« Après le plaisir de posséder des livres, il n'en est guère de plus doux que celui d'en parler. » Charles Nodier

"On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact journalier des bibliophiles, des libraires et des livres."
Henri Beraldi, 1897.

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jeudi 29 mai 2014

Mark Hofmann, faussaire, assassin et le Oath of a Freeman, premier texte imprimé en Amérique du Nord.

Amis Bibliophiles bonjour,

Un peu plus d'un million et demi de dollars, c'est le montant de l'enchère remportée en 1985 par la Bibliothèque du Congrès et l'American Antiquarian Society pour un document exceptionnel, l'un des tous premiers testes imprimés aux Etats-Unis, si ce n'est le premier; son titre? «The Oath of a Freeman» ou «le Serment d’un affranchi», une plaquette dont on avait jusque là perdu toute trace, imprimée en 1639 par Stephen Daye. 


Le texte est en fait un serment de loyauté établi par les "hommes libres" de la colonie de Plymouth, qui promirent de défendre les intérêts britanniques. Ecrit en 1634, révisé en 1634, il fût imprimé pour la première fois en 1639 (à une cinquantaine d'exemplaires, que l'on croyait tous disparus, donc) puis réimprimés en 1647.

On imagine aisément l'intérêt que pouvait représenter ce document pour la plus grande et la plus prestigieuse des bibliothèques américaines. Au moment de son acquisition, alors que le document était expertisé, survînt pourtant un événement qui vint remettre en cause son authenticité. En effet, le 15 octobre 1985 une première bombe explose à Salt Lake City, tuant Steven Christensen, un bibliophile américain, fils d'un riche homme d'affaires. Le même jour une deuxième bombe explose et tue Kathy Sheets, l'épouse d'un ancien employé de Christensen. Le lendemain une troisième bombe explose dans une voiture faisant un blessé grave. Cet homme s'appelle Mark Hofmann et la police découvrira rapidement que cette série d'attentats n'est pas due à des revendications politiques ou à des règlements de comptes mafieux, mais bien liée à une escroquerie relative au monde de la bibliophilie, et plus spécifiquement liée à la contrefaçon.


Mais qui est Mark Hofmann? Mark William Hofmann, né en 1954 est un faussaire américain, qui a particulièrement sévi dans l'univers de la bibliophilie. Il purge depuis 1988 une peine de prison à vie dans la prison d'état de l'Utah pour avoir assassiné deux personnes lors d'attentats à la bombe dont le but était de gagner du temps pour mener à bien une escroquerie.

Mark Hofmann est né à Salt Lake City, ville fondée au xixe siècle par des pionniers mormons de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, couramment appelés mormons. Elle est désormais le siège mondial de l'Église. Mark Hofmann est lui même mormon. Adolescent il collectionne les pièces de monnaie et s'essaie déjà à la contrefaçon sur des pièces anciennes. Comme de nombreux jeunes mormons, Hofmann fût volontaire pour passer deux ans à l'étranger en tant que missionnaire. C'est à Bristol, en Angleterre, qu'il passera ces deux années et commencera à fréquenter les librairies anciennes. 

A son retour aux Etats-Unis il se marie, a quatre enfants et il semble que ses activités de faussaire démarrent à son retour au début des années 1980. 

Ainsi, en 1980, Hofmann déclare avoir chiné une bible du roi Jacques datant du XVIIe siècle renfermant un document manuscrit relatif aux origines de l'Eglise mormonne, et notamment de son livre fondateur, le "Book of Mormon". Le document est authentifié par un expert, et acquis par le département historique de l'Eglise mormonne pour 25 000 dollars, établissant la réputation de Hofmann. Cette transaction réussie est l'opportunité pour lui de s'établir comme libraire en livres anciens. En réalité, il continue à produire des faux qu'il vend à l'Eglise mormonne en les faisant passer pour des découvertes exceptionnelles. Il apparaîtra lors de son procès que si sa motivation première était financière, Hofmann se réjouissait également de se jouer de cette Eglise dont il se détachait progressivement.

