« Après le plaisir de posséder des livres, il n'en est guère de plus doux que celui d'en parler. » Charles Nodier

"On devient bibliophile sur le champ de bataille, au feu des achats, au contact journalier des bibliophiles, des libraires et des livres."
Henri Beraldi, 1897.

frise2

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jeudi 18 décembre 2014

La bibliophilie, un investissement de père de famille.

Amis Bibliophiles bonsoir,
 
La négociation se poursuit, retrouvons nos époux, et le mari bibliophile, en pleine discussion
 
 
"- Mon tendre époux… Mon doux, mon tendre, mon merveilleux époux, j’ai une grande nouvelle à t’annoncer…
- Vous m’inquiétez.
- Ah, bon… Et si j’étais enceinte ?
- Vous n’y pensez pas ?
- Non je n’y pense pas… à moins de remonter aux vacances d’été.
- Je vous rappelle ma chère que l’été dernier, nous n’avons pas pu partir ensemble.
- Je sais ce que je dis.
- Que voulez-vous dire ?
- Qu’importe.
- Mais non, pas qu’importe.
- Perds cette habitude de toujours me contredire. Écoute plutôt.
- Je suis assis.
- J’ai gagné au loto.
- Nous avons gagné au loto ?
- Ecoute mieux : Je, Je-Je-Je - je ai - j’ai  gagné au Loto.
- Mais puisque nous faisons ticket commun.
- Oui monsieur, mais ce sont mes chiffres à moi qui ont gagné.
- C’est injuste.
- C’est la loi du nombre.
- Rappelez-vous nos promesses. Aujourd'hui plus qu'hier, moins que demain… et de toujours jouer l’un pour l’autre.
- Je ne savais pas ce qui m’attendait.
- Mais de quoi parlez-vous ?
- De gérer le pactole.
- Une bibliothèque digne de ce nom me suffirait.
- C’est bien ce que je craignais.
- Et que craignez-vous ? Nous sommes riches ma mie ! Riches ! Riches ! Riches ! Riiiiiiches !!! Enfin, le sommes-nous ?
- Oui, sans plus, Il s’agit de faire fructifier.
- Comptez sur moi, ma douce et tendre.
- Mais de quoi parles-tu ?
- De compter sur moi, ma sucrerie.
- De compter sur toi ?
- Mais comme toujours ma judicieuse. Et plus encore depuis l’instant précis ou mon savoir roule carrosse. Si je vous disais les occasions manquées à force de ne pas être riche... C’est ter-mi-né ! Entendez-vous ce joyeux trépidement ? C’est une gigue, mon entrechat ; ma connaissance qui gambille, une Visa Gold à chaque bras. Fini chopins et grasses révises ; si l’on achète aux enchères, ce sera à sec et contre moi !
- N’y compte pas.
- Je vous parle de livres, ma corne d’abondance, de livres et encore de livres ! Prenez mon cheval, gardez votre royaume, mais donnez-moi un livre. Car avec un seul livre, des royaumes, j’en bâtirai cent ; je vous en offrirai mille.
- Et moi Je te parle de bonifier nos avoirs...
- Justement mon Crésus, nous allons conjuguer l’avoir et le savoir. Avoir et Savoir  vous comprenez ? Nous allons thésauriser le génie humain ; humer ses encres, palper ses en-têtes, mirer ses filigranes et grâce à cette communion intime, l’inscrire à notre capital.
- D’assurer notre position sociale…
- Mais en danseuse qu’on va se le grimper, le Who’s Who ! Nous allons devenir des riches comme on en fait plus. Et nos terres à nous, ce seront des livres, des livres à perte de vue, jusqu’aux confins de l’horizon, jusqu’au delà de la courbure de la terre… et nos châteaux, des rayonnages s’élançant vers les étoiles. Ad Astra…
- Ad abruptum, vers les précipices.
- Mais non, ma montagne russe, rien ne coutera rien à personne. Ni à vous, ni à moi. Vous n’imaginez pas…
- Je n’imagine que trop.
- J’ai tout prévu. Deux bibliothèques, l’une finançant l’autre. Miscellanées de la collection M***. Un catalogue épais comme une muraille. Avec une préface, oui… une préface. D’un académicien, ce serait le moins. Imaginez…
