« Après le plaisir de posséder des livres, il n'en est guère de plus doux que celui d'en parler. » Charles Nodier

"On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact journalier des bibliophiles, des libraires et des livres."
Henri Beraldi, 1897.

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lundi 10 décembre 2012

"Sichergestellt durch Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg für die besebzten Gebiete", ou la triste histoire des livres spoliés par les nazis pendant la 2e Guerre Mondiale

Amis Bibliophiles bonjour,

Parcourir des classeurs d'ex-libris rassemblés par un ami réserve parfois des surprises étonnantes: on y croise de grands bibliophiles, des libraires, des anonymes mais aussi d'autres choses plus étonnantes, comme l'étiquette ci-dessous. 

Dans tous les cas, ces petites étiquettes sont une invitation au voyage et à la découverte. L'histoire que raconte celle-ci est moins douce que les autres, mais elle permet d'entrevoir malgré tout le destin connu par de nombreuses bibliothèques au cours de la deuxième guerre mondiale.


Le court texte qui figure sur cette étiquette, qui était elle même apposée sur le contreplat d'ouvrage, est en allemand: "Sichergestellt durch Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg für die besebzten Gebiete", elle pourrait être traduite par "mis en sécurité par l'Einsatzstab du Reichsleiter Rosenberg pour les territoires occupés", ou "assuré par l'Einsatzstab du Reichsleiter Rosenberg pour les territoires occupés".

L'Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg était l'équipe d'intervention du Reichsleiter Rosenberg, une section du bureau de politique étrangère du NSDAP, dirigée dès 1933 par Alfred Rosenberg. L'ERR se voulait être l'organe exécutif de la Hoher Schule (« École supérieure ») de Rosenberg. L'ERR a effectué à partir de 1940 d'importantes confiscations de biens appartenant à des juifs et des franc-maçons dans les territoires occupés par la Wehrmacht.

Alfred Rosenberg (1893-1946) est un théoricien du parti nazi. Il est en outre responsable des massacres organisés dans les territoires à l'est de l'Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, notamment en tant que ministre du Reich aux Territoires occupés de l'Est. 

Il est condamné à mort le 1er octobre 1946 après avoir été reconnu responsable des massacres organisés à l'est de l'Allemagne pour plan concerté ou complot, crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l'humanité lors du procès de Nuremberg. Il est pendu le 16 octobre 1946. Quand il lui est demandé s'il a quelque chose à déclarer avant son exécution, il répond simplement : «Non.»

Rosenberg est aussi connu pour son rejet du christianisme, et pour avoir joué un rôle important dans le développement du paganisme qu'il percevait comme une transition vers une nouvelle foi nazie ainsi que pour son antimaçonnisme. Se considérant comme le « gardien du temple du national-socialisme », notamment de son idéologie, il fut tout au long de sa carrière raillé par les pontes du régime, pour son intellectualisation de la doctrine du parti, qui, en définitive, comme le note Joachim Fest, « résidait dans l'exercice du pouvoir », et non dans une « façade idéologique ».


Il est chargé à partir de 1940 de la confiscation des œuvres d'art et des bibliothèques volées aux Juifs à travers l'Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, dirigé, à Vilnius, par le Dr Muller. C'est en fait un ordre d'Hitler du 5 juillet 1940 qui autorise l'ERR à confisquer dans les territoires occupés :

- les bibliothèques d'État et les archives des manuscrits précieux pour l'Allemagne ;
- les greffes des autorités ecclésiastiques et des loges maçonniques ;
- tous les autres biens culturels de valeur appartenant à des juifs.

Le 18 novemtre 1940 Hitler ordonnait que toutes les oeuvres d'art confisquées soit envoyées en Allemagne et placées à sa disposition personnelle.


A Paris, l'ERR était opérationnel dès juillet 1940. L'administration centrale a toutefois été transférée à Berlin le 1er mars 1941. D'avril 1941 à juillet 1944, 29 convois ont transporté des biens saisis de Paris jusqu'au château de Neuschwanstein en Allemagne, où l'ERR avait constitué son principal lieu d'entreposage. Jusqu'au 17 octobre 1944, selon l'estimation de l'ERR elle-même, 1 418 000 wagons de chemin de fer contenant des livres et des œuvres d'art (ainsi que 427 000 tonnes par bateau) ont ainsi transité vers l'Allemagne depuis les territoires occupés.