Parmi les documents vendus par Hofmann à l'Eglise mormonne figurèrent par exemple une lettre de Joseph Smith, le prophète de cette Eglise, établissant sa succession. Un document de première importance donc a priori, et ce d'autant plus que la lettre faisait apparaître Smith sous un aspect peu flatteur. On le constate, l'idée d'Hoffman était une nouvelle fois d'abuser financièrement l'Eglise mormonne tout en la ridiculisant. Lors de son procès, il reconnaîtra que son but ultime était de créer une fausse version du Book of Mormon, "l'évangile" de cette Eglise, contenant de nombreuses erreurs afin d'embarrasser la hiérarchie mormonne.

En 1984, Mark Hofmann met une nouvelle lettre sur le marché, la "lettre de la Salamandre" qui est restée célèbre. Dans ce document, on apprend que le prophète Joseph Smith a cherché à produire de l'or à travers des procédés magiques, mais également blasphémé en faisant passer l'ange qui lui était apparu en rêve par une salamandre blanche. Le scandale potentiel est énorme. Deux experts se penchèrent sur la lettre à l'époque, avec des avis divergents. 


Au final, il apparaît qu'Hofmann a écoulé un nombre important de faux documents mormons au début des années 80, des documents qui pouvaient souvent porter préjudice à l'Eglise mormonne et que celle-ci se trouvait donc d'une certaine façon obligée d'acquérir pour se protéger du scandale. Mais il a également vendus des documents autographes de George Washington, John Adams, John Quincy Adams, Daniel Boone, Mark Twain, Nathan Hale, Abraham Lincoln, John Milton, Paul Revere, etc. Tous des personnages clefs de l'histoire des Etats-Unis.

En 1985, son «Oath of a Freeman», cette unique page imprimée est en fait son chef d'oeuvre si l'on peut dire. Pour forger un document le plus authentique possible, Hofmann avait patiemment assemblé des lettres découpées dans un autre ouvrage de l'imprimeur Stephen Daye, avant de faire graver le tout sur un papier du XVIIe.

Le problème de Hofmann est qu'il était également bibliophile. Malgré des rentrées d'argent importantes, il était constamment à la recherche de nouveaux fonds pour acquérir des ouvrages destinés à sa propre bibliothèque. Lancé dans une escroquerie autour de la vente d'une bibliothèque qu'il ne détenait pas, c'est pour gagner du temps qu'il construisit les deux bombes dans le but d'assassiner les personnes qui commençaient à douter de son honnêteté.

C'est en fait après son arrestation lors de l'explosion de la troisième bombe dans sa voiture, et alors que le "Oath of a Freeman" est en train d'être expertisé, que la police découvre dans la cave de sa maison son atelier de faussaire et la plaque qui a servi à graver le serment. 

Pour éviter la peine de mort, Hofmann a plaidé coupable. 

H

2 commentaires:

Aurélien Langlois a dit…

Comme si souvent, cet article m'illumine. Je n'avais jamais entendu parler de cet escroc, encore moins soupçonné que la bibliophilie pût avoir eu tant d'influence sur l'histoire du terrorisme aux États-Unis — sujet brûlant s'il en est !

Mais comme si souvent, je sursaute face à ces « fût », « survînt », etc., avec leur accent circonflexe superflu, comme s'il s'agissait de subjonctif, et non de passé simple. Se pourrait-il que d'aussi fins bibliophiles ne sussent pas leur conjugaison ? Ou bien est-ce influence — ou affectation — du Grand siècle ?

Ce n'est pas que je veuille à tout prix jouer les tyrans grammaticaux, bien moins encore relancer le débat entre grammaire descriptive et prescriptive, simplement je me demande sincèrement comment il faut lire ces graphies sur un blog que je sais — c'est pourquoi je le lis — si conscient des questions typographiques.
Je serais ravi de savoir ce qu'il en est. En attendant, etc.

Hugues a dit…

C'est par paresse (pas envie de me relire) et pour vous réveiller.
Et ça fonctionne.
H

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