- Non merci.
- Une stupéfiante culbute, ma bien-chanceuse ; l’ISF en triple saut tirebouchonné et vrillé. Je vais vous le surmultiplier votre Loto… Attendez-vous à des pluies de francs suisses, de roubles, de yuans. Ah oui, des averses de yuans entrecoupés de dollars de Hong-Kong. On va prendre l’argent dans les coffres de l’Empire céleste ; là ou il se trouve, là où ils n’arrivent plus à le compter. On va, je m’y engage, leur coller du Lamartine au prix du Qian-Long. On va les essorer, vous dis-je, les tondre, les plumer, les ratiboiser. Fini le Louis Vuitton, mon rouleau de printemps, on passe au Marius-Michel.
- Je m’attendais un peu à cela.
- Et moi, à pas moins de vous… Qu’avez-vous envisagé pour ma petite trésorerie ?
- Je l’ai doublée.
- Doublée ? Mais ce n’est rien !
- Ca me parait beaucoup au rythme ou tu entasses.
- Autant dire moins que rien.
- Tout de même ce n’est pas rien.
- Mais rien c’est comme zéro, on peut le doubler tant qu’on veut, ce sera toujours rien.
- Justement ce n’est pas tout.
- Une caisse noire ? Des fonds spéciaux ?
- Vu qu’après-tout, tu es mon mari…
- Le après-tout me sied très bien.
- … je suis condamnée à une certaine forme d’attachement, même quand il s’agit de tes livres.
- Je ne vous suis pas.
- J’ai investi dans tes rêves, mon ami. Imagine le plus grand cadeau que je puisse te faire…
- Ne vous dérangez pas pour moi.
- Et si tu me devais le fleuron de ta bibliothèque ?
- Ne me dites pas que vous avez acheté des livres.
- C’est pourtant ce que j’ai fait.
- Nom d’un chien !
- M’en crois-tu incapable ?
- ça doit être beau.
- D’ailleurs il ne s’agit pas de livres…
- Juste un seul ? Vous me rassurez. Apres tout, si on est riches, vous pouvez bien vous en payer un de temps à autre.
- … mais d’un rouleau, un bout de rouleau plus exactement.
- Un bout ? Mais qu’avez-vous fait du reste ?
- Un rouleau couvert d’une fine écriture …
- Les manuscrits de la mer morte… Vous ne les avez pas payés trop cher ?
- Quinze-pour-cent de nos gains
- C’est inouï, ils en sortent 10 par jour à Barbes… Et combien nous reste-t-il maintenant que nous sommes quinze-pour-cent plus pauvres ?
- 5 enveloppes.
- Mais de quoi parlez-vous à la fin ?
- Aux gagnants du premier rang, la Française Des Jeux offre plusieurs options. La première est de tout prendre d’un coup.
- et de partir sans demander son reste, ce que j’aurais fait en courant.
- Ou de n’en prendre qu’une partie et de bénéficier d’avantages spéciaux
- Mais bon sang, qu’est-ce qu’on a besoin d’avantages spéciaux ? On les a tous puisqu’on est riches !
- 5 enveloppes représentant chacune, quinze-pour-cent de nos gains.
Ils vous ont payé en liquide ? Surtout n’y touchez pas !
- Mais laisse-moi finir !
- Vous ne comprenez donc pas ? C’est de l’argent de ministre. Y’a rien de pire ! Dépensez-en 1 fifrelin et la brigade financière débarque dans l’instant. Vous voulez savoir à quoi il lui sert votre ticket gagnant, au ministre ? A faire des choix républicains. Démissionnerais-je…, démissionnerais-je pas ? Fini tout ça, il peut viser la présidence. Et vous savez comment il nous appelle ? Ses pigeons blanchisseurs qu’il nous appelle le ministre.
- Ne sois pas vulgaire
- Et quand vous serez fatiguée d’en tresser des guirlandes, il ne vous restera qu’à le bruler; même aux étrennes du facteur ça ne passera pas. Une tirelire pleine à ras-bord d’argent inutile, de l’argent qui ne sert rien… faut le faire ! Je me suis toujours demandé ce que voulait dire la chanson Riche et con à la fois… Ça me semblait contradictoire. Ben voila, maintenant je sais.