En France, des objets d'art ont été confisqués dans plus de 50 lieux différents et exposés lors de 7 expositions au Jeu de paume, surtout dans le but de montrer à Rosenberg et Hermann Göring, avec lequel l'ERR a collaboré étroitement à Paris, une vue d'ensemble des objets précieux confisqués. Des bibliothèques firent ainsi l'objet de saisies, dont la "Bibliothèque polonaise", la "Bibliothèque Turgenjev" et les bibliothèques de nombreuses loges parisiennes, qui devaient alimenter la bibliothèque centre de l'École supérieure. Mi 1941, le travail de l'ERR en France était pratiquement achevé. Selon le rapport de travail de l'ERR, 203 collectes avaient concerné 21 903 objets.

Une des expositions au Jeu de Paume
L'ERR en France, sous la direction de Gerhard Utikal, des docteurs Gerhard Wunder et Karl Brethauer, de Franz Seiboth et de l'inspecteur Hans Hagemeyer, cinq équipes spéciales coordonnaient l'activité de depuis Paris :
Équipe musique (Dr. Herbert Gerigk)
Équipe arts figuratifs (Kurt von Behr, Robert Scholz)
Équipe bibliothèques des grandes écoles (Dr. Walter Grothe)
Équipe préhistoire (Prof. Hans Reinerth)
Équipe églises (Anton Deinert)

Le rôle joué par Goering dans les vols perpétrés par l'ERR fût important. Il est en effet avéré qu'il s'appropriait, en contradiction avec l'ordre du 18 Novembre 1940 émanant de Hitler, une grande quantité d'objets d'art (environ 700). Il tenta même de légitimer ces appropriations en appointant un artiste français, Jacques Beltrand, expert officiel du gouvernement français.  Les objets estimés et choisis par Bertrand étaient ensuite envoyés à l'état-major de Goering à Berlin, pour paiement. Néanmoins, aucun paiement ne fût envoyé par Goering à l'ERR, et aucune méthode n'a jamais été envisagée. 

Les collections spoliées sont souvent connues (Rothschild - dont des livres - , Kann, Weil-Picard, Wildenstein par exemple) et les objets spoliés furent souvent précisément inventoriés (http://www.lootedart.com). Ainsi, le rapport Scholz établi en juillet 1944 dénombre-t-il: 
1. Tableaux, aquarelles, gravures, pastels, miniatures et autres: 10,890 
2. Sculptures: 583 
3. Meubles:2,477 
4. Textiles (tapisseries, tapus, etc.): 583 
5. Objets d’art: 5,825 
6. Art asiatiques: 1,286 
7. Objets antiques: 259 

Au total, on estime à au moins 21 903 les objets spoliés, issués de 203 collections.  Certains d'entre eux furent revendus, échangés ou confiés à des marchands tels Gustav Rochlitz, Adolf Wuester, Max Stoecklin, etc.


Pour les bibliophiles, il est intéressant de noter que si des bibliothèques privées ou publiques ont été pillées, et les ouvrages marqués de l'étiquette de l'ERR, les livres ne sont pas ou très rarement inventoriés. 

Livres volés par l'ERR, à Riga
Tâche trop titanesque ou objets qui ne furent pas considérés par les nazis comme des oeuvres d'art? Réservés à "l'étude" à la Hohe Schule? Ou était-ce simplement parce qu'il n'y avait pas de bibliophiles par les hauts dignitaires nazis? 

Tiens, j'ai envie de penser cela.

H


4 commentaires:

Anonyme a dit…

Très intéressant article, merci!
S.D.

Olivier a dit…

Merci pour toutes ces infos!
Sur la dernière remarque (à laquelle je souscris) les exemplaires venus du Berghof et estampillés par la 2ème DB (tiens prends ça!) montre qu'il y avait là, sinon un bibliophile, du moins un amateur...

Olivier

Anonyme a dit…

Pour les livres, voir "La Nouvelle Revue des livres anciens", N° 3-2010, p.74.

Anonyme a dit…

Merci Hugues
Thérèse D.

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