas des bouquins. Par contre je côtoie régulièrement un être vil et fourbe qui m'assure, à mon corps défendant, qu'une petite série d'ouvrages pour dames décorerait agréablement le peu d'espace personnel qu’il me reste dans cette maison. Ce à quoi, dois-je aussi te le rappeler, je me suis toujours opposée.
- Ma dive bouteille, vous exagérez…
- Mon tire-bouchon, te connaissant comme je te connais, je devine que cet almanach cache quelque chose. Peut-on savoir quelle est cette bosse à ta besace ?
-Mon bel amour, je te sens ronchonne ce matin. Que dirais-tu d'un petit resto ? La pizzeria, l'Indien ?
- Et que me parles-tu d'indiens quand je vois un livre qui dépasse ?
- Un livre ? Comme vous y allez ma mie... A peine un opuscule, une plaquette, quelques feuillets que le hasard a réunis entre eux. Vraiment rien de notable, ni de conséquent. Le temps de le ranger et nous partons déjeuner. Une pizza ce sera très bien ; une Capricciosa, comme vous les aimez...
 
- Montre !
- Vous y tenez ?
- Et bien sur que je tiens à savoir pourquoi tu m'infliges un Almanach dont je n'ai que faire.
- C'est pourtant très utile pour connaître le calendrier.
- Que Noël tombe un jeudi en 1832, voilà qui m'interpelle et mérite réflexion.
- N'est-ce pas ? Il y a aussi de belles illustrations...
- Ah oui, Didon bécotant Enée sous les marronniers…
- Ce sont plutôt des oliviers.
- … devrait éveiller mes sens ?
- C’est mon désir le plus cher.
- Ne me pousse pas à bout, j’aurais des choses à dire sur ce sujet.
- Je ne cherche point à vous provoquer.
- Et que fais-tu d’autre à cette heure ?
- Le vœu que vous appréciez mes trouvailles.
- Et mon vœu à moi est de ne plus avoir à financer tes fantaisies.
- Mes fantaisies ? Quand je contribue à la conservation du patrimoine ? Quand je détourne des circuits mercantis d’inappréciables œuvres imprimées ?
- Que voila un preux chevalier !
- Je n’avais pas de dragon sous la main.

Montre te dis-je !
- Voila.
- Mais qu’est-ce donc que cette vieillerie ?
- Un seizième, ma très suave.
- Et quel rapport avec le sport ?
- Tout est dans le titre ; par exercitations vous devez comprendre manière de s’exercer.
- Donne !
- C’est fragile, permettez que je le tienne.
- Vas-tu me le donner à la fin ?!?
- Non.
- Non ???
- Le voici.
- Il y a t’il une chance pour que le montant porté ici au crayon, soit un prix en francs ?
- Je crains qu’il ne s’agisse d’euros, ma dulcinée…
- Ah !
- Cependant croyez-bien que je l’ai ardemment négocié et que ce prix affiché est absolument sans rapport avec la somme déboursée. Vous pouvez être fière de moi.
- Te l’aurait-on offert ?
- Malheureusement non.
- Je croyais, monsieur mon conjoint, que nous avions, après plusieurs discussions sur cette association économique que nous formons toi et moi, décidé d'une certaine limite mensuelle aux dépenses que tu peux consacrer à ta collection.
- Il me semble m’en rappeler.
- Limite calculée sur la base de nos participations respectives aux dépenses du foyer…
- J’en conviens.
- Et t'en souvient-il que pour un salaire à peine supérieur au tien, je bosse quasiment deux fois plus que toi ?
- Ma douce et tendre, ce sont les 35 heures, qui puis-je ?
- Aux 35 heures, rien ; au budget du ménage, certainement plus que tu n’y contribues. Et dans le contrat qui fait de moi une épousée, je ne vois nul codicille stipulant que je doive m’éreinter au travail afin de satisfaire les addictions de mon épouseur.
- Bien sur que non, ma contractante.
- Le maire ou le curé m'ont-ils demandé, outre d'être une digne et fertile épouse, de me saigner aux quatre veines ?
- Madame votre mère veillait au grain.
- Je sens que je vais me fâcher…
- Ne l’êtes-vous pas déjà ? 
- Tu n’as encore rien vu.
- Je ne dis plus rien.
- Ai-je manqué une partie de la cérémonie ? S'est-il passé quelque chose que j'ignore encore ? Un évanouissement, des absences, des accès subits de surdité ?
- Il ne m’a pas semblé. 
- Donc hormis ce moment d’égarement ou, pour mon malheur, j’ai dit oui, tu reconnais que je disposais de tout mon entendement ?
- Ma brillante étoile, c’est maintenant que vous vous égarez.
- Aussi, mon luminion, tu reconnaitras qu’il te faille appliquer ce à quoi tu t’es engagé.
- Que voulez-vous dire ?
- Que la place manque tout autant que l’argent et que les anciennes acquisitions doivent financer les nouvelles, ainsi que nous en avons convenu.