- Jeune et con à la fois…
- Pardon ?
- Je dis que dans la chanson de Brel, les paroles c’est jeune et non pas riche.
- Mais qu’est-ce qu’on en a à foutre, nom-de-dieu ?!?
- J’appelle ma mère !
- Allons, allons, ma bienveillante, ne me tourmentez pas plus que nécessaire. Je voulais juste attirer votre attention sur le fait que je n’y comprends rien.
- Le contraire m’aurait surpris.
- Qu’est-ce que c’est que ces enveloppes ? Et quid des 25% restant ?
- Au moins tu sais compter. Ils ont été mis à disposition sur un compte courant ; le mien en l’occurrence.
- Je croyais que mon agence était la plus proche.
- Tu n’es jamais content.
- Et ces enveloppes ?
- Des enveloppes à thème proposant un panel d’investissements diversifiés.
- Un panel ?
- Un panier.
- Je vois le genre.
- Il y en a une pour notre fils : Rayonnement technologique français.
- Français ? Vous rigolez ???
- Pas le moins du monde.
- Vous en avez fait l’acheteur historique d’une escadrille de Rafale.
- Tu me prends vraiment pour une cruche, j’ai choisi l’Airbus.
- C’est européen.
- Une pour notre fille.
- Je ne vous demande pas ce que c’est.
- Une pour moi.
- Ne me dites surtout rien.
- Une commune à chacun de nous. J’ai choisi une maison.
- Excellente idée, j’en connais une à visiter.
- Quand je dis j’ai choisi, je veux dire que c’est fait.
- je pensais avoir mon mot à dire.
- N’y pense plus.
- Mais vous m’avez prévu une bibliothèque ?
- Oui, une grande pièce.
- Une grande pièce, mais c’est tout petit.
- Ca suffira.
- Pas du tout !!! On va nous prendre pour des non-imposables. Il y a des convenances à respecter. Une grande pièce, ca fait pauvre.
- Justement c’est de convenances dont je te parle. Je veux que ma fille arrête de brandir ostensiblement sa tablette quand elle ramène des amies à la maison
- Elle m’a juré que c’était une liseuse.
- Et tu l’as crue ?
- C’est parfois surprenant comme elle vous imite.
- Écoute-moi bien… Je veux que la bibliothèque de cette maison soit un lieu ouvert, lumineux, aéré. Surtout a-é-ré... Je veux pouvoir la faire visiter autrement qu’avec un sourire d’excuse et en ouvrant toutes les fenêtres.
- Pas question d’y laisser entrer n’importe qui
- Je te parle de nos proches
- C’est bien ce que je dis.
- D’ailleurs ta bibliothèque sera bien plus grande que tu ne le crois
- J’aurais des annexes, une réserve… un enfer peut-être ?
- Tu seras dans les musées.
- Forcement puisque je suis riche. Et vous savez comment ca va se passer ? En beaux et bons livres qu’il m’offrira de payer, le fisc. Offrir : le mot est juste… Mes livres ! A leurs prix à eux ! Tous complices, mon aveuglée ; le conservateur, le percepteur, le douanier. Ils s’acoquinent dans des séminaires pour mieux me dépouiller, des synodes, des conclaves … Et les soirs de Sabbat, ils chevauchent des balais ensemble. La seule chose qu’ils me laisseront, ce sont les yeux pour pleurer.
- Tu échapperas à l’impôt.
- Et comment ? Il faudrait un miracle et le seul serait qu’ils m’oublient.
- Le miracle de l’enveloppe mauve.
- Mauve ?
- Celle qui t’est destinée : Rayonnement culturel français.
- Et la FDJ a trouvé à investir là-dedans ?
- Parfaitement
- Ah, ils sont trop forts ! Vous avez-vu leur dernier jeu consistant à piquer une figurine avec des épingles ?
- Non.
- Ca marche par paire. Par exemple si vous trouvez la même somme dans les yeux, vous gagnez. Mais ce n’est pas ce qui rapporte le plus.
- Ah oui ?
- Ne me dites pas qu’ils ont épongé mes quinze-pour-cent ?
- Je t’ai acheté la Joconde
- La Joconde ? Mais elle n’est pas à vendre !
- une Joconde pour bibliophile.
- Je serais curieux de voir ce que vous vous êtes laissée refiler.
- Tu te rappelles ces affiches dans le métro ?
- Vous voulez parler de l’expo sur le Marquis de Sade ? Je suis comme vous, je préfère ne pas y aller.
- Nous irons désormais ;  et plutôt deux fois qu’une.
- Sans moi, si vous voulez bien. D’ailleurs je crois qu'elle est bientôt terminée.
- Nous avons le temps, c’est nous les propriétaires.
- De l’expo ?
- Du rouleau.
- Encore ce rouleau ? C’est une obsession !
- Le rouleau qui était sur l’affiche.
- Le rouleau des 120 journées de Sodome ?
- Exactement.
- Vous vous êtes fait rouler.
- Penses-tu !
- Mais enfin c’est notre histoire, mon oublieuse, notre culture qui illumine la planète ; Malraux cité dans les pagodes, Hugo récité dans les izbas. Ca ne s’achète pas, ca ne se vend pas ! C’est à tout le monde, à vous, à moi, à eux, à chacun des enfants de France. C’est au peuple, ma carmagnole, ça nous appartient depuis toujours. Comprenez bien, vous n’en serez jamais plus propriétaire que vous ne l’êtes déjà.
- C’est pourtant à toi.
- Alors montrez-le-moi.
- Tu n’en détiens qu’une partie, douze-pour-cent exactement
- Mes quinze-pour cent sont dans ces douze-pour-cent ?
- Yes, sir !
- Et ces douze-pour-cent sont où ?
- Je te l’ai dit : dans un musée.
- Dans un musée ? Mais vous êtes complètement inconsciente ! Ils ne savent pas ce que c’est que l’argent dans un musée ; on leur interdit d’y toucher. Quand ils sont tout petits, on raconte aux conservateurs que l’argent c’est une bête féroce qui mange les mains des enfants. Vous voulez qu’ils fassent comment sans les mains, pour nous le polir le retour sur investissement ? Par la force du regard ? Même un ministre n’y arriverait pas.
- Au moins les musées sont honnêtes.
- Vous rêvez, mon abusée, Ils vont faire comme les manouches, garder la marchandise et l’argent. Les deux à la fois.  Vous savez en quoi ils vont les transformer nos quinze-pour cent ? En frais de fonctionnement ; on va leur payer l’EDF.
- C’est un musée privé.
- Une exploitation familiale ?
- Pas du tout. C’est un musée ayant pignon sur rue avec des bibliothécaires, des experts et un pool de conseillers financiers.
- Des conseillers financiers dans un musée ? Vous délirez.
- Si je te dis qu’il est consacré à ce que tu fais passer avant moi, je délire encore ?
- Mais enfin, mon absolue…
- Et du friendly, mon ami, du VIP bienveillant, long comme le bras. Entraine-toi à les appeler par leurs prénoms.
- Tout de même, qu’est-ce qu’ils vont en faire de mes quinze-pour-cent ?
- Huit-pour-cent par an
- Huit ? Ils se sont carrément foutus de votre gueule.
- Sur cinq ans.
- Vous me rassurez, dans cinq ans on se casse avec ce qu’ils auront bien voulu nous laisser. S’ils nous en ont laissé.
- On restera ! Modèle économique à l’appui.
- Mais quel foutu modèle économique peuvent-ils bien appliquer à des livres anciens ???
- Ne sois pas grossier."

A suivre…
 

4 commentaires:

Pierre a dit…

On s'approche du fait divers... Je suis passé devant le musée la semaine dernière. Il y a avait de la lumière et, en présentation derrière la fenêtre, de jolies cartes de vœux pour 2015. Je leurs souhaite bien du plaisir ! Pierre

calamar a dit…

tout çà va finir en drame familial !

calamar a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
calamar a dit…

ah çà y est Google Street a fini de numériser et reconnaître toutes les plaques de numéros de rues du monde entier ! on peut saisir des commentaires sans travailler pour eux.

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