- Vous m’effrayez !
- Préfères-tu que je fasse le ménage suivant mon idée ?
- Surtout pas !
- Alors je te laisse choisir. De quoi allons-nous nous débarrasser ?
- Mes numéros de l’Equipe de l’année dernière ?
- Il y a belle lurette que je les ai jetés.
- Vraiment ? Vous me peinez.
- Tu n’as pas fini de pleurer.
- Mes vignettes Panini 
- Comment crois-tu que ton fils a payé ses Rollers ?
- Mais avec quelle permission ?
- Il n’a fait que suivre mon conseil.
- Le serre-tête d’Ibra ?
- Je m’en suis fait des jarretières. Y trouverais-tu à redire ?
- Oui… enfin non… enfin si…
- Que veux-tu mon cher, à fétichiste, fétichiste et demi.
- Tout de même, il vaudrait une fortune aujourd’hui.
- Il n’en souligne que mieux le galbe de mes cuisses.
- Je ne vais tout de même pas sacrifier un livre ?
- C’est pourtant l’objet de notre accord. D’ailleurs tu as épuisé tes trois souhaits; à mon tour donc et que le boudin te saute au nez.
- J’en tremble.

- Am Stram gram… Végèce.
- Ah, non ! Pas le Végèce.
- Si le Végèce, justement…
- Pitié, pourquoi lui ?
- Parce que comme tu le dis si bien, tout est dans le titre De re Miltari. Et si Végèce avait voulu disserter sur le sport je suppose qu’il aurait baptisé son traité De ars Athletica ou quelque chose d’approchant.
- Il y est pourtant question de plongée sous-marine, mon impérieuse Messaline.
- Traite-moi encore une fois de Messaline pour voir...
- Il s’agissait pourtant d’une femme très libre, telle que vous aimez les glorifier.
- Te croirais-tu cocu ?
- A dieu ne plaise !
- D’ailleurs tu ne le seras jamais autant que moi je le suis avec tes bouquins.
- Votre imagination vous abuse.
- Pas plus que la tienne qui fait d’un traité militaire, un manuel sportif.
- La plongée, ma naïade, la plongée subaquatique, voyez ce bois gravé…
- Je ne vois ici qu’un piéton franchissant l'Euphrate.
- Mais avec un scaphandre.
- Avec une cloche sur la tête.
- Pourtant les prébmices sont flagrantes, on dirait Cousteau.
- Et si Clausewitz s’habillait de vert, tu y verrais les prémices de l’ASVEL ?
- Vous savez bien que la guerre est l’antichambre du sport.
- Je sais surtout qu’une bibliothèque sportive raisonnable tout autant que raisonnée, ne saurait commencer plus tôt que Saussure et croitre avant Baudry de Saunier.
- Très bonne idée, j’ai un Saunier en double.
- Serais-tu magicien pour le vendre au prix de ton du Choul ?
- Je peux toujours essayer…

- Ce sera Végèce et je ne veux plus en discuter.
- Mais comment et à qui pourrais-je le négocier ?
- Essaye Ebay puisque tu y passes tes soirées.
- Vous savez bien que la plupart de mes achats en proviennent et que bien souvent vous vous réjouissez de leur modicité.
- Passe-le en salle des ventes.
- Nous y perdrions.
- Comment cela ?
- L’étude nous versera moins de soixante-pour-cent du prix final; sans parler de la plus-value.
- Ce serait déjà pas mal.
- Et à la moindre défaillance de l’expert, on se retrouvera au tiers du marché.

- Ou plutôt du prix que tu t’es mis en tête. Moi je vise la réalisation comme le disent si bien les notaires. Vendu, payé. Et hop ! Liquidé l’homme des profondeurs.
- Vous ne savez pas combien il a couté.
- Je ne veux pas le savoir.
- Je ne vous l’ai jamais dit ?
- Vise les chinois, mets-le chez les anglais.
- Ils ne prennent pas les ouvrages à moins de 2000.
- Tu l’as payé 4000 ; tout le liquide de ton héritage.
- Je vous ai dit ça ?
- Le bas de laine de ta maman.
- Mais en vous expliquant que c’était une erreur de jeunesse ; avant de vous connaitre, mon aimée.
- En m’assurant avoir fait un « coup » pour reprendre ton expression… un coup pour lequel les rosbifs ne donnent même pas la moitié.
- Et qu’attendre de l’ennemi héréditaire ?
- Propose-le à un libraire.
- Ils n’ont plus un rond.
- Mets-le en dépôt chez celui qui t’a vendu le du Choul.
- Ce n’est pas un libraire mais un bouquiniste.
- Quelle différence ?
- Il n’est pas membre du syndicat.

- Et alors ?
- L’argent sera bu avant qu’il ne nous revienne.
- Parce qu’au syndicat, ils ne boivent pas ?
- Ce serait contraire à leur éthique.
- La même éthique qui te fait repartir du Grand-Palais en chantant la Madelon ?
- Un simple exercice respiratoire…
- Libatoire, veux-tu dire. D’ailleurs tu jurais tes grands dieux t’être laissé entrainer.
- Est-ce ainsi que vous vous le représentez ?
- Que je l’ai enduré.

- Je n’en garde qu’un souvenir confus.
- Rien de surprenant, vu ton état.
- Vous pensez ?
- En tout cas, j’ai compris. Je vais m’occuper moi-même de ce Végèce.
- Vous toute seule ?
- Pour ne pas changer…"

A suivre

8 commentaires:

Anonyme a dit…

J'aimerais qu'on attende la fin de l'histoire avant de faire rôtir sur le bûcher le parjure compromis qui en est l'auteur :)

(j'avais moins accroché à la première partie, mais là c'est savoureux).

Nicolas

calamar a dit…

çà sent le vécu !

Anonyme a dit…

c'est lourd comme du ugo
c'est lui qui a encore ecris ca ?

Anonyme a dit…

En lisant le blog, on entend certains d'entre vous dire que les prix vont chuter voir chute déjà.
La vente Oger Blanchet de cet après-midi avec ses estimations (certes basses) qui ont parfois été multipliées par 10 laisse penser le contraire.

Pierre a dit…

Un régal de lecture, un moment de délassement, Ugo, qui n'est pas sans me faire penser à une comédie de boulevard repensée par Molière, allez donc savoir pourquoi ?

Peut-être le dilemme molièro-cornélien qui vous fait choisir le moindre mal entre le désir de plaire à votre épouse, et celui de vous faire plaisir ! L'avantage avec Mélusine, c'est qu'elle disparut plutôt que de déplaire à son époux... ;-))

Pierre

Daniel a dit…

A proposer au prochain salon du Grand Palais, en plus de faire jouer sur scène les élèves de conservatoire de musique, faire monter ce texte par des élèves d'un conservatoire de théâtre...et pas de souci pour trouver les accessoires, Un Du Choul traînera bien sur un stand, ce serait sans doute plus difficile pour l'album Panini ou l'année complète de l'équipe mais ils ont déjà disparus au moment de la scène ;))

Merci Ugo, je me suis bien reconnu comme nombre de bibliophiles sans doute.Le Du Choul pour les instruments de musique qui sont représentés par Vase pour ma bibliothèque musicale, c'est aussi fort que le sport, et ça ma plus que traversé l'esprit, j'ai honte. ;))

Daniel B.

Olivier a dit…

Moi ça me fait penser à Achille Talon (ce qui est un compliment sous mon clavier).

Les prix qui chutent ? mais par rapport à quoi, quel étiage?

Olivier

Anonyme a dit…

ouuiii c'est cela, du Achille Talon !
Mais au moins avez Achille on a qq image de Greg, ca allège.

Pierre, au lieu de vendre des livres, vous devriez les lire, Moliere c'est beaucoup plus aéré.

Moi aussi je trouve que les prix chutent, mais quand j'ai vendu mes livres en octobre, j'ai fait une plus value sympa. C'est toujours qqchose de bizarre le pessimisme.

jlp

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